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Vet in Tech, une association dédiée à la E-santé animale

Le métier de vétérinaire change. Nouvelles technologies et nouvelles applications permettent un exercice plus simple de la profession, un meilleur suivi des animaux et des relations avec leurs maîtres. Pourtant, il y a encore beaucoup de résistances à l’introduction de ces modes de travail « augmentés ». Interview du docteur Annick Valentin-Smith, présidente de l’association Vet in Tech qui crée des liens entre vétérinaires et start-ups.

Par Laurent Joyeux

LaurentJoyeux

DrValentinSMITHDocteur Valentin-Smith, quel est vos parcours et comment est née l’association Vet in Tech ?

Mon parcours est multiple : docteur-vétérinaire, diplômée de Maisons-Alfort, j’ai commencé par exercer en clientèle essentiellement canine. Après cinq ans de soins des animaux de compagnie, je me suis orientée vers l’industrie pharmaceutique humaine et en 2015, je suis retournée à la faculté pour suivre un MBA digital et un diplôme universitaire en santé connectée à l’hôpital Bichat. Mon intention était d’amorcer des liens entre les acteurs des nouvelles technologies et le monde vétérinaire, comme cela se faisait déjà avec les médecins. Avec cinq confrères, nous avons créé Vet in Tech fin 2017.

Nous avons déjà beaucoup publié, nous organisons aussi des réunions et des événements pour faire partager nos connaissances sur les technologies et les changements qu’elles vont entraîner dans la pratique quotidienne. En particulier la journée événement NUManima, dédiée à la E-santé animale. Elle rassemble à Nantes tous les acteurs de la filière et permet de créer des ponts entre les branches vétérinaires, très morcelées et spécialisées (bovins, chiens…). Cette journée offre l’opportunité de réunir des praticiens et des startupers. L’édition 2020 a malheureusement été reportée à début 2021 en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19.

Quels sont les risques de déshumanisation pour la profession ?

Je ne pense vraiment pas que les vétérinaires seront remplacés un jour par des robots mais ils doivent apprendre à les utiliser. Les données, leur recueil et leur traitement par l’intelligence artificielle prennent une importance de plus en plus grande.

On sait aujourd’hui développer des applications qui proposent un diagnostic. En renseignant la race de l’animal, son historique médical, son âge, son lieu de vie, des paramètres physiologiques et ses symptômes, il est possible d’évaluer le pronostic.

Ce qui était de la science-fiction il y a quelques années est aujourd’hui à la portée des ingénieurs. Même si la machine ne peut décider, communiquer efficacement et faire preuve d’empathie avec les clients, il existe un risque sérieux pour la profession, si elle s’en désintéresse, de se voir concurrencée par d’autres acteurs. Les vétérinaires, dont l’expertise en santé animale est irremplaçable, pourraient perdre une partie de leur activité et la santé des animaux en pâtirait.

Y-a-t-il une prise de conscience des vétérinaires ?

Pas encore et pas toujours. Devant l’incertitude, certains vétérinaires préfèrent rester sur leur savoir-faire traditionnel. Pour beaucoup toutes ces innovations sont des « gadgets », ne sont pas utiles en pratique au quotidien ou ne sont pas fiables. Mais cela évolue dans le bon sens, il commence à y avoir une prise de conscience de la profession.

Devant l’incertitude, certains vétérinaires préfèrent rester sur leur savoir-faire traditionnel. Pour beaucoup toutes ces innovations sont des « gadgets », [...] Mais cela évolue dans le bon sens, il commence à y avoir une prise de conscience de la profession.

En quoi consiste votre action ?

Vet IN Tech est une association Loi 1901, nous poursuivons trois objectifs.

Nous portons un regard enthousiaste mais également critique sur les innovations actuelles et à venir, en toute indépendance, grâce à la diversité de nos parcours personnels et professionnels.

Nous partageons nos informations pour faciliter le travail d’analyse et de réflexion de la profession vétérinaire et de ses partenaires sur la e-santé animale, nous avons ainsi publié trois livres blancs, gratuits et accessibles à tous.

Nous sommes aussi à côté des futurs fournisseurs de solutions numériques afin d’apporter les solutions les plus pertinentes à la profession vétérinaire.

Parallèlement nous travaillons aussi sur l’amélioration de la fiabilité des outils développés tout en ayant en tête les aspects éthiques de cette évolution numérique de la santé des animaux ; nous nous intéressons aussi au bien-être animal et nous suivons de près l’évolution des demandes des différents acteurs en productions animales.

Et votre action spécifique auprès des vétérinaires de demain ?

