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Cas clinique

Le scorbut existe encore en France

Un nourrisson de sexe masculin né le 16 mai 2018, a été hospitalisé du 3 juillet au 10 juillet 2020, pour altération de l’état général et gingivorragies. Il s’agit du 6e enfant d’une fratrie au sein de laquelle, il est retrouvé des antécédents d’asthme et de sténose pulmonaire. La grossesse a été découverte à 25 SA et il est né par césarienne un mois avant le terme, pour stagnation de poids foetal...

Par le Dr Patrice Serge Ganga-Zandzou, Fédération médico-chirurgicale de pédiatrie, centre hospitalier, Roubaix (59)

Le cas

La consultation du carnet de santé, n’a objectivé aucun suivi particulier et aucune vaccination n’a été entreprise. Il présentait par ailleurs un retard de développement psychomoteur, avec stations assise acquise à 12 mois et debout à 15 mois. Il commençait tout juste à se déplacer sans acquisition de la marche. Il présentait par ailleurs un retard de langage, ne prononçant que « maman ».

L’histoire de la maladie a débuté le 2 juillet par l’apparition d’une douleur du membre inférieur gauche avec refus d’appui associée à une asthénie. Il n’était noté ni traumatisme, ni fièvre au domicile.

Il a été reçu aux urgences pédiatriques 24 heures plus tard, pour altération de l’état général, douleurs des membres inférieurs, gingivorragie et pétéchies dans la cavité buccale.

A l’admission, il pesait 10 kg 710 (-1 DS), mesurait 83 cm (- 1DS) et son périmètre crânien mesurait 47 cm (-0,8 DS). La prise de constantes montrait une température à 36°5, une tension artérielle à 109/79 mm de mercure, un pouls à 115 par minute et une saturation à 100 % sous air ambiant. Il présentait une pâleur cutanée. Son abdomen était dépressible sans masse palpable. L’examen de la cavité buccale retrouvait une hypertrophie gingivale avec gingivorragies et de nombreuses pétéchies en fond de gorge. L’auscultation cardio-pulmonaire était sans particularité. La mobilisation des membres inférieurs ou la mise en position assise déclenchaient une douleur des membres inférieurs. L’examen neurologique mettait en évidence une hypotonie généralisée avec amyotrophie. Les réflexes ostéo-tendineux étaient normaux et les pupilles normo-réactives. Il n’était retrouvé ni syndrome pyramidal, ni déficit sensitivo-moteur. Un retard psychomoteur était noté avec des Interactions difficiles.

Le bilan biologique retrouvait des globules blancs à 10 960 par mm3, une hémoglobine à 9,1 g/dl avec un VGM à 58µ3, des plaquettes à 664 000 par mm3. La coagulation montrait un TP à 78,5 % et un TCA à 38,5/29 secondes. La gazométrie objectivait un pH normal à 7,42 et une capnie à 33,4 mm de Hg. Le ionogramme sanguin, le bilan hépatique, les taux de lactate, de créatine phospho-kinase, d’acide urique et de Lactico-déshydrogénase ainsi que les dosages de CRP et de procalcitonine étaient normaux. Le fer sérique était normal à 19 µg/dl (normes : 14-150) avec une ferritinémie et une capacité de saturation en sidérophylline effondrées respectivement à 7,6 ng/ml (12-55) et 4% (20-40%). La pré-albumine était abaissée à 0,09 g/l (0,10-0,40). Les Immunoglobuline A (IgA) totales se révèlaient normales à 0,78 g/l (0,60-2,7) avec des IgA anti-transglutaminases tissulaires à 3,4 u/ml (0,3-6,9). Le test de la sueur était normal avec 39 mmol/l de chlore sudoral. L’élastase fécale était à 130 µg/g de selles (normale supérieure à 200) et la stéatorrhée serévélait normale.

Les dosages de vitamines montraient un taux de 25 hydroxy- vitamine D à 23,8 ng/ml (20-100), de vitamine A à 0,8 (0,45-2,36), de folates à 7,32 ng/ml (normale supérieure à 5,38) et de vitamine K à 1593 ng/l (150- 900). Seul le dosage de vitamine C était effondré, inférieur à 3 µmol/l (26-85).

Les sérologies EBV, CMV étaient en faveur d’une infection ancienne et la sérologie syphilis était négative. Les radiographies des membres inférieurs et du bassin ne montraient pas d’anomalies particulières.

