Homéopathie ? Oui...  Non... L’heure des choix [? #1]

Les professionnels de santé continueront-ils à prescrire et consommer de l’homéopathie ? C’est l’heure des décisions pour les acteurs du système de santé que nous sommes. Le livre de Thomas C. Durand, Connaissez-vous l’homéopathie ? (éditions Matériologiques Paris 2019), paraît à point nommé pour s’interroger sur nos pratiques et leurs fondements .

par Maël Lemoine.

MaelLemoine

(cet article sera suivi de " Homéopathie ? Le monde des complots [?#2])

Le déremboursement total de l’homéopathie par la Sécurité sociale est désormais acté. Ou presque, puisqu’il surviendra en deux temps. C’est une mesure impopulaire qui ne profite à aucun lobby industriel. À présent, des questions se posent en cascade. Au sein des Mutuelles, on s’interroge pour savoir s’il faudra continuer à rembourser. Généralement, elles suivent les décisions de la Sécurité Sociale mais, dans certains cas, c’est un argument commercial pour elles de rembourser ce que la « Sécu » ne rembourse pas. Au sein des facultés, on s’interroge sur le sort à faire aux enseignements de l’homéopathie. Les patients, eux, ne s’interrogent pas : ils continueront de consommer – du moins, ils le disent. Les industriels de la granule ont des décisions stratégiques à prendre. Mais les professionnels de santé, que doivent-ils faire ?

L’homéopathie est à la fois bien connue et mal connue. Bien connue parce que personne n’en ignore l’existence, et peu nombreux sont ceux qui n’y ont jamais recouru de leur vie, pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Mal connue, parce que son histoire, ses principes, ses mouvements, ses preuves, les pratiques industrielles et commerciales qui l’accompagnent, sont souvent confuses dans nos esprits.

Au sein des facultés, on s’interroge sur le sort à faire aux enseignements de l’homéopathie. Les patients, eux, ne s’interrogent pas : ils continueront de consommer – du moins, ils le disent. Les industriels de la granule ont des décisions stratégiques à prendre. Mais les professionnels de santé, que doivent-ils faire ?

 

Un livre récemment paru : Connaissez-vous l’homéopathie ? constitue une enquête complète très défavorable aux pratiques homéopathiques. Il en dénonce l’incompréhensible emprise sur nos systèmes et sur nos professionnels de santé. Si vous croyez déjà tout savoir des petites granules, offrez-vous ce petit volume dont la lecture est consternante. On aimerait le conseiller aussi aux fervents partisans de l’homéopathie, mais comme l’auteur le reconnaît lui-même, le plus probable est qu’il les renforce dans la conviction que la science est une secte bornée et intolérante qui martyrise ceux qui détiennent « une autre vérité ». Pour les autres, voici un aperçu de ce que vous pourrez trouver dans ce livre.

Quatre faits autour de l’homéopathie

Nous savons ou croyons savoir beaucoup de choses autour de l’homéopathie. Voici six questions pour tester votre connaissance du sujet :

➡️ Combien l’homéopathie coûte-t-elle à la Sécurité sociale, aux Mutuelles et aux patients ?

En 2014, le coût total des prescriptions homéopathiques s’élevait à presque 280 millions d’euros, dont un peu moins de 100 millions pris en charge par l’Assurance Maladie.

➡️ Combien de professionnels de santé prescrivent ?

En 2014, un peu moins de la moitié des professionnels de santé (43 %) étaient prescripteurs, dont 95% de médecins généralistes, dermatologues et pédiatres et 75% de sages-femmes.

➡️ Quels patients consomment le plus ?

Les femmes consomment nettement plus que les hommes, et c’est entre 0 et 4 ans qu’on consomme le plus de tubes de granules blanches. L’âge des acheteurs et leur niveau d’étude semblent peu corrélés à leur recours aux médecines alternatives et complémentaires. Les usagers ont une santé plutôt fragile et déclarent faire un choix de valeurs. Ils ont majoritairement une tendance à croire au paranormal, et s’intéressent peu aux preuves scientifiques.

 

L’unique remède contre la grippe

Connaissez-vous l’histoire d’Oscillococcinum, le fameux remède vedette des laboratoires Boiron ? Son nom lui vient de l’ « oscillocoque », un micro-organisme aux mouvements rapides, qui n’existe pas, mais que crut avoir découvert en 1917 Joseph Roy, un médecin, dans le sang des malades de la grande grippe dite « espagnole ». La force de conviction de Roy est telle qu’il observe l’oscillocoque dans des cancers, la syphilis, la tuberculose, la blennorragie, l’eczéma, le rhumatisme, et estime qu’il doit être à l’origine de toutes ces maladies. En 1925, il en fournit une souche à des laboratoires qui, en 1933, deviendront les laboratoires Boiron.

Boiron a choisi de restreindre l’usage de son remède à la grippe. Il est vrai que, contrairement au cancer, à la tuberculose et aux autres maladies observées par Roy, la grippe finit par guérir seule et la grande majorité des gens qui pensent avoir attrapé la grippe n’ont en réalité qu’un état très passager. En revanche, tout le monde a peur de la grippe – tout particulièrement dans les années 1930.

L’oscillocoque imaginaire est bientôt remplacé par un « extrait fluide peptoné de foie et de cœur d’Anas barbariae dynamisé à la 200 K », préparation qui aurait servi à Roy de support à la conservation de son oscillocoque. Anas barbariae signifie « canard de barbarie » en latin de cuisine. Il semble en effet que les homéopathes appellent leurs souches de noms latins qu’ils inventent et qui ne correspondent pas à la taxonomie universelle utilisée dans les sciences naturelles.

