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Liens sociaux et maintien de la distance en temps de Covid 19

Les règles de distanciation et les mesures barrière modifient la routine des relations sociales. Une étude internationale en cours va permettre d’étudier l’impact du confinement sur les gens dans la durée et selon les cultures. Entretien avec le Dr Guillaume Dezecache qui coordonne la partie française du projet.

 Par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

dr dezecache liens sociaux maintien distance covid 19 INTMaître de conférence en psychologie à l’université de Clermont Auvergne, le Dr Guillaume Dezecache fait partie de l’unité CNRS Lapsco (laboratoire de psychologie sociale et cognitive) qui étudie la cognition depuis ses bases cérébrales jusqu’à sa régulation, sous l’influence de l’environnement social. Il s’intéresse au comportement social chez les humains et les grands singes. Pour lui, le cerveau est toujours « social ».  Avec le Dr Marwa El-Zein (University College London) et le Pr Ophelia Deroy (LMU Munich), il propose la version française d’une enquête en ligne internationale sur l’effet de la distanciation sociale pendant la pandémie de Covid-19.

Plusieurs paramètres seront étudiés. Pourquoi les gens adhèrent aux mesures barrières ? De quelle manière les interactions sociales sont-elles impactées ? Comment évolue le moral des confinés ? La grille de questions pointe entre autres paramètres, les modes et le nombre de communications pendant le confinement ; le positionnement par rapport aux règles, à la société et aux autres ; le degré de perception du danger. Pour le Dr Bahar Tunçgenç de l'école de psychologie de l’université de Nottingham « C’est une occasion unique d'examiner comment les valeurs culturelles jouent un rôle dans les expériences des gens (…) et d'aider à élaborer des politiques efficaces.». Pour cela, il faut comprendre les besoins sociaux, psychologiques et culturels des gens.

Dr Dezecache, quels sont vos sujets d’étude ?

Je travaille sur les réactions aux situations de danger et à la menace. Ouragan Katrina, attentat du Bataclan, épidémie : comment les organismes répondent-ils à ces situations extrêmes ? Les réponses sont souvent pro-sociales et coopératives. Or, la spécificité du Covid 19 est d’imposer de nouvelles règles sociales basées sur l’isolement. Nous nous intéressons aux raisons qui font que les populations respectent ou pas ces règles de distanciation sociale.

Comment fonctionne l’équipe de chercheurs de ce questionnaire ?

Il s’agit d’une équipe internationale pilotée par le Dr Bahar Tunçgenç. Nous sommes trois chercheurs français issus de Normal Sup qui avons insufflé dans ce projet notre vision sur les risques de la désinformation, des fake news et de la tendance naturelle de l’homme à croire plutôt ceux qui lui sont chers que les sources dites « sérieuses ». Le questionnaire est proposé dans plusieurs langues car nous ciblons un large panel de pays : l’Australie, le Bangladesh, la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Iran, l’Italie, le Liban, l’Espagne, la Suède, la Turquie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Au début de l’étude, nous avons émis trois ou quatre hypothèses sous pli scellé. Nous vérifierons dans trois mois, à la fin de la crise européenne, si elles se vérifient mais rien ne nous empêche de commencer à observer les résultats. Un des intérêts majeurs de ce questionnaire est de proposer aux volontaires une nouvelle série de questions deux semaines après la première.

Pourquoi adhère-t-on ou pas aux règles ?

Pas mal de chercheurs semblent penser que les humains manquent de rationalité. Je pense que la force sociale est plus forte que l’obéissance à une règle. On adhère aux consignes par mimétisme et conformisme social. Les réponses sont culturellement géographiques et collectives plutôt qu’indépendantes. La conscience de soi de l’individu comme membre d’un groupe, pourrait aussi être plus forte en Asie, l’individualité plus marquée aux États-Unis ou en Europe du Nord.

La réaction devant la menace est-elle de fuir ou de rester à l’abri ?

On retrouve des disparités au sein des communautés. Pendant l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans par exemple, certaines personnes ont choisi de ne pas évacuer. Il s’agissait d’une population vulnérable économiquement, avec peu de moyens. Elles se sentaient membre d’une force sociale qui ne pouvait pas être déplacée. Un facteur de collectivisme qui répondait à des normes de coopération pour s’en sortir.

Les réponses des rescapés du Bataclan à des situations de danger extrême n’ont pas été basées sur le modèle de la panique. Elles ont été plutôt coopératives, très éloignées de la cohue et des scènes de piétinement. La coopération est inscrite en nous, c’est le mode par défaut des humains. La panique est une construction « cinématographique » et souvent, le problème n’est pas que les gens évacuent mal, dans la panique, mais qu’ils n’évacuent pas du tout.

Quelles sont vos premières observations sur les effets de la distanciation sociale ?

Solitude ou promiscuité, les effets de la durée commencent à se faire sentir dans les foyers où la perception du danger est très variable. Par exemple, la présence d’une personne vulnérable dans un foyer en augmente l’implication. Nous observons que certaines populations vivent plus facilement les règles. Cela fait débat interne entre les membres de l’équipe qui pensent que c’est un effet dynamique et ceux qui optent pour des raisons culturelles.

 

L’équipe cherche des volontaires pour participer à l’enquête en ligne.

Elle peut être consultée ici

 
par Laurent Joyeux