Questions essentielles

• Quel est votre diagnostic ?

• Quel bilan demandez-vous ?

• Quels sont les diagnostics différentiels ?

• Quels traitements proposez-vous ?

Quel est votre diagnostic ?

L’association des symptômes cliniques suivants : altération de l’état général, hypotonie généralisée, amyotrophie, gingivorragies, douleurs des membres et la carence en vitamine C étaient en faveur d’un scorbut associé à une anémie par carence martiale. On sait en effet que la vitamine C est un puissant facilitateur de l’absorption du fer non héminique.

Une enquête nutritionnelle a confirmé l’existence d’un déséquilibre alimentaire au domicile avec absence de prise d’aliments solides, de fruits et de légumes frais, apports essentiellement constitués de Bledidéj, Bledisouper et de lait UHT. On sait notamment que la pasteurisation et la stérilisation du lait réduisent considérablement sa teneur en vitamine C.

Quel bilan demandez-vous ?

Devant une association de tels symptômes le bilan doit rechercher une cause hématologique par hémogramme, une anomalie de la coagulation (TP, TCA, facteurs de coagulation), une cause nutritionnelle par carence d’apports ou malabsorption (ionogramme sanguin, préalbumine, bilan martial, folates, vitamines liposolubles et hydrosolubles, stéatorrhée, élastase fécale), une cause inflammatoire ou infectieuse (CRP, ferritine, sérologies virales et bactériennes), une cause traumatique par des radiographies.

Quels sont les diagnostics différentiels ?

Les diagnostics différentiels sont représentés par les traumatismes accidentels ou volontaires (maltraitances), les troubles de la coagulation, les affections hématologiques, les troubles du métabolisme du cuivre, les carences en vitamine D ou la syphilis. Car, en effet, ces différentes affections peuvent entrainer des lésions osseuses, des signes hémorragiques cutanéo-muqueux et des lésions des phanères.

Quels traitements proposez-vous ?

Le traitement proposé comprenait supplémentation en vitamine C à la dose de 100 mg matin et soir et en fer à raison de 10 mg de fer métal par kg de poids, associé à une prise en charge orthophonique pour stimuler l’oralité. Le comportement alimentaire en cours d’hospitalisation a été jugé satisfaisant avec augmentation progressive des quantités ingérées à la cuillère jusqu’à parvenir à une alimentation normale. L’évolution a ainsi été favorable avec arrêt des gingivorragies, disparition des douleurs des membres inférieurs, acquisition d’un meilleur tonus et maintien d’une station assisse plus longtemps.

L’examen ORL et le bilan auditif réalisés pour retard de langage étaient rassurants. Après sa sortie d’hospitalisation, ce nourrisson a bénéficié d’un suivi hebdomadaire en PMI pour surveillance du comportement alimentaire, de sa croissance staturo-pondérale et rattrapage vaccinal.

Après 2 mois, de supplémentation en vitamine C et en fer, il a été revu en consultation. Il avait un bon état général et n’a plus présenté de gingivorragie depuis son hospitalisation. Outre, une légère pâleur cutanée, le reste de l’examen était sans particularité avec une conscience, un tonus et une réactivité normaux. La maman signalait qu’il marchait depuis un mois. Son poids était de 11kg500 (-0,8 DS) et sa taille 87 cm (-0,8 DS), témoignant d’une bonne croissance staturo-pondérale.

Le bilan biologique de contrôle montrait 14 700 globules blancs, 12,9 g/dl d’hémoglobine avec un VGM à 75 µ3 et 472 000 plaquettes. La ferritinémie restait abaissée à 27,4 µg/l (30-400) et le taux de vitamine C était normalisé à 47,4 µmol/l (26-84). En raison, de ce taux satisfaisant, la supplémentation en vitamine C a été arrêtée avec poursuite du traitement martial. L’enquête nutritionnelle montrait une correction des erreurs diététiques initiales. Au terme, de la consultation, la poursuite du suivi en PMI et au Centre d'Action Médico-Sociale Précoce par psychomotricité et orthophonie était organisée pour prise en charge du retard psychomoteur.

Cette observation montre que le scorbut existe encore en France chez l’enfant en 2020 et souligne l’importance d’une alimentation équilibrée après le début de la diversification alimentaire.

