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Marlène Schiappa "Pour lutter contre les dérives sectaires, les médecins seront consultés et formés"

Réchauffement climatique, crise, terrorisme et pandémie forment un terreau d’anxiété propice aux dérives sectaires de toutes sortes. Certaines s’avèrent très dangereuses pour la santé et la lutte contre ces dérives est une des priorités du gouvernement. À cet effet, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), réorganisée et dotée de moyens supplémentaires, vient de passer sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur de France, chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa répond aux questions de M-Soigner.

Propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

Marlene SCHIAPPA ministre deleg interieur derives sectaires M soignerM-Soigner : Madame la ministre, quelles seront les nouvelles missions de la Miviludes ? Ses nouveaux moyens ? Les plans d’action et les résultats attendus ?

Marlène Schiappa : Le président de la République et le premier ministre m’ont confiée la lutte contre les dérives sectaires afin d’en faire une véritable priorité. La Miviludes, qui dépend désormais du ministère de l’Intérieur, est dotée de nouveaux moyens : un appel à projets d’1 million d’euros pour soutenir les initiatives de terrain, c’est du jamais vu et une multiplication par 10 des moyens. J’ai également installé un conseil d’orientation rassemblant divers experts, associations engagées (Unadfi, Ligue contre le Cancer), pour l’appuyer, début avril. 

Par ailleurs, une magistrate a pris la tête de la Miviludes. Sa nomination marque un tournant pour engager et saisir davantage la justice. Mon objectif, c’est 100 % des faits signalés à la justice afin qu’elle s’en empare et qu’on puisse lever le doute pour protéger les citoyennes et les citoyens des dérives. Il y a eu un laisser-faire depuis plusieurs années et j’entends y mettre fin !

M-S :  Existe-t-il un consensus des partis politiques sur ce sujet ?

Marlène Schiappa : Je le crois. Nous travaillons en tout cas avec tout le monde sur ce sujet transpartisan. 

M-S :  Quel est l’agenda parlementaire sur ce sujet ?

Marlène Schiappa : Les lois existent. Il est désormais question de les appliquer. J’ai adressé une circulaire aux préfets afin d’accroitre leur vigilance sur le terrain et de signaler, systématiquement, des faits de dérives sectaires au Procureur de la République (en faisant un article 40 CPP). Ce n’est pas un phénomène marginal, 140 000 personnes sont touchées dont 90 000 enfants avec des faits très graves – comme le viol d’une jeune fille dans l’Aveyron dans le cadre d’un cercle ésotérique – j’alerte le grand public. Il y a plus de 3 000 signalements en 2020 avec des procédures judiciaires très sérieuses engagées.

M-S :  Madame la Ministre, serez-vous membre du conseil d’orientation de la Miviludes ? Comment fonctionnera-t-il ? Quels moyens de contrôle et d’action pour le gouvernement ?

Marlène Schiappa : J’ai effectivement installé ce conseil d’orientation de la Miviludes rassemblant divers experts (Georges Genech, Marie-France Hirigoyen…), associations engagées (Unadfi, Ligue contre le Cancer, CCMM) au début du mois d’avril. L’idée, c'est de s’appuyer sur l’expertise de la société civile, l’État fera tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre les dérives sectaires et les petits groupes qui s’organisent pour manipuler les personnes vulnérables, mais il ne peut pas tout, tout seul.  

L’équipe est également rejointe par plusieurs hauts fonctionnaires venant de Bercy, de l’Éducation, de la Santé… Les ministères concernés sont associés. Tout le gouvernement est engagé. 

La crise a effectivement provoqué une augmentation des pratiques de dérives sectaires, le terrain est propice au développement d’une emprise notamment dans le domaine de la santé (faux conseils, pseudos-remèdes, offres d’accompagnement…)

M-S :  Le ministère a-t-il recensé de nouvelles dérives générées par la pandémie ? 

Marlène Schiappa : Oui, j’ai confié un rapport à la Miviludes-Police-Gendarmerie afin d’établir un état des lieux sur les dérives sectaires. Leur constat ? La crise a effectivement provoqué une augmentation des pratiques de dérives sectaires, le terrain est propice au développement d’une emprise notamment dans le domaine de la santé (faux conseils, pseudos-remèdes, offres d’accompagnement…), de même le regain d’activité de courants apocalyptiques qui voient en la pandémie un signe et une confirmation de la fin des temps. Nous sommes dans une période propice à ces discours, les gens sont parfois en perte de repères…  

M-S :  Quels types de gourous ? Quels types de victimes ? Comment détecter le danger et à qui le signaler ?

