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Peut-on être trisomique et vivre sa vie ? " Vincent et moi ", un film sur les chemins de l’autonomie

La journée mondiale de la trisomie du 21 mars dernier a été l’occasion de la sortie d’un très beau documentaire sur l’insertion des trisomiques : "Vincent et moi". "Moi" c'est Edouard Cuel, le père de Vincent, jeune trisomique d'une vingtaine d'années qui cherche sa voie professionnelle et à devenir indépendant.

par Pascal Pistacio, chroniqueur cinéma 

Sommaire


Vincent et moi, le chemin de l'autonomie

Filmer la trisomie : compliqué ?

Trisomie et vieillissement : une institution pour unique horizon ?


Vincent et moi, le chemin de l'autonomie

La journée mondiale de la trisomie, du 21 mars dernier a été l’occasion de la sortie d’un très beau documentaire : Vincent et moi. On y suit durant trois ans, les pérégrinations de Vincent, jeune homme trisomique, et de son père, Édouard, pour que son fils puisse s’insérer dans la vie quotidienne avec la plus large autonomie possible.

 

 

Comme l’insuffle à Vincent son professeur de karaté, l’ancien champion du monde Jean-Pierre Vignau, la vraie valeur de l’être réside dans sa capacité de rebond  : « Tu t’es trompé, d’accord, et alors ? On recommence, on rebondit. Quelques soient les emmerdes, il faut continuer ! ». Vincent devient son assistant et s’occupe particulièrement de l’entraînement des jeunes karatekas débutants.

Père et fils affrontent les obstacles de la formation professionnelle et de l’autonomisation. Le centre de formation qui ne prévoit aucun aménagement particulier pour les examens, un restaurant qui dénigre un stagiaire serveur si gênant. Mais il faut continuer, continuer sa vie, travailler, aimer et être autonome.

Extraits

Vincent (le fils) : je m’appelle Vincent Cuel, j’ai 20 ans et j’ai besoin de vivre.
Édouard (son père) : T’as besoin de vivre ?
Vincent : Oui et je partage avec mes amis et j’ai envie de partager avec eux.
Édouard : Tu pourrais vivre tout seul ?
Vincent : Je crois oui, sauf compter les sous.
Édouard : Oui mais ça, ça peut s’apprendre.
Vincent : Ben oui. Moi je veux continuer à travailler.

"Vincent et moi"
Réalisation et scénario : Édouard Cuel et Gaël Breton
Avec : Vincent Cuel et Édouard Cuel


Filmer la trisomie : compliqué ?

Quand on prépare un film centré sur la trisonomie, quelle est l’éventuelle place du corps médical ? Quelles particularités rencontrent acteurs, figurants, producteurs ? Pascal Pistacio, chroniqueur cinéma, s’est emparé de tous ces sujets dans un entretien à trois avec Gaël Breton producteur et co-réalisateur de Vincent et moi, Édouard Cuel, co-réalisateur et père de Vincent, personnage central de ce film documentaire.

Pascal Pistacio : A-t-il été difficile de monter la production pour réaliser Vincent et moi ?

Gaël Breton : Le film a eu un montage financier classique avec une chaine de télévision, le CNC et des partenaires en co-productions.

P.P. : Quand on fait le tour des les chaînes de télévision et qu’on leur propose un documentaire dont le héros est trisomique 21, est-ce qu’il y a un terrain à déminer ou vous y allez cash ?

G. B. : Pas de souci. La thématique, ici, c’est surtout l’intégration.
Édouard (co réalisateur), qui est le père de Vincent voulait faire ce film-là. Il avait déjà fait, il y une vingtaine d’années, un film qui s’appellait :
La classe de Liliane (Édouard Cuel 1998. Des enfants trisomiques peuvent apprendre à lire et à écrire...) qui traitait de la trisomie dans la petite école. Maintenant, il a voulu faire un état des lieux sur la fin de l’école jusqu'au contrat d’entreprise, jusqu’à un contrat d’embauche. Et comme son fiston (Vincent) traversait cette période-là, on a sauté sur l’occasion.

P.P. : En tant que réalisateurs, quand vous démarrez un tel projet, avec un trisomique, est-ce que vous vous dites : il y a des ornières dans lesquelles il ne faut tomber ; est-ce que vous vous préparez de façon particulière ?

G. B. : C’est une drôle de question… Pour ma part, je ne me la suis pas posée. Toi, Édouard, qu’est-ce que tu en penses ?

