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Prendre en charge un patient sourd-muet quand on exerce en libéral

Se trouver face à un patient qui a des difficultés à s’exprimer n’est pas toujours évident à gérer pour un médecin libéral dans le cadre du colloque singulier. Des solutions existent pour les accompagner dans cette prise en charge et permettre un échange optimum avec le patient.

L'essentiel

• Bien parler en face (lecture sur les lèvres)
• Etre imaginatif : dessiner, mimer, écrire…
• En présence d’un accompagnateur s’adresser au patient (sans parler à la 3e personne !)
• Suggérer au patient de prendre un double RV (= plus de temps de consultation)
• Recourir à des outils comme les fiches Santé BD, l’imagier du centre hospitalier de Douai, les brochures de l’association Sparadrap (enfants)

« Il y a très clairement un manque de formation des médecins généralistes sur les pathologies liées à la surdité, à l’aphasie, l’autisme, à la déficience intellectuelle ou encore aux troubles du comportement en général », soutient Elisabeth Cataix-Nègre, conseillère technique en communication alternative et face au handicap en général, à l’Association des paralysés de France (APF) et à l’association Isaac Francophone.

Interaction

Si les structures hospitalières bénéficient de moyens, certes limités, qui leur permettent de prendre en charge bon an mal an ces patients, en libéral, les praticiens doivent trouver des solutions par eux-mêmes. Il existe des comportements simples à adopter pour aboutir à une bonne communication entre le praticien et le patient. Avec des patients sourds et/ou muets par exemple, il est important de bien parler en face d’eux, car nombre d’entre eux lisent sur les lèvres. « Le médecin peut aussi très bien dessiner, mimer ou même faire dessiner ou mimer la personne pour qu’elle puisse exprimer la raison de sa venue, ses douleurs, etc. », rapporte Elisabeth Cataix-Nègre. Ces patients peuvent également écrire pour exprimer leur ressenti ou alors montrer les lettres d’un alphabet. Il est important, lors de l’échange, que le médecin pose des questions simples afin de faciliter la réponse. Il ne doit pas hésiter à faire répéter le patient s’i ne l’a pas compris.

Confidentialité

Autre solution : les patients peuvent se faire accompagner par un membre de leur famille ou un traducteur en langue des signes. « À un certain stade, la question de la confidentialité de l’échange se pose, reconnaît Elisabeth Cataix-Nègre. Parfois, l’usage du mime ou de l’écriture suffit, mais pour certaines consultations, ce n’est pas possible et le recours à un traducteur s’avère nécessaire. » C’est le cas avec des patients déficients car le rendez-vous est plus difficile à organiser sans accompagnateur. Dans tous les cas, en présence d’un accompagnateur, le praticien doit toujours s’adresser au patient, et éviter de parler de lui à la troisième personne lorsqu’il est présent dans la salle de consultation. « Nous avons d’ailleurs diffusé des affiches sur le sujet pour éviter ce type de comportement de la part des professionnels de santé », fait savoir Elisabeth Cataix.

Consacrer du temps

Ce type de consultation prend du temps pour les médecins libéraux, payés à l’acte, qui ont généralement une vingtaine de minutes à consacrer aux patients. « Que ce soit à l’hôpital ou chez les libéraux, il y a une discrimination sur les temps de consultations, regrette Elisabeth Cataix-Nègre. Pour les consultations en libéral, nous conseillons aux patients de d’abord prendre rendez-vous en fin de journée et de demander un double rendez-vous. Mais il est vrai que les personnes ayant des déficiences intellectuelles ont des difficultés à patienter en salle d’attente. Or, lorsque, le rendez-vous est en fin journée, le médecin a généralement accumulé un peu de retard. »

Les outils disponibles

Pour aider le praticien à prendre en charge des patients avec des difficultés d’expression, de nombreux outils sont accessibles. Le site Santé BD fournit des fiches, gratuites et accessibles sur Internet ou sur tablette. Elles expliquent le déroulement d’un soin ou d’une consultation avec des dessins et des phrases courtes, faciles à comprendre. Elles ont été réalisées par des personnes formées en communication adaptée et des professionnels de santé, avec l’avis de personnes en situation de handicap. Elles s’adressent aux professionnels de santé pour les aider à donner des explications faciles à comprendre à leurs patients. Ces fiches peuvent aussi être utilisées par les personnes qui souhaitent mieux comprendre les consultations ou les soins ou encore les personnes ayant des difficultés pour comprendre et parler. Depuis le site Internet et sur tablette, le praticien peut par exemple cliquer sur une spécialité médicale (médecine générale, anesthésie, chirurgie-dentaire, gynécologie), choisir la particularité du patient pris en charge (autisme, sourd, malvoyant, aphasique), sélectionner s’il est ou non en fauteuil roulant, son sexe ainsi que celui du médecin. En fonction des situations, des fiches illustrées correspondantes et adaptées, s’affichent et peuvent être téléchargées.

 

 

Autre outil : l’imagier du centre hospitalier de Douai, créé pour faciliter la communication entre les professionnels de santé et les patients qui ne peuvent pas s’exprimer oralement. Cet imagier est organisé autour de cinq chapitres avec, au sein de chacun d’eux, des images qui y correspondent : présentation du personnel soignant, recueil des données, aspect somatique, aspect psychologique, puis antécédents psychiatriques et facteurs de risques. « Ce type de fiches peut parfaitement être imprimé par le professionnel de santé libéral qui le garde dans son tiroir pour pouvoir l’utiliser lorsque cela s’avère nécessaire », souligne Elisabeth Cataix-Nègre.

