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EgArt, valoriser l'artiste, pas son handicap

Depuis Jean Dubuffet et l’invention du concept d’art brut en 1945, la place de l’artiste « hors norme » socialement ou psychiquement n’a cessé d’évoluer. L’association EgArt aide à faire reconnaître par le milieu artistique, sur la seule base de leur création, des artistes souffrant de handicap mental ou psychique. Entretien avec sa présidente, Bernadette Grosyeux et Marie Girault, critique d’art et chef de projet de l’association.

par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

B Grosyeux egartIssue du milieu mutualiste, l’association EgArt a été fondée en 2010 par Bernadette Grosyeux. Directrice générale du Centre de la Gabrielle(1) qui accueille des adolescents et des adultes en situation de handicap mental, elle mène une réflexion en profondeur sur la différence entre l’art thérapie qui participe d’un processus médical et la création artistique. « L’idée de départ est simple ! Apporter un soutien aux personnes quand elles sont artistes avec une œuvre à promouvoir. Créer les conditions pour leur permettre l’accès au marché de l’art et défendre leur propriété en déplaçant l’action en dehors des circuits médico sociaux et psychiatriques », explique Bernadette Grosyeux.

Une longue réflexion pour un positionnement unique

Conseils juridiques, soutien personnalisé, protection des droits moraux et patrimoniaux, recherche de lieux d’exposition et de collectionneurs, vente en galerie ou aux musées : « Notre posture est très précise. Nous l’avons travaillée pendant des mois. EgArt propose un contrat de mandat aux artistes qui permet à l’association de se positionner par rapport aux familles, aux tuteurs et au marché de l’art. Rien ne se passe sans que l’artiste exprime sa volonté de travailler, d’exposer ou de vendre, qu’il soit sous tutelle ou pas. Et s’il n’est pas en mesure de s’exprimer, aucun contrat ne sera signé. C’est une règle ! » insiste B. Grosyeux qui se réjouit que la charte éthique de l’association commence à faire référence au niveau européen. Parmi les garanties de cette charte quelques principes essentiels : personne n’a à justifier de son handicap, seul l’appel à l’association fait foi ; dans la communication sur ses œuvres, c’est l’artiste qui autorise ou pas l’association à faire mention de son handicap. Par ailleurs, pour éviter toute spéculation, aucun membre du conseil d'administration d’EgArt ne peut acheter une œuvre sans qu’elle ait été exposée au préalable, ni la vendre avant une période de cinq ans.

Notre posture est très précise. Rien ne se passe sans que l’artiste exprime sa volonté de travailler, d’exposer ou de vendre, qu’il soit sous tutelle ou pas.

Un  processus de sélection bienveillant  mais rigoureux  

Qui contacte l’association ?  Pourquoi ? Dans quel cadre ? Les premiers échanges avec les artistes s’entourent de beaucoup de précautions que rappelle Marie Girault, chef de projet à l'association : « Les parents sont-ils impliqués, y a-t-il un art thérapeute dans le processus d’accompagnement de l’artiste et où en est-il dans sa démarche personnelle et artistique ? Il peut parfois s’agir d’un appel au secours. Il est indispensable de bien clarifier la demande et de rappeler le cadre d’EgArt et ses limites ». Dans un second temps, l’artiste envoie des images qui vont être étudiées par des experts. « Nous demandons 4 ou 5 images d’une même série qui constituent un ensemble dans le temps et l’espace. Si le travail est solide, une rencontre est organisée. En cas de refus, nous le justifions en encourageant et en rappelant que le chemin peut être long.»  

Marie Girault qui a rejoint EgArt depuis bientôt deux ans se réjouit de voir le développement de l’association sur le marché de l’art. « Fin 2017, un appel à candidature a été lancé via le magazine d’art Artension et les réseaux sociaux. Nous avons pu constater qu’EgArt est désormais perçu comme un acteur culturel à part entière. »  Au-delà des frontières également puisqu’au mois d’octobre dernier, les œuvres de quatre artistes d’EgArt ont été exposées à Kyoto avec celles de huit artistes japonais.  L’occasion pour EgArt de rencontrer une dizaine d’auteurs, futurs artistes potentiels, dans deux centres médico-sociaux de Kyoto. « Le Japon a lui aussi un travail à faire pour désinstitutionnaliser le soutien. Comme la France, il doit réfléchir  au statut de ces artistes et comment créer des passerelles avec le monde de l’art ».

EgArt Jerome Turpin 015 WEB

#ArtSansExclusion, un  fonds de dotation pour soutenir les artistes en situation d’exclusion

Signe de l’importance d’EgArt dans l’accompagnement des artistes, l’association été mandatée par divers acteurs mutualistes ou financiers (2) pour constituer une collection d’Art brut et d’art actuel. Constituée sous l’égide d’une experte en art contemporain, cette collection intitulée « Extra-Ordinaire(s) ! » comporte aussi bien des artistes déjà présents dans les musées que des créateurs pas ou peu connus. Itinérante, elle est mise à disposition des institutionnels et des entreprises pour faire progresser la réflexion sur les liens entre art, création et handicap. En 2018, quatre artistes ont fait leur entrée dans la collection. Parmi une sélection exigeante, les remarquables mines de plomb de Claire Lancien, et les P’tit Lilou de Leila Delasalle rejoignent les toiles autobiographiques de Jérôme Turpin (ci-à droite) , Je suis en pleurs dans les bras d’Amma ou les portraits solaires de Sébastien Proust.

Depuis 2010, seize artistes ont été repérés par EgArt. L’un d’eux, Gaël Dufrène, est entré dans les collections du musée d’Art brut de Lausanne


Des résultats plus qu'encourageants

Depuis 2010, seize artistes ont été repérés par EgArt. L’un d’eux, Gaël Dufrène, est entré dans les collections du musée d’Art brut de Lausanne, six dans le fonds de dotation. Cinq galeries ont vendu les artistes EgArt : la meilleure preuve qu’on peut lutter contre les discriminations en matière artistique et défendre, à armes égales, la création d’artiste en situation de handicap sur le marché de l’art.


Le site de l’association EgArt
Retrouvez les univers riches et créatifs des artistes EgArt sur le site internet de l’association. Il présente en détail l’association, ses missions et sa charte éthique ainsi que le calendrier des dates d’appel à candidature et celui des conférences.  Un outil précieux pour connaître les modalités de signalement et les contacts pour proposer un parrainage ou se renseigner sur les conditions d’exposition.
https://egart.fr/

Visionner un film sur Gaël Dufrène (2016)


 Notes

(1) Le centre de la Gabrielle fait partie des oeuvres sociales de la Mutualité Fonction Publique Action Santé Social (MFPASS)
(2) MGEN, Matmut et INTER INVEST.

par Laurent Joyeux