Édouard Cuel : Ce n’est pas tant avec quelqu'un qui est trisomique, que la situation est particulière. La particularité vient du fait  que l’un des deux réalisateurs est dans le film, et du coup se pose toute la question de l’intimité et de la pudeur. Dans un documentaire, d’habitude, on est plus extérieur, or dans le nôtre, on pénètre relativement profondément dans « l’intimité » des héros, beaucoup plus profondément qu’a l’accoutumé. Et c’est ça qui est compliqué à gérer, probablement.
Entre nous deux je ne sais pas, mais en tous cas si vous voulez, ce qu’il y avait d’intéressant, c’était qu’on était vraiment un petit groupe de trois. Il y avait Vincent, Gaël et moi. On ne vivait pas ensemble, non, mais enfin malgré tout on était beaucoup ensemble

P.P. : Y avait-il quelqu’un au son ?

E.C. : Pas toujours, mais souvent.

G. B. : Nous étions une équipe très resserrée.

E.C. : Ce qui permettait d’aller très loin dans l’intimité, d’autant que, puisque je suis à la fois le réalisateur et le papa, je pouvais alerter Gaël en lui disant : attention là il faut que tu sois là... ça serait intéressant de tourner ça… ou bien, j’aimerais bien que … des choses de ce genre.
Notre amitié, nous a permis de se lâcher. C’est au montage, plus tard, que la question de la pudeur s’est posée…

P.P. : Il y a certains passages où vous vous êtes dits : ça on ne le mettra pas ?

E.C. : En tous cas, il y certaines choses qui ont été en discussion.

P.P. : Combien d’heures de rush sur 3 ans de tournage ?

G. B. : Pas tant que ça, 60 h. C’était un tournage relativement ciblé.

P.P. : Vous vous donniez des rendez-vous pour filmer tels ou tels événements ?

E.C. : Oui, il y avait des étapes qui étaient relativement incontournables …
C’est clair que le résultat du CAP, il fallait le filmer… que l’entrevue où j’allais rencontrer l’inspectrice … que le moment où j’allais discuter avec le patron du restaurant à l’hôtel, il fallait les filmer.
Toute une série de situations était clairement une étape qui faisait forcément partie du film.

P.P. : Y a-t-il eu aussi des surprises ?

E.C. : Oui, il y a eu pas mal de surprises dans le sens où, quand on a commencé le tournage, on savait ce que l’on voulait filmer. La phase de fin d’école et d’entrée dans la vie professionnelle, mais on ne savait pas du tout comment ça allait se passer. Donc en effet, on ne pouvait pas tout prévoir.
En revanche, au fur et à mesure du temps qui avançait, il y avait des évènements qui s’avéraient indispensables.
Par ailleurs, survenaientsdes moments de vie quotidienne qu’on organisait un peu à notre guise, suivant les disponibilités.
Mais, par exemple, le vote, là encore on savait qu’il n’y avait pas 36 000 solutions, c’était les deux dimanches…

P.P. : Avez-vous eu des difficultés pour obtenir des autorisations de tournage, ou des gens qui ont montré des réticences à être filmés ?

E.C. et G. B. : (simultanément)
Oui, oui !

E.C. : Le bureau de vote par exemple. Il faut les convaincre dans l’instant…
Un peu de réticence dans l’air et puis en même temps, le vote, c’est le vote. C’est un acte public, les caméras sont parfois présentes sur les lieux de vote.
Il y a des situations toujours un peu compliquées comme celle de l’entreprise. En entreprise, il y a souvent une dimension « contrôle de son image ».
Nos contacts étaient favorables parce qu’ils soutenaient Vincent, ils étaient pour l’idée du film. Mais malgré tout, la perspective de notre présence en même temps que celle des clients a renforcé leur volonté de gérer la situation. Ils nous ont délimité des fenêtres d’accès, mais sans nous empêcher.Ils ont juste clairement cerné les situations, car ils ne voulaient pas non plus qu’on se mêle des aspects commerciaux.L’hôtel Ibis du Groupe Accor, l’entreprise de Vincent, nous a réservé un bon accueil. Avec tous les travers des entreprises, mais très ouverte quand même.
En revanche, quand on a voulu tourner dans un supermarché pour filmer les courses, alors là, rien à faire ! On s’est contentés du petit épicier en bas de chez moi.
Et l’école, alors là, c’était compliqué… Le lycée, pas de problème, on se connaissait bien. En revanche, l’établissement qui a suivi, le CFA (Centre de formation d’apprentis) :  pas moyen d’y mettre un doigt de pied !
C’est très variable, il n’y a pas d’évidence, c’est suivant les écoles.