Le site Internet de l’association Sparadrap, Sparadrap.org, fournit des brochures pour la prise en charge des enfants et permet de préparer une consultation notamment lorsque l’enfant doit se faire opérer. Enfin, sur le site Internet Isaac Francophone (actuellement en reconstruction) de nombreuses fiches de dialogue sont disponibles pour permettre aux médecins d’échanger avec des patients confrontés à des difficultés de communication.

« La communication qui va résulter de l’ensemble de ces consignes va probablement être multimodale : gestuelle et mimée, pictographiée et désignée, oralisée, écrite, épellée, synthétisée. Mais en respectant cette écoute active, le praticien améliore la relation, la participation de la personne, et participe à diminuer son handicap », conclut Elisabeth Cataix-Nègre.

Laure Martin, rédigé et publié en mars 2018


2 films-documentaires décryptent la communication entre et avec les malentendants et muets

"Signer" de Nurith Aviv

Dans son documentaire, la réalisatrice Nurith Aviv éveille à l'intercuturalité que porte LES langues des signes.

Dans le Cratyle, au Ve siècle av. J.-C., Platon fait dire à Socrate : « Si nous étions privés de langue et de voix, et que nous voulussions nous désigner mutuellement les choses, ne chercherions-nous pas à nous faire comprendre, comme les muets, au moyen des signes de la main, de la tête et de tout le corps ? ».

« Signer en langue des signes, c’est comme prononcer en langue parlée. ». C'est ce qu'affirme Nurith Aviv au début de son passionnant documentaire. Dès la première minute du film tout est dit… Emmanuelle Laborit, emblématique actrice sourde, signe le mot bleu en 11 langues : française, espagnole, italienne, algérienne, jordanienne, anglaise, américaine, russe, chinoise et japonaise. Ses mains virevoltent, son visage s’anime, son corps rayonne.

Grammaire, syntaxe, géographie, culture

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la langue des signes américaine n’a rien à voir avec l’anglaise, mais pour des raisons historiques, elle est proche de la française. Mille et une cultures, mille et une langues signées.

Les langues des signes s’enrichissent au fil de la sédimentation des générations.
Elles évoluent aussi avec les technologies.Le téléphone portable et l’ordinateur sont des outils formidables.

La façon de signer certains mots indique le mode de vie. Par exemple pour dire : l’année, dans la population bédouine d’Al-Sayyid, c’est le geste de couper le blé avec la main ; non loin de là, dans le village palestinien de Kafr Qasem, celui de couper le blé avec une faucille.  La joie et l’intelligence irriguent ce film.

Réalisation et scénario : Nurith Aviv
Avec : Emmanuelle Laborit, Pr. Wendy Sandler, Pr Irit Meir, Gal Naor, Aviva Cohen, Meyad Sarsour-Ndaye, Daniel Ndaye
Durée : 1h sortie le 7 mars

"Hair" de Mahmoud Ghaffrari

À Téhéran, trois jeunes femmes s’entrainent au karaté un bonnet sur la tête.  Sur un geste involontaire l’une reçoit un coup au visage. Aussitôt s’installe un conciliabule en langue des signes entre excuses et fous rires.

 

Au dos du kimono de hirin, Shabbnam et Zahra :  I R IRAN. Elles font partie de l’équipe de sportifs iraniens devant se rendre en Allemagne pour des championnats du monde. Quatre jours avant leur départ pour l’Europe, lors d’un entrainement, une responsable du ministère de la Religion, voilée de la tête aux pieds, vient faire un reportage filmé. Elle s’offusque du fait que les nuques, les poignets et les chevilles des karatékas ne soient pas recouverts, exige immédiatement le port du hidjab, et, compte bien en avertir les autorités religieuses. L’entraineuse explique qu’elles ont reçu l’autorisation de mettre des bonnets, les instances internationales n’acceptant pas les signes religieux. Malgré leur surdité, Shirin, Shabbnam et Zahra comprennent très bien l’enjeu et comptent tout faire pour participer à la fête mondiale du sport. Mais malheureusement cette affaire de cheveux va tourner au drame.

Mahmoud Ghaffrari filme de façon âpre cette histoire de foulards. Ces héroïnes, vraies sourdes et muettes et vraies sportives, ne sont pas actrices. Sa caméra leur colle à la peau. Il filme cette fiction avec l’urgence d’un documentaire sous haute tension. Tourner dans les rues de Téhéran une telle histoire parait impossible, mais Mahmoud Ghaffrari, qui est barbu, explique que c’est le plus malicieux des camouflages !

Radicalité

Le réalisateur a fait des choix radicaux, comme ne pas traduire les conversations en langue des signes, nous faisant réaliser ainsi combien ces femmes sont expressives.

Certaines scènes sont sans son comme les vivent les trois filles.
Sans fioriture, il capte la surdité du politico religieux face aux femmes.

En plus d’être des sportives de haut niveau, elles ont des copains, apprennent l’anglais en langue des signes, cajolent chiens et chevaux, communique par Skype et affronte l’administration. Shirin, Shabbnam et Zahra prennent la vie à bras le corps comme tous les jeunes de leur âge.

Réalisation et scénario : Mahmoud Ghaffrari
Avec : Shabbnam Akhlaghi, Zahra Bakhtiari, Shirin Akhlaghi
Durée : 1h 18 Sortie 7 mars

 Pascal Pistacio, mars 2018

par Laure Martin et Pascal Pistacio