Cette dilution de viscères de canard doit nous protéger contre la grippe. A moins que ce ne soit, plus simplement, les statistiques ? Moins d’un sujet sur 100 contaminé par le virus de la grippe développe effectivement une grippe observable, selon certaines estimations. Si vous prenez Oscillococcinum, vous avez donc nettement moins d’une chance sur 100 d’avoir la grippe. Tandis que si vous ne prenez pas Oscilloccinum, vous avez nettement plus de 99 chances sur cent de ne pas avoir la grippe. Quelle efficacité (et pour un prix modique) !


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Quel est le chiffre d’affaires des laboratoires Boiron ?

En France, le chiffre d’affaires de Boiron dépasse 500 millions d’euros depuis 2009 sur un total d’environ un milliard d’euros par an.

➡️ Combien d’argent Boiron investit dans la recherche de nouveaux traitements ?

Boiron déclarait investir 3,6 millions d’euros en recherche, soit 0,58 % de son chiffre d’affaires. Johnson & Johnson y consacre 11,4 % de son chiffre d’affaires, et Roche y consacre 18,7%. Pour ces géants de l’industrie pharmaceutique, le budget recherche se compte en milliards.

➡️ Les malades du cancer se soignent-ils à l’homéopathie ?

60 % des malades du cancer recourent à des thérapies non conventionnelles. Ils ne renoncent pas pour autant aux traitements classiques, mais leur risque de mourir dans les 5 ans est nettement supérieur, sans doute en relation avec leur propension à refuser des traitements proposés.

Même si vous avez un score de 6/6, vous pouvez apprendre des choses en lisant la suite.

Comment peut-on croire aux principes de l’homéopathie ?

Les pratiques homéopathiques sont gouvernées par quatre grands principes qui en définissent les contours. Selon le principe de similitude, il est possible de soigner un mal quelconque par un produit qui le provoque, à condition de le diluer très fortement : c’est le principe de haute dilution. L’efficacité du traitement s’accroît à mesure que la dilution est importante. Selon le principe de dynamisation, il faudrait secouer la solution au moins une centaine de fois entre chaque dilution pour qu’elle soit efficace. A ces trois principes on peut ajouter le principe de l’individualisation, selon lequel la même maladie ne doit pas être soignée de la même manière chez des personnes différentes.

Êtes-vous prêt à absorber une solution radioactive pour soigner les effets secondaires d’une radiothérapie contre le cancer ? Peut-être pas si vous n’en avez pas, mais ne seriez-vous pas plus perméable à l’idée si vous aviez un cancer ? Et si cette solution est diluée au point d’être nulle, en tout cas très inférieure à la radioactivité naturelle de votre alimentation, êtes-vous prêt à croire qu’elle produit un effet quelconque ? Si vous êtes prêt à le croire, alors Rayons X Dose 9 CH, des laboratoires Boiron, est fait pour vous. Si vous vouliez soigner votre Syphilis avec une dilution de pus de chancre syphilitique, c’est trop tard : le remède a été interdit en France. Enfin, vous vous demanderez pourquoi Boiron peut vendre à la fois, et pour obtenir le même effet, une pommade d’Arnica (qui n’a rien de dilué) et des granules d’Arnica (hautement diluée). Chez ce fabricant, la dynamisation consisterait à imprimer à la solution 240 solutions en 7,5 secondes : mais il est difficile de trouver la moindre justification à cette pratique.

Quant au principe d’individualisation, il joue un rôle de cache-misère méthodologique. Si un traitement échoue, en effet, il est toujours possible de remettre en cause une erreur de prescription, mais jamais nécessaire de remettre en cause la méthode elle-même.

 

 

De l’épisode Benveniste à l’étude EPI3

« Dégranulations des basophiles humains induites par de très hautes dilutions d’un antisérum anti-IgE » : c’était (traduit en français) le titre de l’article très médiatisé de l’immunologiste Jacques Benveniste, qui a souvent été commenté comme la preuve scientifique de l’existence d’une mémoire de l’eau. Son auteur a également avancé l’hypothèse (totalement arbitraire) que l’eau garderait une trace électromagnétique de la présence des molécules qu’elle a contenues, trace qui pourrait d’ailleurs se transmettre d’un verre d’eau vers un autre, ou à travers une ligne téléphonique.

L’article n’allait pas aussi loin. Il n’en a pas moins été rétracté par Nature. Il est sans cesse invoqué par les partisans de l’homéopathie.

Moins irrationnelle, l’étude EPI3 est l’autre grand pilier des croyances homéopathiques. Financée par les laboratoires Boiron, elle concluait que les patients soignés par homéopathie pour des troubles du sommeil, des troubles anxieux et dépressifs, des infections respiratoires supérieures et des troubles musculo-squelettiques, étaient mieux pris en charge et coûtaient 35 % moins cher à la Sécurité sociale. Elle souffre de trois biais majeurs. D’abord, un biais de recrutement : les patients qui entraient dans l’étude avaient un niveau d’étude supérieur au reste de la population, et les médecins un profil de pratique différent. Il était donc impossible de conclure que c’était l’homéopathie elle-même, et non un style de prise en charge et une relation spéciale entre médecin et patient, qui garantissait cet effet. Il est donc erroné de penser qu’il peut être attribué à l’homéopathie : il faudrait comparer deux populations aux styles de prise en charge similaires, dont l’une prescrit de l’homéopathie et l’autre non

par Maël Lemoine