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Charlotte Tourmente, apprivoiser la sclérose en plaques [VIDÉO]

Diagnostiquée à 20 ans, pendant sa troisième année de médecine, Charlotte Tourmente a fait de sa vie un combat pour rester positive et s’adapter à l’évolution de la sclérose en plaques (SEP). Médecin et journaliste, elle revient sur 23 années de vie quotidienne avec cette ennemie évolutive, intime et invisible.

 

Propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

 

 Visionnez l'interview du Dr Charlotte Tourmente  https://youtu.be/oklO_bIW9Gw:


Première cause de handicap non traumatique pour l’adulte jeune, la sclérose en plaque touche, chaque année, 100 000 personnes en France. Diagnostiquée très jeune, Charlotte Tourmente a suivi le parcours du combattant de la SEP et sa cohorte de symptômes visibles ou invisibles : fourmillements dans les jambes, atteintes visuelles, aphasie, hémiplégie, troubles urinaires, fatigue et douleur chronique. De poussées en bolus de corticoïdes, et de séances de perfusions en séances de méditation, elle explique dans son livre Sclérose en plaques et talons aiguilles, sa philosophie et son combat pour ne pas être réduite à sa SEP - mais que celle-ci soit prise en compte - et les cinq années qui lui ont été nécessaires pour faire la paix avec son corps.

Y-a-t-il eu de grands changements dans la prise en charge de la SEP en 20 ans ?

Le changement est phénoménal sur le plan de la recherche ! Surtout pour la forme de SEP par poussées dont je souffre. Les avancées sont nettement moins rapides pour la forme progressive. Il y a vingt ans on ne connaissait que deux molécules pour freiner les progrès de la SEP, les neurologues en ont 15 à leur disposition aujourd’hui. Avec cette palette élargie, une détection et des traitements plus précoces, on arrive à limiter la progression de la maladie. Même si elle reste incurable, il y a de gros progrès.
Le versant humain de la prise en charge a beaucoup évolué également. La nouvelle génération de neurologues, est plus ouverte à la discussion avec les patients. Ils sont moins dans une posture de « sachants » et donnent des explications moins techniques sur la maladie et les traitements. La meilleure information des malades et la participation active des patients ne facilitent pas toujours le travail des médecins mais sont de vraies avancées.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui vient d’apprendre le diagnostic ?

Je ne peux livrer que mon expérience personnelle mais se renseigner à fond sur la maladie et ses évolutions me semble le meilleur moyen de se préparer à l’affronter. Les premiers temps de la maladie ont été pour moi un enfer, la plus mauvaise période de ma vie, du fait des douleurs et de l'épuisement : je jonglais entre mes cours, mes stages, les examens la maladie, les traitements... Cultiver les relations familiales, amicales et professionnelles semble indispensable car la maladie chronique favorise l’isolement et surtout il faut apprendre à profiter de toutes les bonnes choses qui se présentent : Carpe Diem !

Et à un étudiant en médecine ?

J’ai fait le choix d’en parler à mes professeurs, au doyen et aux maîtres de stages. Ils m’ont aidée en aménageant les stages pour que je puisse terminer mon cursus malgré une fatigue et des douleurs accablantes. Une fois diplômée j’ai préféré m’orienter vers le journalisme médical mais, selon la forme que prend la maladie et la rapidité de son évolution, il est possible d’exercer la médecine. Pour ma part, j’ai commencé en 2004 à travailler à mi-temps dans l’équipe du Magazine de la Santé, demandé le statut de travailleur handicapé en 2006 pour un aménagement de mon poste et je travaille maintenant à domicile. Mais il y a beaucoup d’orientations après des études médicales : laboratoires, presse, écoles de commerce.

Cinq conseils simples pour mieux vivre avec la SEP ?