Nous intervenons dans les écoles vétérinaires et sur les réseaux sociaux, un des fondateurs de Vet IN Tech est enseignant dans une des quatre écoles. Les cours sur les nouvelles technologies, par exemple deux heures la première année, interviennent très tôt dans le cursus. Les jeunes n’ont pas encore exercé, leurs cours sont très théoriques et à ce stade, les étudiants n’ont que peu de rapports avec les animaux et ont du mal à imaginer les applications en pratique. Nous estimons que 10 à 15 % d’entre eux sont vraiment passionnés par les nouvelles technologies. Il est plus pertinent de donner cette formation à la E- santé sous forme de TD en fin d’études au moment où les étudiants commencent à pouvoir en voir l’intérêt en clinique.

Pour encourager les étudiants à réaliser, pour leur thèse, un travail qui fait appel aux technologies digitales, nous avons créé le Prix de thèse VetIN Tech qui récompense tous les ans un étudiant de cinquième année, nous invitons le lauréat au CES de Las Vegas. Par ailleurs, le Trophée Numanima/ Vet IN Tech, pour sa part, est décerné au cours de la journée Numanima, à une start-up qui fait progresser la médecine digitale. Cette année il y a 14 candidats – vétérinaires, étudiants ou ingénieurs.

Cette évolution se passe dans quel contexte ?

On essaye de combler notre retard en France ! Par exemple, la télémédecine vétérinaire se met juste en route. Elle était totalement interdite même pendant le confinement et jusqu’en mai dernier. Le Code rural impose au vétérinaire d’être à côté de l’animal pour l’examiner et poser un diagnostic. Mais un décret du Conseil d’État du 5 mai vient d’autoriser une expérimentation de la télémédecine vétérinaire de 18 mois : des visioconférences sont possibles avec les propriétaires sur le modèle « Doctolib » utilisé pour les humains.

Le Code rural impose au vétérinaire d’être à côté de l’animal pour l’examiner et poser un diagnostic. Mais un décret du Conseil d’État [...] vient d’autoriser une expérimentation de la télémédecine vétérinaire de 18 mois.

En pratique, quels peuvent être les avantages pour un cabinet vétérinaire ?

Pour commencer, on pourrait parler de la communication en ligne des cliniques, des rendez-vous en ligne ou du Click and collect sur le site du cabinet.

Mais la E-santé touche bien d’autres domaines intéressants pour les animaux : suivi à distance, géolocalisation, traçage d’activité, dosage de l’alimentation. Elle permet également chez les animaux de compagnie, de surveiller les problèmes de grattage ainsi que la qualité du sommeil révélatrice entre autres de douleurs ou de troubles digestifs.

Ces applications pour être utiles doivent pouvoir se plugger sur le logiciel métier du cabinet qui gère les dossiers des clients, la comptabilité et les stocks. Leur coût est faible et n’est pas un obstacle à leur adoption..

Y-a-t-il des passerelles « connectées » entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire ?

La proximité entre la santé des hommes et celle des animaux est aujourd’hui au centre de l’actualité. C’est le concept de « One Health ». Il existe aussi des ponts entre la e-santé humaine et la e-santé animale. Des événements comme l’université de E-santé qui se tient à Castres permettent une mixité des deux médecines sur un même site. Au cours de plusieurs conférences, j’ai invité des médecins à présenter aux vétérinaires leur utilisation en pratique des data et de l’intelligence artificielle, comme dans le domaine de l’imagerie.

Jusqu’à une période récente, les médecins s’intéressaient peu à la santé animale, il y avait un fossé, mais les choses changent. C’est tant mieux dans la période que nous traversons car les vétérinaires sont hyper formés sur les risques de zoonose et connaissent bien les mesures à prendre comme le confinement. Trois-quarts des maladies émergentes proviennent des animaux : un vétérinaire aurait une place légitime dans le Conseil scientifique comme le demande le député vétérinaire Loïc Dombreval.

La proximité entre la santé des hommes et celle des animaux est aujourd’hui au centre de l’actualité [...] Trois-quarts des maladies émergentes proviennent des animaux : un vétérinaire aurait une place légitime dans le Conseil scientifique.

Quelques mots de conclusion ?

Nous sommes dans un état d’esprit « think tank », nous avons une vision large et transversale de la e-santé, nous nous intéressons à l’avenir de la santé de toutes les espèces. Nous souhaitons aussi créer des ponts avec d’autres univers qui peuvent enrichir le nôtre. Notre association et nos évènements sont de plus en plus suivis et nous faisons tout pour que cela continue longtemps, nous avons encore plein de projets !

par Laurent Joyeux