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Médecines complémentaires et alternatives : réguler pour accepter   

L’essor des médecines complémentaires et alternatives (MCA) est un fait de société. Aujourd’hui plus de 400 pratiques sont répertoriées. Mais en France, elles suscitent des questions et génèrent des craintes. Leur reconnaissance est parfois actée, d’autres fois non. Le débat est réel et les enjeux nombreux.

par Laure Martin.

LaureMartin

« Le concept de MCA est flou et ambigu car les critères de définition sont manquants et ne font pas de consensus, a lancé en guise d’introduction Véronique Suissa, docteure en psychologie et co-organisatrice d’un colloque organisé sur les MCA le 28 octobre au ministère de la Santé. Pour bien définir le concept, il faudrait qu’on s’entende sur la définition de la médecine conventionnelle et non conventionnelle, ce qui paraît complexe. » Lorsqu’il est fait mention des MCA, il s’agit généralement d’un ensemble de pratiques hétérogènes dont la conception de la maladie et de la prise en charge se distingue de la médecine de « référence ».

Un phénomène de société

« Ces pratiques s’intègrent dans un vaste mouvement sociétale autour du bien-être et du non-médicamenteux », a ajouté Véronique Suissa. Un mouvement scientifique avec l’essor de la recherche dans le secteur, pointe les bénéfices des MCA, mais aussi des risques et dérives. « Peut-être que les MCA sont des croyances, des imaginaires mais en tout cas, elles existent », a soutenu Serge Guérin, sociologue, également co-organisateur du colloque. Et de rappeler : « Un patient n’égale pas un autre patient, de même qu’une démarche de soins n’égale pas une autre démarche de soins. »

Un mouvement médical est également observé certainement en raison de l’attrait des patients pour ces pratiques. Ainsi, le travail des soignants se diversifie dans leur prise en charge, certains effectuant des formations complémentaires en acuponcture, en sophrologie, etc. Outre la prise en compte des patients, l’intérêt des MCA sur les soignants doit également être mis en évidence d’après Julien Nizard, professeur de médecine et vice-président du Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires (Cumic) à l’université de Nantes. « Ces pratiques peuvent être bénéfiques en termes de qualité de vie au travail pour permettre aux soignants de retrouver du sens relationnel. » D’ailleurs, dans le cadre de la réforme des études de médecine, « les médecins devraient désormais apprendre les bases des principes de la médecine intégrative et des médecins complémentaires ayant fait l’objet d’études scientifiques », a-t-il fait savoir. Néanmoins, pour le moment, cette distinction entre les praticiens formés, ceux qui pratiquent mais ne sont pas compétents, et ceux qui pratiquent mais qui ne sont pas médecins, participent aux effets contre-thérapeutiques des MCA.

On essaye de fixer un cadre, mais il faut laisser la décision aux acteurs, aux praticiens et aux patients tout en ayant à l’esprit la nécessité de sanctionner les dérives.

Dérives sectaires ?

Difficile donc de passer à côté de ce « phénomène qui répond à des inquiétudes », a soulevé Catherine Picard, ancienne députée et ancienne présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi).  Aujourd’hui, « plus de 70 % de la population à recours aux MCA pour lesquelles nous préférons le terme de pratiques non conventionnelles en santé, a fait savoir Juliette Caherresponsable du pôle pratiques non conventionnelles en santé à la Direction générale de la Santé. Mais aujourd’hui, elles ne sont pas reconnues par le Code de la santé publique. » « Nous sommes au cœur de préoccupations sociétales de grande ampleur, a renchéri Jean-Michel Mis, député La République en marche. Nous avons un rôle de protection et nous sommes aussi à un moment particulier où nous voulons remettre le patient au cœur des enjeux de santé pour en faire un acteur de sa santé. D’où la nécessité d’avoir un regard lucide et ouvert. » La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) se dit ni pour, ni contre les MCA « mais nous nous intéressons aux dérives graves que nous pouvons qualifier de non conventionnelles », a indiqué Anne Josso, secrétaire générale. Et de rappeler : « La Miviludes a pour rôle la protection de gens qui ont été dépossédés de leur liberté. Le problème est le flou autour du fondement théorique de ces méthodes, ce qui constitue le premier point de la dérive sectaire. » La Miviludes échange d’ailleurs avec le Conseil de l’Ordre des médecins afin de savoir si les thérapeutes y sont bien inscrits ou s’il y a des usurpations d’identité, ainsi qu’avec les Agences régionales de santé, la direction générale des douanes et le secteur de la formation professionnelle. « Avec les MCA, on est dans le champ du spirituel, a indiqué Samuel Khalfaoui, conseiller au pôle santé de la Miviludes. Même si quelques pratiques ont fait leur preuve comme l’acupuncture, pour certain il faut lutter contre cet aspect sombre qui peut avoir des répercussions sur l’état de santé des concitoyens. » Un tiers de l’activité de la Miviludes est d’ailleurs consacré à la santé. « Le lien entre santé et dérive sectaire ne date pas d’aujourd’hui », a-t-il rappelé, mentionnant les actions de l’ordre du temple solaire. « Nous sommes un observatoire et nous nous basons sur ce que nous recevons comme signalements par les victimes et leur proche », a-t-il rappelé.