Le scorbut

Le scorbut ou maladie de Barlow décrite en 1883 par Thomas Barlow, est due à une carence profonde en vitamine C aussi appelé acide ascorbique (AA). Les primates et l’homme en particulier, sont incapables de produire de l’AA par voie endogène, car ils sont démunis de L-gulonolactone-oxydase, enzyme indispensable pour en assurer sa synthèse. L’essentiel du stock de l’organisme humain est donc assuré par des apports exogènes alimentaires ou industriels.

Les besoins en vitamine C varient d’un sujet à un autre. Toutefois, il est recommandé des apports journaliers (AJR) de 60 mg chez l’adulte et de 45-60 mg chez l’enfant, la dose minimale pour éviter le scorbut étant de 25 mg par jour. Ces besoins sont plus importants chez les femmes enceintes, les fumeurs et les sportifs.

La vitamine C est retrouvée dans les fruits, les légumes frais, et les organes d’animaux tels que le foie et les reins. Les cerises, les agrumes, les kiwis, le cassis, les poivrons et le persil en sont très riches.

De par ses propriétés anti-oxydantes, l’AA joue un rôle de protection dans l’organisme, en intervenant contre les effets des radicaux libres. Il protège ainsi la peau contre le photo-vieillissement du à l’irradiation solaire et stimule la synthèse du collagène jouant un rôle anti-âge. Par son action sur la différenciation des kératocytes, l’AA favorise une reconstruction de l’épiderme d’où son utilisation dans la cicatrisation. De plus, l’AA assure un rôle dans le métabolisme de l’histamine et du fer. Par ailleurs, il se retrouve impliqué dans la biosynthèse de la carnitine, des catécholamines et dans le catabolisme de la phénylalanine et de la tyrosine.

Dans l'organisme, la vitamine C est stockée dans différents organes, en particulier, le foie, les glandes surrénales et l’hypophyse. Ces stocks sont suffisants pour une durée de 4 à 8 semaines. C’est ainsi que les symptômes d’une carence ne se manifestent pas avant 8 à 12 semaines.

Le déficit en Vitamine C est responsable d’altération des parois vasculaires, de troubles hémorragiques et des anomalies de l’ossification enchondrale.

Les signes cliniques d’une carence en vitamine C sont : asthénie généralisée, anorexie, perte de poids, baisse des défenses immunitaires, défauts de cicatrisation et diminution de l’absorption du fer, entrainant une anémie par carence martiale.

Le scorbut se caractérise cliniquement par des hémorragies de la peau et des muqueuses en rapport avec une fragilisation des capillaires, des hémorragies articulaires et musculaires, accompagnées de douleur et de gonflement des articulations, des douleurs osseuses due à l’épanchement sanguin du périoste, des hémorragies et inflammations des gencives avec déchaussement des dents, perte de cheveux et des troubles de la croissance chez les enfants.

Le diagnostic repose sur la baisse du taux sanguin de vitamine C. Les paramètres d’inflammation peuvent se révélés élevés.

La radiographie au niveau des os et des articulations peut montrer des anomalies au niveau des épiphyses (anneau de Wimberger, épérons de Pelken), au niveau des métaphyses (décollement métaphysaire) et au niveau des diaphyses (hématomes sous périostés).

Options thérapeutiques

Le traitement repose sur un apport en vitamine C, la dose quotidienne nécessaire étant d’environ 1 mg par kg de poids corporel associée à une alimentation équilibrée

A titre préventif, une alimentation équilibrée (fruits et légumes frais en abondance) ainsi qu’une hygiène de vie saine chez l’adulte (consommation d’alcool modérée) permettent de prévenir une carence en vitamine C. Ainsi, consommer 5 fruits et légumes par jour, tel que conseillé par le Programme National de Nutrition Santé assure une couverture correcte des besoins journaliers en vitamine C.

Références bibliographiques

1-Trojani MC, Cabane L, Breuil V, Tieulié N. Le scorbut existe encore. Presse Med. 2019 ; 48 (6) : 714-715.

2-Schlienger JL. Le scorbut est de retour. Presse Med. 2019 ; 48 (6) : 591-592.

3- Ledemazel J, Barbier C, Lasfargue M, Faisant A, Michard-Lenoir AP. Cas de Scorbut chez un enfant agé de trois ans et demi. Journal de Pédiatrie et de Puériculture. 2015 ; 28 (2) : 85-87.

par Dr Patrice Serge Ganga-Zandzou