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Bruits de Think Tanks

L’Institut Montaigne a mis en ligne son rapport Innovation en santé : soignons nos talents. Il comporte 19 propositions pour « faire de la France un leader de l’innovation en santé ». L’objectif fait consensus, mais quelle stratégie envisage cet Institut classé comme libéral ? Elle repose sur un certain nombre de paris. Au vu de l’influence politique accrue de l’Institut, une plongée dans le rapport n’est pas sans intérêt.

Par Maël Lemoine,

Professeur de philosophie des sciences médicales, Université de Bordeaux

Adopter un Pacte Innovation Santé 2025 porté par le ministère de la Santé

Cette première proposition donne le ton du rapport. Elle enjoint essentiellement les pouvoirs publics à définir les bonnes priorités et à s’y tenir pour éviter les revirements et le saupoudrage. L’efficacité de l’action publique pour favoriser l’innovation, selon le rapport, est à ce prix : les acteurs, publics et privés, doivent pouvoir compter sur la constance des pouvoirs publics pour oser prendre le risque d’investir leurs ressources sur un projet. En Outre, l'2tat doit acquérir la culture de l'évaluation.

 "l’État doit acquérir la culture de l’évaluation."

Sur un ton certes courtois, l’efficacité des cancéropôles est tout de même remise en question. C’est assez plausible, même si ce n’est pas démontré par le rapport. En revanche, les IHU et les SIRIC sont loués. Toujours sans réelle démonstration. Il est vrai qu’un rapport qui préconise n’est pas un rapport qui évalue. Mais est-ce une absurdité de ne pas déconnecter les deux démarches ?
Pour les acteurs publics, il s’agirait ensuite de pouvoir recruter à l’international en disposant d’une plus grande flexibilité dans le salaire des chercheurs, de fait peu attractifs en France en comparaison avec les Etats-Unis. Attirer un ensemble de « stars » par des salaires plus élevés coûterait, il est vrai, une somme négligeable au regard des sommes engagées. Cela comporte aussi l’avantage d’attirer probablement des financements externes plus importants, que ce soit de la commission européenne ou d’acteurs privés. Mais l’attractivité d’un pays, pour un chercheur, ne dépend pas que du salaire ou du rapprochement avec le secteur privé. Elle dépend aussi de la qualité de vie, de la langue parlée, et de la culture, paramètres fixes plutôt que variables.

"il s’agirait ensuite de pouvoir recruter à l’international en disposant
d’une plus grande flexibilité dans le salaire des chercheurs"

Le rapport souligne enfin la nécessité d’une concentration géographique et jette son dévolu sur la ville de Lyon, qui pourrait servir de « hub » de l’innovation française en matière de santé. Il est vrai que l’agglomération lyonnaise concentre déjà un grand nombre d’atouts, industriels et universitaires : il s’agirait pour l’État de miser sur cette ville pour faire effet de levier.

"La ville de Lyon, qui pourrait servir de « hub »
de l’innovation française en matière de santé"

Un virage majeur vers les technologies « applicables »

Quelles priorités pour l’innovation en France en matière de santé ?
Même s’il en appelle à la concertation, l’Institut préconise tout de même de privilégier quatre secteurs : les biotechnologies, les dispositifs médicaux, la santé numérique et les données en santé. La rupture, ici, c’est de ne plus raisonner en termes de pathologies ou de populations prioritaires : exit le « plan cancer » ou d’autres « plan Alzheimer ». En revanche, l’accent mis sur ces secteurs marginaliserait une approche qui prévaut aujourd’hui dans la recherche française en santé : l’exploration des mécanismes des pathologies et des traitements, au profit d’approches rapidement transférables à des technologies d’application – ce que l’on appelle la valorisation. Il s’agirait d’un pari stratégique majeur : si en effet la recherche dite « fondamentale » aboutit plus rarement à des applications, la recherche dite « appliquée » les cherche par définition.

"Nos smartphones sont encombrés d’applications
qui « valorisent » sans apport démontré pour la santé"


Qui accueillerait favorablement ce virage, devrait répondre à une question. En effet, ce qui compte pour les pouvoirs publics n’est pas l’existence d’applications possibles. C’est leur efficacité pour améliorer la santé des populations. Aucune des deux approches, l’accent mis sur la recherche fondamentale, ou l’accent mis sur la valorisation, ne saurait le garantir. Pour ne prendre qu’un exemple, nos smartphones sont encombrés d’applications qui « valorisent » sans apport démontré pour la santé.

Les big data : la nouvelle « machine that goes ping » ?

Sur les quatre secteurs évoqués dans le rapport, deux sont plus traditionnels, les biotechnologies et les dispositifs médicaux. Si les Français le savent peu, les géants de l’industrie pharmaceutiques nationale ont accumulé du retard dans les domaines les plus innovants, notamment celui des « biomédicaments », et n’occupent vraiment le terrain que des traitements plus traditionnels.

