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Virage numérique : un écosystème en ordre de marche

Le virage numérique du système de santé est l’une des briques du plan Ma Santé 2022. Une nouvelle organisation, « plus cohérente », est annoncée, avec, au cœur de la démarche, les professionnels de santé et les patients. Le point.

Par Laure Martin.

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« Le numérique et l’intelligence artificielle vont nous permettre, dans les dix prochaines années, de nettement améliorer notre système de santé individuel et collectif, a annoncé Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, lors du colloque Données de santé et intelligence collective, organisé le 18 novembre au ministère de la Santé. Ils vont permettre de mieux soigner et d’améliorer les organisations, leur mission principale étant de faciliter les usages. »

Un écosystème autour du numérique

Depuis l’annonce de la feuille de route « Accélérer le virage numérique » en avril 2019, les pièces du puzzle s’imbriquent petit à petit. La gouvernance du numérique en santé a été renforcée avec la mise en place de la Délégation ministérielle du numérique en santé, en lieu et place de la délégation à la stratégie des systèmes d’information (DSSIS). L'Agence des systèmes d'information partagés de santé (Asip santé) devient l'Agence du numérique en santé (ANS). Dirigée par le Dr Jacques Lucas, ancien vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, elle a vocation à être le bras armé de la Délégation ministérielle.

Outre la gouvernance, la deuxième orientation du gouvernement vise à intensifier la sécurité et l’interopérabilité des systèmes d’information en santé. Le décret sur l’Identifiant national de santé (INS), critère de la bonne qualité d’identification du patient et nécessaire à la confiance dans les services numériques, a été publié au Journal officiel le 8 octobre, pour une mise en œuvre en 2020. Une campagne d’information va par ailleurs être lancée sur la cybervigilance afin de renforcer les mesures de sécurité.

« Cela fait 15 ans que c’est le bazar avec la e-santé en France. Tout est construit en silo et de manière éclatée par manque de doctrine et de valeur partagée. » Dominique Pon, responsable ministériel de la transformation numérique en santé

A partir du 1er janvier 2022, la plateforme numérique de santé, qui prendra la forme de l’espace numérique de santé pour chaque Français, va se déployer, « afin que chacun soit acteur de sa propre santé », a fait savoir Agnès Buzyn. Le dossier médical partagé (Cnil) est la base de cet espace numérique de santé. « Aujourd’hui, huit millions de DMP sont ouverts, un nombre qui a quadruplé depuis la généralisation de l’outil l’année dernière, a fait savoir Annelore Coury, déléguée à la gestion et à l’organisation des soins, à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Il commence donc à être approprié. » Environ 20 % des médecins généralistes l’alimentent et 46 % le consulte.

La recherche sur les données

« La feuille de route doit stimuler l’innovation, qui doit être soutenue financièrement, a ajouté la ministre de la Santé. Notre objectif est clair : changer le quotidien des patients et celui des professionnels de santé. Nous avançons vite, mais nous devons avancer encore plus vite. »

Pour y parvenir, un dispositif est en cours de déploiement : le Health Data Hub, acté par la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé et officiellement créé le 1er décembre. Son rôle : mettre au service du plus grand nombre, le patrimoine des données de santé. « Il garantit l’accès aisé aux données de santé, a expliqué Stéphanie Combes, cheffe de projet Health Data Hub. Nous avons un enjeu de souveraineté et nous faisons face à une compétition féroce. Nous devons travailler sur le décloisonnement des bases de données pour les mettre à disposition des recherches autorisées. » Le Health data Hub va jouer le rôle de guichet unique pour cet accès aux données de santé accessibles sur habilitation avec une vérification de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

 

Le Health data Hub va jouer le rôle de guichet unique pour l'accès aux données de santé accessibles sur habilitation avec une vérification de la CNIL.

Rendre cohérent la e-santé en France

Cette structuration du numérique en santé vise à mettre un cadre à son déploiement car, comme l’a résumé Dominique Pon, responsable ministériel de la transformation numérique en santé, « cela fait 15 ans que c’est le bazar avec la e-santé en France. Tout est construit en silo et de manière éclatée par manque de doctrine et de valeur partagée. » La seule solution est donc d’avancer de façon collective entre les éditeurs, les start up, les institutions, les secteurs public et privé. « Il faut une fertilisation croisée avec une répartition des rôles qui soit logique », a-t-il ajouté. Le but du défi est d’enclencher tous les acteurs pour parvenir à mieux soigner les patients. « Il faut donc aller stimuler les projets autour de la donnée de santé », a soutenu Olivier Clazt, directeur du Grand Défi Amélioration des diagnostics médicaux pour l’intelligence artificielle au secrétariat général pour l’investissement. Il faut selon lui s’appuyer sur les professionnels de santé pour stimuler la structuration donc mieux partager les données de santé pour qu’elles puissent être utilisées pour la recherche et pour mieux soigner. 

Ethique pratique de l’intelligence artificielle en santé

L’Intelligence artificielle (IA) introduit une notion de confiance dans le système de santé car est-il possible de faire confiance à un algorithme ? « La garantie humaine doit être maintenue, nous devons garder notre responsabilité, a estimé le Pr Serge Uzan, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), en charge de l’IA. Mais les médecins doivent y être formés notamment pour savoir informer les patients de l’usage de l’IA et obtenir leur consentement. » Si la formation des étudiants est capitale, celle des patients l’est aussi.

Dans le domaine, la France a un vrai rôle à jouer. « On entend beaucoup de critique sur le fait qu’une réglementation se mette en place en amont, a regretté Maryne Cotty Eslous, responsable de la commission santé, au Conseil national du numérique. Certes, l’hyper-éthique est questionnant mais il n’est pas inintéressant de la valoriser. » Et de poursuivre : « Nous sommes différents des Etats-Unis et de la Chine et avons une carte à jouer face à eux, de part les valeurs que nous portons et de pouvoir travailler sur les biais de l’IA dans la santé. » « Il est indispensable de s’assurer que l’IA reste éthique, pendant son utilisation et pour son évolution, pour gagner et garder la confiance des patients, a renchéri David Gruson, Fondateur d’Ethik-IA. Mais il faut réguler intelligemment pour ne pas bloquer les industriels et les conduire à innover à l’étranger. » Pour rassurer les patients et les professionnels, les évaluations sont nécessaires, de même qu’il faut davantage de transparence sur la gouvernance et un travail de vulgarisation. « Les médecins doivent également être formés à l’utilisation du numérique via la simulation et les serious games dans l’idée de ne jamais essayer la première fois sur le patient, soutient Cécile Monteil, directeur médical du département de simulation en santé iLumens, rattaché à l’Université de médecine Paris Descartes. Le temps numérique permet de privilégier le temps humain, c’est un avantage, mais il faut l’enseigner. » D’ailleurs avec le plan Ma Santé 2022, la simulation dans l’enseignement devient obligatoire et se généralise.

« Le patient doit être au cœur du développement des solutions thérapeutiques », a soutenu Guy Eiferman, membre du cabinet de conseil Nextep. « C’est lui qui doit impulser, auprès des professionnels de santé, des industriel, les réponses à ses besoins et pour l’amélioration de son quotidien, a poursuivi Gérard Raymond, président de France Assos Santé. Les patients doivent être de vrais partenaires. » Et de conclure : « L’outil numérique doit permettre de redonner du sens en donnant la possibilité aux professionnels de santé de mieux soigner et aux patients de mieux vivre. »

par Laure Martin