Marlène Schiappa : Il n’y a pas de gourou type, ni de victime type. On s’adresse à tout le monde, même si les femmes sont particulièrement vulnérables aux dérives sectaires dans lesquelles on retrouve souvent une forme de prédation sexuelle et de domination. Chaque citoyen, chaque citoyenne peut signaler les faits à la Miviludes, rapidement, facilement, anonymement en ligne, 24h/24 et 7j/7 sur derives-sectes.gouv.fr

M-S :  Les ministères de la Santé et de l’Intérieur sont-ils complémentaires ? Quels liens avec l’Ordre des médecins ?

Marlène Schiappa : On travaille ensemble. Je recevrai le président de l’Ordre des médecins, très engagé, à ce sujet.

M-S :  Les médecins généralistes seront-ils consultés par le ministère ou le groupe de travail ? Est-il prévu une information dans les cabinets ? Des formations professionnelles ? Un relais avec des psys ?

Marlène Schiappa : Des professionnels de santé sont membres du conseil d’orientation que j’ai installé en appui de la Miviludes mais bien sûr les médecins seront consultés et formés, la santé représente 40% des signalements faits auprès de la Miviludes. 

M-S :  Quid des médecins qui entrent dans cette dérive ? 

Marlène Schiappa : Les dérives sectaires n’épargnent personne : aucun âge, aucun genre, aucune classe sociale. On observe effectivement que des médecins entrent parfois dans un phénomène de dérives sectaires, il faut les protéger au même titre que les autres victimes. Ils ne sont pas épargnés.

 

Santé et dérives sectaires

Pas besoin de gros moyens pour initier une dérive sectaire… un gourou charismatique, quelques promesses de guérison ou de développement personnel et une poignée d’adeptes convaincus suffisent. Dans leur quête de mieux-être, d’énergie et de joie de vivre, ils devront parfois se séparer de leurs conjoints, de leurs amis, et surtout suivre des stages onéreux « indispensables » à leur bien-être. Confidentiels ou stars des réseaux sociaux, on rencontre ces gourous sur Internet, dans des séminaires et des salons de Bien-être. Ils y diffusent des gammes de produits à visée thérapeuthique.

Déjà, en 2015, la Miviludes résumait les risques pour la santé : « la santé est un terrain propice au développement de l’emprise mentale, que l’on soit dans un contexte sectaire classique, en raison du pouvoir que le gourou peut exercer sur la santé de l’adepte, ou que l’on se trouve dans le cadre de pratiques de soins douteuses ».

Le nombre de techniques pseudo thérapeutiques ou psychothérapeutique est en forte augmentation. Les chiffres de la Miviludes sont préoccupants :

  • 4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives, dont 60 % parmi les malades du cancer
  • plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique,
  • 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risques » dans le domaine de la santé,
  • 4 000 « psychothérapeutes » autoproclamés qui n’ont suivi aucune formation et ne sont inscrits sur aucun registre.
  • Près de 200 bio-décodeurs qui proposent une « déprogrammation du cerveau » pour guérir les symptômes,
  • Plus de 800 kinésiologues, 
  • 3 000 médecins seraient en lien avec la mouvance sectaire.

Les gourous utilisent souvent la rhétorique complotiste. Ils préconisent de s’informer sur les réseaux sociaux plutôt que dans les médias traditionnels qui cacheraient la vérité.

Ainsi, pour Alain Scohy, cet ancien diplômé de la fac de médecine de Montpellier, radié à vie de l’Ordre des médecins en 1996 : le sida serait une entité fabriquée par des politiques et des médecins, et le jus de citron s’avérerait plus efficace que la chimiothérapie contre le cancer. Après de nombreuses péripéties, il exerce aujourd’hui une activité de psychothérapeute en Auvergne sous la bannière « Comprendre, agir, guérir »…

Plus récemment, le crudivoriste Thierry Casasnovas proposait de traiter le coronavirus, le cancer ou la tuberculose par le jeûne, les bains froids et les légumes crus. 500 000 abonnés le suivent sur You Tube ! Farouchement anti-vaccin, il est depuis juillet 2020, visé par une enquête pour "mise en danger de la vie d'autrui", ouverte par le Parquet de Paris.

Des gourous de tout poil ont largement exploité les polémiques sur l’hydroxychloroquine, le port du masque ou la vaccination. Leurs théories pourraient faire sourire si les arrêts des traitements médicaux et des chimiothérapies ne provoquaient des drames. Qui peut savoir leur degré de sincérité et de conviction dans leurs propres pratiques ? Leur intéressement financier, en revanche, laisse peu de doute avec des conférences à plusieurs centaines d’euros et des chiffres d’affaires à 6 chiffres.

Avec la pandémie, les sectes prospèrent : plus de 3 000 signalements en 2020. Beaucoup de travail en vue pour la Miliviludes et les associations mais aussi pour les médecins qui sont souvent les interlocuteurs des proches inquiets.

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