Le microbiome cutané : un nouvel aspect de la peau

L'exposition « Dans ma peau » vient de fermer ses portes au Musée de l'Homme. Réalisée en partenariat avec le Museum national d’histoire naturelle et L’Oréal qui mène des recherches cliniques sur les différents types de peaux. Une place à part était réservée au microbiome cutané. Cette découverte récente a révélé une couche vivante et invisible, écosystème constitué de milliards de micro-organismes vivant à la surface de l’épiderme. Une véritable sous-population de bactéries, de virus et de champignons, essentielle dans la lutte contre les infections. Rencontre avec la microbiologiste Cécile Clavaud, responsable de projets sur le microbiome cutané au sein de L'Oréal Recherche et Innovation.

Par Laurent Joyeux 

LaurentJoyeux
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cecile Clavaud

Cécile, votre mini bio en quelques mots ?

Après ma thèse en biochimie en 2006, j'ai étudié la microbiologie des fongiques, Aspergillus fumigatus en particulier, à l’Institut Pasteur avant de rejoindre la recherche et innovation L’Oréal en 2011 pour étudier les populations microbiennes bactériennes et fongiques du cuir chevelu. Notre équipe de recherche avancée est en lien permanent avec les experts, la communauté scientifique et les spécialistes de la peau, l’Institut Pasteur et l’Inra. J'anime des conférences sur le microbiome cutané.

Microbiote ou microbiome ?

Les deux termes sont très proches et la nuance est fine. Les premières recherches portaient sur le microbiote intestinal : l’ensemble des micro-organismes qui peuplent l’intestin. Le microbiome étudie l’ensemble des génomes de ces micro-organismes. On utilise d’avantage le terme microbiome qui est un peu plus général et se prononce de la même façon en français et en anglais.

Peut-on parler d’une carte géographique de la peau ?

Une première cartographie a été établie en 2009, complétée en 2016. Elles ont répertorié de grandes zones d’abondance bactériennes. Le site anatomique impose la diversité microbienne en fonction de l'humidité (sueur) et de la concentration de sebum à la surface de la peau. Les zones humides des aisselles ; grasses (dos, cuir chevelu ou visage) ou sèches comme les avant-bras possèdent des caractéristiques bien différentes. Il existe également des zones de diversité intermédiaire, comme les mains, qui connaissent des variations de micro-organismes étrangers. Sauf plaie ou pathologie, ils seront expulsés par le lavage ou inactivés car ils entrent en compétition avec le microbiome de la peau. Les études se sont accélérées au niveau de la description. Depuis 2016 (première étude métagénomique publiée par J. Oh ; 2012 pour le microbiote intestinal), on est entrés dans une phase d’études fonctionnelles afin de mieux comprendre le rôle du microbiome dans la bonne santé et le fonctionnement de la peau.

S’agit-il d’une carte d’identité ?

Chaque personne a sa propre empreinte microbienne. Des expériences ont permis d’identifier le propriétaire d’un smartphone ou d’un clavier d’ordinateur à partir de son microbiome. Ce sujet d’étude a initié de nombreuses bourses d’études. Il intéresse beaucoup la recherche médico-légale.

Les enfants nés par césarienne présentent
un risque d’eczéma plus élevé

peau Phanie garo

Quels changements au cours de la vie pour le microbiome ?

Selon les publications récentes, le microbiome évolue principalement à chaque grand changement hormonal de la vie. La peau connaît trois moments clefs

  • La naissance : avec un microbiome différent selon que l’accouchement se fasse par voie vaginale ou par césarienne. Stérile dans le placenta, la colonisation de la peau par les micro-organismes commence au moment du passage vers l’environnement extérieur. L'accouchement par voie basse transmet au bébé des bactéries de type
    vaginales voire intestinales comme des Lactobacilles. L'accouchement par césarienne transmet plus particulièrement des bactéries de type cutané comme des Staphylococcus. Les enfants nés par césarienne présentent un risque d’eczéma plus élevé;
  • La puberté : l’augmentation des sécrétions sébacées et la sueur modifient le microbiome de la peau;
  • La ménopause et l’andropause voient chuter la sécrétion de sébum et une diversification du microbiome.


Tout au long de la vie adulte, le microbiome restera relativement stable s’il n’y a pas de changements de mode de vie. Après le décès, il n’y a pas d’étude publiée à ma connaissance.

On peut penser que comme certains champignons, le microbiome pourrait rester en sommeil sous forme de spores pendant des années.

Y-a-t-il une recette pour un microbiome parfait ?

Aujourd’hui, le microbiome sain, parfait, n’est pas définissable. Chacun a le sien. Il faut adapter sa routine, sa façon de manger, pour trouver son équilibre. Le lien intestin-peau est avéré : certains récepteurs de l’immunité innée sont identiques même si la nature des bactéries est différente. Prendre des probiotiques par voie orale permet de stimuler l’activité innée et d’atténuer certains symptômes sur la peau, la dermatite séborrhéique par exemple. Aujourd'hui, quelques start-up proposent des cocktails de bactéries vivantes pour traiter l’acné ou la dermatite atopique. Cela semble intéressant car les nouvelles bactéries s’implantent dans le microbiome. L’efficacité espérée serait comparable ou supérieure aux antibiotiques et aux corticoïdes. C’est très prometteur car les antibiotiques suppriment toute la couche de micro-organismes, laissant la peau comme « nue », ce qui permet aux éléments infectieux de s’implanter facilement.

Quelques start-up proposent des cocktails de bactéries vivantes pour traiter l’acné ou la dermatite atopique. [...] L’efficacité espérée serait comparable ou supérieure aux antibiotiques et aux corticoïdes.

Quel est l’impact de la pollution sur le microbiome ?

La pollution et la vie urbaine, combinée aux UV, affectent la diversité du microbiome. Une étude récente sur 200 femmes – 100 vivant en zone polluée vs 100 en zone peu polluée – a montré que l’exposition chronique à la pollution aux particules fines provoquait une sélection microbienne. Notre publication sur la pollution est en cours de révision et paraîtra bientôt. Un de mes axes de recherche est de montrer en quoi les bactéries sont essentielles à la qualité de la peau. L’objectif est d’avoir une plus belle peau en modifiant le microbiome.
Pour le modifier, demain, l'utilisation des bactériophages permettra de supprimer spécifiquement les bactéries nuisibles et les pré/pro-biotiques modifieront la diversité des micro-organismes tout en préservant l'éco-système. Des outils connectés pourront mesurer ces changements du microbiome. Ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives. Il ne s’agit pas d’une nouvelle découverte mais d’un changement de vision de la peau !

par Laurent Joyeux