La santé numérique, espoirs, défis et réalisations

Les technologies évoluent très rapidement, et la santé n’est pas en reste : impression 3D pour créer des exosquelettes, intelligence artificielle, robotique, nanotechnologies, télémédecine… Le 7 mars dernier, lors des 9e assises des technologies numériques de santé, les débats entre experts furent animés autour de plusieurs problématiques : le numérique peut-il « sauver » notre système de santé ?,  et les deeptechs peuvent-elles aider à prédire, mieux accompagner et économiser?

Du numérique et ses multiples expérimentations…

« L’enjeu que représente la santé numérique est sans précèdent car elle doit permettre de diminuer les inégalités territoriales, sociales et économiques. L‘industrialisation du numérique constitue une véritable  opportunité de faire bouger les lignes» a déclaré Isabelle Adenot, membre de la HAS et présidente de la Cnedimts (1). Les patients comme les professionnels de santé l’ont d’ailleurs bien compris : 9 Français sur 10 sont favorables au renouvellement d’ordonnance en ligne, 8 Français sur 10 sont favorables au partage de leurs données de santé auprès des professionnels de santé, et 7 Français sur dix sont pour le remboursement des actes de télémédecine dans les territoires isolés.

Côté professionnels de santé,
7 pharmaciens sur 10 sont prêts à vendre des objets connectés
9 médecins sur 10 déclarent que les patients devraient avoir accès à leur dossier médical électronique.

Malgré cet élan collectif, il faut attendre la loi HPST du 21 Juillet 2009 et son article 78 pour que la télémédecine soit enfin mentionnée, et une année supplémentaire pour que le décret permettant son application soit publié. Les expérimentations se multiplient, suivies d’une longue phase d’évaluation… Et la France finit par accuser un certain retard par rapport à l’international : États-Unis, pays nordiques qui rencontrent moins de freins au développement de ces nouvelles technologies dans la santé ont le vent en poupe. Le temps de former les professionnels de santé et d’informer les patients sur ces nouvelles technologies est trop long.

… Aux freins empêchant de passer à l’action

Si la population semble prête à intégrer les technologies numériques de santé à leur quotidien,  « le parcours de soins reste néanmoins un véritable parcours du combattant pour le patient », selon Charles Journé, médecin et chairman de Deeplink medical. Les facteurs de résistance au changement qui empêchent d’arriver à un parcours de soins fluide sont liés selon lui à l’insuffisante confiance entre les professionnels de santé et entre services, ainsi qu’au fonctionnement en silos de la médecine. Et puis il existe une dichotomie entre médecine libérale et médecine hospitalière, ainsi que dans les prises de décisions qui  en découlent… Le décloisonnement des compétences sur plusieurs établissements, entre libéraux et hospitaliers, est encore difficile. « Or, la rigidité du cadre lié aux technologies numériques appuie là où ça fait mal car il fait appel à des nouvelles méthodes de travail et de prises de responsabilités. Fini le dossier médical papier orné de post-it de différentes couleurs. Aujourd’hui nous devons trouver de vraies solutions aux nombreux problèmes inhérents à notre système de santé. Le numérique est une réponse. Cela fait plus de dix ans que nous faisons des expérimentations que nous évaluons ensuite. Il faudrait passer à l’action ! ». Même son de cloche du côté du directeur  innovation de Docapost, David de Amorim, pour qui il est urgent d’arrêter les tests et expérimentations : « il faut maintenant identifier parmi toutes ces expérimentations lesquelles doivent passer à l’échelle. Il faut aider ce marché à se consolider et non à se fragmenter, et pour cela, il faut un modèle économique de pérennisation du système ! ».

Pour ce faire, il faut que les patients s’approprient ces nouvelles technologies de santé, ce qui implique qu’un personnel formé vienne leur expliquer le fonctionnement de ces dispositifs médicaux connectés avec pédagogie et empathie. Le lien numérique entre patients et professionnels de santé, dont la télémédecine est emblématique, va devenir indispensable. Il faudra mettre en œuvre les moyens nécessaires pour accélérer sa diffusion. Cela permettra aux personnes en perte d’autonomie par exemple de rester chez elles plus longtemps et dans les meilleures conditions possibles.