1. Apprendre à gérer sa fatigue et faire des « points météo » de sa forme pour l’entourage car l’accablement est une manifestation invisible de la SEP.
2. Ne laisser passer aucun symptôme sans consulter.
3. Se faire aider par un psychothérapeute pour verbaliser. Les réseaux de santé et les hôpitaux, ont les coordonnées de psys référents.
4. Contacter les associations qui font un énorme travail d’accompagnement et d’information pour vulgariser la maladie et les traitements. On peut y rencontrer des gens exceptionnels qui partagent leur expérience et tisser des liens très forts.
5. Aimer la vie et tous ses plaisirs, des plus simples aux voyages au bout du monde mais sans oublier de préparer deux piluliers : un dans le sac de voyage et un sur soi… et surtout profiter de la vie en suivant le conseil de Confucius : « Se préparer au pire, espérer le meilleur, prendre ce qui vient ! »

Que pensez-vous de la formation des médecins à la SEP ?

Franchement, les cours ne donnent que quelques bases théoriques. Un médecin généraliste qui a des personnes souffrant de la SEP dans sa patientèle aura tout intérêt à rafraîchir ses connaissances et à se tenir à niveau. Au-delà des connaissances techniques, ils doivent surtout être présents, sensibles à nos douleurs, à notre épuisement et à tous les autres symptômes pour arriver à nous accompagner dans notre vie quotidienne et nous permettre une qualité de vie acceptable. Les symptômes des premières poussées ne sont pas évidents à relier à la SEP. Il ne faut pas hésiter à faire passer une IRM au moindre doute. Le médecin généraliste est une précieuse aide pour constituer l’équipe médicale interdisciplinaire qui regroupera neurologue, infirmier, kinésithérapeute, médecin du travail, spécialistes de médecine physique et de réadaptation, ergothérapeute, orthophoniste et assistante sociale…

Vous parlez des patients experts, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’une initiative de la Ligue française contre la SEP. Le concept vient des pays anglophones : former des patients qui assureront le relais/conseil auprès des nouveaux diagnostiqués. Ils suivent des cours sur la maladie et les techniques de soins, et de communication pour jouer des rôles très variés auprès des ARS, du Ministère, des associations, des cafés SEP et des malades. Ils sont un peu moins d’une dizaine par promotion et quatre promos sont déjà sorties. Pour les nouveaux diagnostiqués, il est très rassurant de rencontrer des patients positifs qui ont la connaissance pratique de la maladie dans leur corps. On ne peut pas sous-estimer le rôle incroyable de la solidarité.

Comment aborder un patient en refus de sa maladie ?

Échanger sur son expérience personnelle, sur les hauts et les bas de la maladie, est un bon moyen de faire réfléchir. J’ai fait le choix d’en parler rapidement pour mieux accepter cet état de fait et m’adapter mais certaines personnes tiendront le coup par le refus de la maladie, même s'il est plus facile à mes yeux d'inclure ses proches et d'être soutenu... La SEP nous oblige à nous adapter à notre forme du jour et à ses symptômes. Il y a quelques années, j’ai ainsi été confrontée à une hémiplégie sévère, doublée d’une aphasie, très déstabilisante, poussée qui m’a demandé beaucoup de temps et d’efforts. Je me suis alors jurée de nager à nouveau dans la mer et de porter à nouveau des talons hauts ! Cette épreuve dans ma chair m’a permis de réaliser ma capacité d’adaptation. Elle m’a donnée des forces pour entreprendre des études de psycho-sexologie et, depuis mon domicile, enrichir mon travail de médecin journaliste pour le site allodocteurs : rédaction et blog sur la sexualité. Je me suis dit « Bravo, j’ai pu le faire ! » Et je suis très fière de remettre mes talons aiguilles !

Sur quoi pouvez-vous compter en plus de la pharmacopée ?

Le yoga, la méditation de pleine conscience, l’hypnose sont des aides précieuses pour décentrer mon attention des sensations négatives, mais d’autres préfèreront une bonne séance de sport. Ces aides ne sont pas toujours faciles d’accès quand on est isolé mais on trouve des tutoriels en ligne très bien faits : pour la méditation, on peut même télécharger une application sur son téléphone. Il est en revanche préférable de suivre deux ou trois séances avec un spécialiste avant de pratiquer l’autohypnose. Chacun doit trouver sa méthode pour accepter certaines émotions et traverser des passages difficiles. Les patients vulnérables doivent également se méfier des prises en charge alternatives proposées par des « pseudo-thérapeutes » parfois dangereux. Il faut absolument entretenir une relation de confiance avec son médecin et l’informer de tous ces nouveaux traitements.

POUR EN SAVOIR PLUS

par Laurent Joyeux