Encadrement juridique et enjeu de santé publique

Actuellement, l’encadrement juridique des MCA reste flou. Néanmoins, « nous devons permettre le droit à l’expérimentation et ne pas contraindre avant d’essayer, a estimé Jean-Michel Mis. On essaye de fixer un cadre, mais il faut laisser la décision aux acteurs, aux praticiens et aux patients tout en ayant à l’esprit la nécessité de sanctionner les dérives. » Pour Caroline Barry, ingénieure de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « certes ces pratiques sont dans les croyances mais en tant que scientifique, j’estime qu’il ne faut pas rejeter une pratique uniquement parce qu’elle n’a pas les mêmes fondements. Si ces pratiques s’engagent dans des recherches scientifiques, nous devons être là pour les accompagner. » Selon elle, les MCA pourraient être évaluées de la même manière que les médicaments, avec des essais cliniques qui ont pour seul fondement la donnée scientifique et la statistique.

Les garde-fous semblent justifiés par l’idée que dans la vie, les individus ne peuvent pas toujours être en pleine possession de leur lucidité. « La protection des personnes me paraît indispensable, a fait savoir Catherine Picard. Aujourd’hui, nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour faire le tri et pour avoir un discernement éclairé. Il n’existe pas d’information objective sur les MCA permettant de choisir en conscience. » Le problème est donc de ne pas connaître les risques pris en ayant recours à telle pratique ou tel praticien. La prévention prend alors tout son sens. « Il est d’ailleurs inacceptable qu’il n’y ait pas de réglementation sur la formation, a soutenu Catherine Picard. C’est un vrai souci. Là où il n’y a pas de réglementation, il y a une obédience à la dérive. »

Une meilleure communication

Les actions entreprises actuellement par les pouvoirs publics et surtout la Direction générale de la santé (DGS) apportent des ébauches de réponses. « À la DGS depuis dix ans, nous avons monté un groupe d’appui technique, le GAT, sur les pratiques non conventionnelles en santé, a fait savoir Juliette Cahen, juriste en santé publique, chargée du dossier sur les pratiques non conventionnelles en santé à la DGS. Autour de la table, nous réfléchissons à l’émergence de toutes ces pratiques. »

Le GAT s’appuie sur les travaux de l’Inserm, qui en est membre. « Depuis dix ans, de nombreuses pratiques ont fait l’objet d’une revue de littérature scientifique, a expliqué Juliette Cahen. Certaines semblent dangereuses et nous les déconseillons comme la déprogrammation biologique ou le jeun qui peuvent avoir des risques physiques importants en fonction de la cible. C’est le cas aussi des pratiques qui ne montrent pas de risques particuliers mais pas de bénéfices non plus comme l’ostéopathie ou l'auriculothérapie. Enfin, d’autres pratiques ont manifesté certains intérêts comme l’hypnose ou l’acupuncture, qui sont d’ailleurs parfois pratiquées dans certains services par des infirmiers formés. » Le GAT élabore des fiches de communication sur ces pratiques à destination du grand public et du ministère de la Santé. « Une réelle réflexion devrait être lancée sur l’accompagnement des praticiens afin d’évaluer leurs pratiques et permettre leur reconnaissance dans le système de santé », a-t-elle ajouté.

Entendre les patients

« La demande des patients est suffisamment importante pour qu’on y réponde, a soutenu Alice Warusfel, psychologue clinicienne à l’Accueil cancer de la ville de Paris (ACVP). Le besoin des patients doit être répercuté sur la société. Les maladies autrefois mortelles sont devenues chroniques, entraînant des complications qui peuvent être pénibles. Les médecines complémentaires comme l’acupuncture peuvent être un plus pour y répondre. » L’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP) cherche à promouvoir ces médecines complémentaires, « avec des praticiens formées et de manière complémentaire c'est-à-dire intégrée dans un parcours de soins », a rapporté le Dr Catherine Viens-Bitker, directrice du projet « médecines complémentaires, médecine chinoise » à l’AP-HP. La médecine chinoise est utile là où la médecine conventionnelle est dans l’impasse notamment sur les douleurs chroniques et sur la fatigue en cas de cancer. À la Pitié Salpêtrière, le Chi gong est utilisé auprès des patients atteints de la maladie de Parkinson pour éviter chute, chez les patients obèses dans le service d’endocrinologie pour le rapport au corps ou encore en addictologie pour permettre aux patients d’appréhender la résistance au désir insurmontable. « La médecine chinoise offre des possibilités extraordinaires », soutient le Dr Catherine Viens-Bitker. Le problème majeur reste la formation des praticiens. C’est le rôle des responsables hospitaliers de l’organiser. C’est une vraie responsabilité de ceux qui nous dirige mais cela reste fragile car cela dépend de la politique. »

« En tant que pratique évaluée, il y a tout un travail à faire pour renforcer leur assise, a ajouté le Dr Annie Felten, docteure en médecine et médecin acuponcteur. Les enjeux sont multiples pour la sécurité des patients et l’accès à un plus grand nombre car ce sont des pratiques coûteuses. » À l’Université Paris 13 à Bobigny, il est possible pour les médecins d’apprendre les médecines complémentaires dans le cadre d’une capacité. « Il faudrait parvenir à avoir une homogénéisation des formation pour avoir un diplôme national et éviter l’existence de formations non validées », estime le Dr Annie Felten. « Plusieurs éléments amènent les patients aux MCA, notamment la défiance par rapport à lamaladie puis le sentiment de reprendre la main, a conclu Alice Warusfel. Avec les MCA, il y a une vraie liberté, un vrai libre arbitre. »

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par Laure Martin