La santé numérique pour lutter contre les inégalités

Plus concrètement, le numérique, pour Pauline d’Orgeval, CEO et co-fondatrice de deuxiemeavis.fr et de CoActis Santé, « représente la possibilité de créer des outils adaptés, notamment aux personnes handicapées, afin qu’elles ne renoncent plus aux soins. Ces outils sont une aide à la compréhension des informations relatives à leur pathologie, à la consultation et aux soins parfois intrusifs. Jusqu’à présent, des outils existaient mais ils étaient trop atomisés : un outil pour la déficience intellectuelle, un autre pour la trisomie… Les professionnels de santé comme les familles ne s’y retrouvaient pas. Le numérique est la clé pour créer un outil référentiel. L’inégalité d’accès à l’expertise médicale est aussi une réalité que l’on peut combattre grâce au numérique, afin de permettre aux patients qui habitent dans des déserts médicaux de transmettre leur dossier à des spécialistes de certaines maladies rares.»

Bénéfices au service du personnel médical et des patients

« L’écosystème autour du numérique va bouleverser nos usages par la constitution d’un portefeuille de solutions innovantes non invasives pour le patient et les professionnels de santé, en particulier concernant les maladies chroniques », ajoute David Guez, responsable de l’e-santé chez Servier. 

Les deeptechs, c’est-à-dire les capteurs, les biomarqueurs et tous les systèmes d’imagerie, vont permettre de recueillir des données par des moyens différents de ceux que l’on avait jusqu’à présent. Tous ces nouveaux outils vont aider à poser un diagnostic et un traitement en agissant plus en amont, donc de manière plus préventive.

Autre point positif : ces outils au service  du patient seront un moyen de vaincre  son anxiété lorsqu’il rentre chez lui,  car il reste connecté avec le cloud et un médecin. Les deeptechs sont une solution pour rendre le patient plus proche de son médecin et lui éviter de nombreuses hospitalisations. « Il faut travailler sur la manière dont ces datas vont être valorisées. L’idée est de raccourcir les temps de diagnostics et d’aller vers une plus grande précision diagnostique. » conclut David Guez.

Dans le service d’urologie de l’hôpital Tenon (AP-HP) du Pr Cussenot, les deeptechs sont entrées sous la forme de systèmes experts supervisés dans la prise de décisions pour les patients, et servent d’assistant au cours de réunions de concertations pluridisciplinaires, et plus spécifiquement en cancérologie. « L’idée est d’avoir une aide à la décision médicale  à partir d’expériences de bases de données de patients afin d’améliorer leur prise en charge. Ces systèmes ont été développés avec le List, institut de CEA tech (2), selon un modèle qui nous permet lors de la prise en charge des patients d’avoir une vision des recommandations actuelles de façon automatisée, et de pouvoir discuter des patients en fonction de l’expérience au sein du service de la base de données, c’est-à-dire du devenir de patients qui ont déjà été traités depuis de nombreuses années au sein du service. »
Et puis les deeptechs interviennent dans le cadre de la prévention des maladies, puisque sont également intégrées des données de susceptibilité aux pathologies, ainsi que dans l’aide à la décision dans la gestion des risques en cancérologie, c’est à dire mieux apprécier le bénéfice-risque des traitements pour les patients.

 

L'essentiel
Pour le patient, les deeptechs sont un moyen de mieux comprendre sa prise en charge en fonction d’une évolution des risques ou des bénéfices, et conforte sa  « sécurité » dans la prise en charge thérapeutique et diagnostique. Autre impact, les deeptechs sont un moyen de mieux gérer les examens complémentaires puisqu’on peut optimiser les prescriptions et éviter un certain nombre d’examens invasifs inutiles. C’est donc bénéfique pour le confort de vie du patient, mais aussi pour diminuer des coûts hospitaliers.
Enfin, elles améliorent l’humanisation de la prise en charge du malade car elles libèrent des temps consacrés aux tâches techniques ou à des relevés de données fastidieuses au lit du patient, pour revenir à l’aspect humain de contact avec la personne. Ces technologies ne remplacent pas les soignants. Elles sont soit des systèmes d’alerte, soit d’aide à la décision ou à l’action, qui ne sont jamais autonomes vi- à-vis du patient : la décision reste prise par le soignant.

par Carole Ivaldi