"Les géants de l’industrie pharmaceutiques nationale ont accumulé du retard
dans les domaines les plus innovants, notamment celui des « biomédicaments »"


Les deux autres secteurs sont dans l’air du temps et occupent manifestement la première place dans l’esprit des rédacteurs du rapport : il s’agit des « données massives » en santé. Les atouts de la France sont célébrés : la matière première – les bases de données de la sécurité sociale et des hôpitaux – et la matière grise – l’excellence de la recherche française en informatique et en mathématiques. Il s’agirait seulement de créer un écosystème favorable en orientant une partie de ces dernières vers les questions de santé, en orientant les formations de santé vers ce secteur, et en assouplissant les règles d’accès aux bases de données en question, pour les acteurs publics et privés.
Ici encore, il s’agirait d’un pari. Beaucoup de chercheurs sont encore sceptiques sur ce que peuvent apporter réellement ces approches dans les questions de santé. S’il est incontestable que beaucoup de pays s’y engagent lourdement et que beaucoup d’entreprises valorisent facilement dans ce domaine, on peut être plus circonspect sur les avancées en matière d’amélioration de la santé que ces valorisations apporteraient. Doit-on faire ce pari ? Les médecins doivent toujours avoir en tête l’exemple de « la machine qui fait ping » inventée par les Monty Python [https://www.youtube.com/watch?v=NcHdF1eHhgc]. L’exploitation de bases de données existantes coûterait sans doute bien moins cher que l’acquisition de bases de données nouvelles fondées sur le séquençage, pratiqué à large échelle. Il paraît incontestable qu’une exploitation intelligente de ces données pourrait au moins permettre d’améliorer l’efficience des parcours de soin des Français et de dégager ainsi des marges de manœuvre pour financer certaines innovations. Mais l’intérêt de l’accès à ces données pour l’optimisation financière des polices d’assurance ne fait pas de doute non plus. On voit aussi fleurir beaucoup d’applications de santé à la qualité cependant assez variable, du moins, à l’aune du seul critère qui compte : améliorent-elles la santé de leurs utilisateurs ? Mais si les données génomiques bénéficient d’un très grand engouement dans la recherche depuis maintenant 10 ans, les avancées thérapeutiques ne sont pas vraiment au rendez-vous, au moins pour le moment.

Faire le pari ?

Si le lecteur n’est pas d’emblée hostile aux propositions de l’Institut, il n’est pas non plus convaincu. Pourquoi, au fond, faudrait-il réorienter de l’argent public qui se concentre vers la recherche fondamentale au profit d’une recherche tournée vers les applications ? Posée ainsi, la question attend une réponse évidente : l’argent de la recherche n’est pas là pour faire plaisir aux chercheurs. Mais le terme « applicable » est équivoque. Qui dit « valorisable » ne dit pas nécessairement : « utile ». Certes, une partie de la recherche fondamentale ne trouve jamais d’application. Mais faut-il le rappeler ? La recherche est un pari, ce n’est pas une industrie qui garantit sa production. Certains estiment que l’argent public doit se concentrer sur la recherche fondamentale et que la législation doit simplement favoriser l’écosystème de la valorisation de la recherche.
S’il paraît évident qu’il faudrait trouver une sorte d’entre-deux entre financement de la recherche fondamentale et financement de la recherche « valorisable », il appartient aux citoyens de se prononcer sur cette question.


Le reste de l’actualité des Think Tanks en bref

Enquêtes et baromètres
Sur la vaccination [https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/dit-science-propos-11-vaccins-obligatoires-en-france-partir-2018]
Sur le facteur humain dans la prise en charge [http://www.odoxa.fr/sondage/barometre-sante-360-lhumain-sante/]
Sur les maladies chroniques [https://www.egora.fr/actus-medicales/sante-publique/35569-le-poids-grandissant-des-maladies-chroniques]
Sur la sécurisation des bases de données de l’assurance maladie [https://www.cnil.fr/fr/sniiram-la-cnamts-mise-en-demeure-pour-des-manquements-la-securite-des-donnees]

Réforme du système de santé
Rapport de l’Institut Montaigne [http://www.institutmontaigne.org/blog/sante-la-grande-transformation]
Rapport du conseil national de l’ordre [https://www.conseil-national.medecin.fr/node/2470]
Rapport de la mutualité française [https://www.mutualite.fr/actualites/reste-a-charge-zero-la-mutualite-met-en-debat-ses-premieres-reflexions/ et https://placedelasante.mutualite.fr/sante-reste-a-charge-comportement/]
Rapport de Terra Nova [http://tnova.fr/notes/medecine-de-ville-le-pari-de-la-jeunesse-0c9fa045-0cc8-47d7-8761-a95c20f30d52]

par Maël Lemoine