P.P. : C’est un problème de rapport humain, Y a-t-il des gens qui sont plus ou moins à l’écoute, plus ou moins rigides, dans ce genre de situation ?

G. B. : et E.C. : Absolument

E.C. : Toutes les institutions, d’une manière ou d’une autre, sont traversées par le problème des personnes qui sont pour, et des personnes qui sont contre. L’intégration est désirée par certains et rejetée par d’autres.

G. B. : Notre projet de documentaire, destiné aussi à une diffusion en salles de cinéma a rencontré des difficultés pour maximiser financement. Il y a des handicaps moins vendeurs que d’autres : la trisomie est moins vendeuse que l’autisme, par exemple. On a trouvé un partenaire en production, avec une chaîne tv, parce que notre interlocuteur était concerné, de près ou de loin, par la trisomie ou par un handicap. Une chaîne parlementaire Public Sénat. La personne comprenait le message. Le combat pour l’intégration. Voilà pourquoi c’est très important pour nous que ce film soit en salle, qu’il puisse prolonger le combat.
 
P.P. : Une des scènes très émouvantes du film vous montre, vous Édouard, en plein désarroi et c’est Vincent qui vous réconforte.

E.C. : Oui, l’inspectrice qui s’occupait du cas de Vincent depuis des années, a été hospitalisée et a véritablement failli mourir alors que c’était sur elle que reposait toute l’opération… donc, quand vous me voyez craquer, c’est au moment de cette nouvelle.

P.P. : Où en est Vincent à présent ?

E.C. : Vincent en est là ou vous le voyez à la fin du film. Il a bien eu son CDI. Là, tout va bien. Il est 3e Dan de karaté, son prof est toujours avec lui, c’est un grand, grand, Monsieur. Vincent est toujours son assistant pour le cours des enfants. Il cherche toujours à rencontrer une femme.

P.P. :  Quel âge a votre fils maintenant ?

E.C. : Vincent a 26 ans, il en avait 22 au début du tournage. Il habite maintenant complètement chez moi.
Nos relations sont délicieuses et Vincent tend de plus en plus vers l’autonomie. A présent, il fait la lessive, les courses, prépare la cuisine, c’est agréable, c’est un vrai colocataire.
Il est assez récent que le handicap de la trisomie ne compromette pas l’espérance de vie. L’espérance de vie peut dépasser les 60 ans. Alors que faire en termes d’autonomie de vie ? On est encore très démunis face ces questions. Notre film porte sur l’intégration et même je dirais l’autodétermination.
Cette idée d’autodétermination dans l’univers du handicap est assez peu développée. Des foyers existent où les gens trisomiques sont très pris en main. Mais, il n’y a pas encore d’offre vraiment au point pour des gens qui sont, à peu près, autonomes. Il faut juste les accompagner dans le cadre de leur propre autodétermination. L’idée d’autodétermination n’est pas encore bien installée.

 


Trisomie et vieillissement : une institution pour unique horizon ?

Un documentaire, L’école de la vie, venu du Chili, montre une autre facette de la façon dont on s’occupe des trisomiques. Une institution pour unique horizon ?

 

Au Chili, Anita, Ricardo, Rita, Andrés et les autres prennent le bus scolaire qui les dépose dans leur école de cuisine. Comme tous les élèves, ils sont atteints du syndrome de Down, la trisomie 21. Anita, qui a 45 ans, dont quatre décennies passées dans l’école, s’ennuie et rêve d’épouser Andrés pour avoir une « vraie » vie. Ricardo fait des économies pour payer un loyer et des tas de factures comme tout le monde. Tout en confectionnant des gâteaux, qui sont vendus et leur rapportent un petit salaire, chacun fait des plans sur la comète…
Le documentaire de Maïte Alberdi nous invite, en toute discrétion, à suivre ces héros dans leurs joies et dans leurs peines. Un an de tournage en immersion offre un film sensible, fin et subtil. À la moitié du siècle dernier, les trisomiques n’avaient une espérance de vie que de 12 ans… aujourd’hui elle tend plutôt vers les 60 ans et même plus. Le film soulève la question des lieux d’accueil, quand en raison de leur âge avancé, les parents de trisomiques ne sont plus capables de les soutenir. Pas de voyeurisme ; l’extrême intelligence de la réalisation nous laisse le sentiment d’avoir vu une fiction.

Réalisation et scénario : Maïte Alberdi
Avec : Anita, Ricardo, Rita, Andrés
DVD : https://l-ecole-de-la-vie.com/2018/03/06/dvd/

 

 

par Pascal Pistacio