
« L’arrivée des anticorps anti-amyloïdes représente une mini-révolution pour les patients Alzheimer » Pr Frédéric Blanc
Le Pr Frédéric Blanc, gériatre, neurologue, chef de service aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, membre du laboratoire ICube de l’Université de Strasbourg, a détaillé lors d’une conférence de presse initiée par les laboratoires Eisai, spécialisés en oncologie et neurologie, les avancées thérapeutiques dans la maladie d’Alzheimer et les transformations à venir dans le parcours de soins. Questions-réponses pour M-Soigner.
Professeur Blanc, pouvez-vous nous rappeler la nature de la maladie d’Alzheimer ?
La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative, qui affecte en France environ un million de personnes. Elle est caractérisée par l’accumulation anormale de protéines dans le cerveau : les dépôts amyloïdes à l’extérieur des neurones (amyloïdopathie), et la protéine Tau à l’intérieur des neurones (tauopathie). Ces anomalies s’accompagnent d’une inflammation cérébrale. Ces dépôts se propagent lentement — 15 ans peuvent s’écouler entre les premières lésions et les premiers symptômes cognitifs. La maladie évolue depuis un stade de troubles cognitifs légers (MCI), sans répercussion sur les activités quotidiennes, jusqu’à des troubles cognitifs majeurs interférant avec l’autonomie.
Quels sont les traitements actuellement disponibles ?Actuellement, nous n’avons que des traitements symptomatiques. Les inhibiteurs de la cholinestérase (donépézil, rivastigmine, galantamine) améliorent modestement les symptômes, mais n’enrayent pas la progression de la maladie. Ils s’accompagnent parfois d’effets secondaires digestifs ou cardiaques. Pour les troubles psychocomportementaux (délires, anxiété, dépression), nous utilisons des antipsychotiques ou antidépresseurs selon les recommandations récentes. Enfin, la prise en charge humaine reste essentielle : remédiation cognitive (avec orthophonistes ou neuropsychologues), accompagnement psychologique, aides à domicile et soutien aux aidants.
En quoi les anticorps anti-amyloïdes constituent-ils une avancée ?
C’est une mini-révolution. Ces anticorps ciblent spécifiquement les dépôts amyloïdes et permettent de ralentir le déclin cognitif et fonctionnel. Cela ne guérit pas, mais cela peut retarder l’évolution de la maladie et différer l’entrée en dépendance. C’est le premier traitement qui agit directement sur la pathologie elle-même.
Concrètement, comment va se dérouler le nouveau parcours de soins avec ces traitements ?
Le parcours commence par une évaluation spécialisée (consultation mémoire et bilan neuropsychologique), pour confirmer un trouble cognitif léger ou une démence légère de type Alzheimer. Ensuite, un PET-amyloïde ou une ponction lombaire est indispensable pour objectiver la présence de dépôts amyloïdes. La ponction lombaire a l’avantage de fournir aussi des informations sur la tauopathie. On vérifie également le statut génétique (APOE4), car les patients porteurs de deux allèles APOE4 sont plus exposés à des effets secondaires cérébraux appelés ARIA (Amyloid-Related Imaging Abnormalities), qui peuvent se manifester par des œdèmes (ARIA-E) ou des micro-hémorragies (ARIA-H) visibles à l’IRM. Les patients sous anticoagulants sont également exclus, car ils présentent un risque accru de complications hémorragiques. Le traitement consiste en des perfusions intraveineuses d’anticorps anti-Abêta tous les 15 jours ou tous les mois, à l’hôpital de jour, avec surveillance clinique à chaque perfusion et contrôle IRM fréquent, notamment 4 IRM du cerveau au cours de la première année, qui est la phase la plus à risque pour les effets secondaires.
Le système de soins est-il prêt à absorber cette nouvelle prise en charge ?
Cela suppose un véritable changement de paradigme. Les hôpitaux de jour en gériatrie, neurologie ou psychiatrie devront être renforcés. Certains sont déjà saturés, les délais en consultation mémoire allant jusqu’à 16 mois par endroits. Il faudra anticiper les plannings d’IRM, créer des partenariats avec les radiologues et probablement développer de nouvelles capacités dédiées. Dans un second temps, si la tolérance est confirmée, on pourra envisager des perfusions à domicile.
Comment garantir l’égalité d’accès pour les patients en zones rurales ?
C’est un point essentiel. Les traitements débuteront dans les grandes villes pour des raisons de sécurité, car ils nécessitent un environnement médical expérimenté. Mais il faudra organiser un maillage territorial, pour éviter que les patients éloignés soient exclus. Les IRM, par exemple, peuvent être plus accessibles dans certains centres périphériques que dans les grandes villes.
Certains anticorps ont suscité des controverses. Pourquoi ?
Parce que les premiers anticorps démontraient seulement une réduction des plaques amyloïdes, sans effet clinique clair. C’est désormais différent : les nouveaux anticorps montrent à la fois un bénéfice biologique et un ralentissement clinique du déclin cognitif et fonctionnel.
Quel rôle auront les médecins généralistes et les pharmaciens ?
Les médecins généralistes joueront un rôle clé pour le repérage précoce et l’orientation des patients. Ils seront aussi en première ligne pour le suivi global. Les pharmaciens hospitaliers géreront dans un premier temps la dispensation. À terme, il est envisageable que les pharmaciens d’officine soient impliqués, quand les traitements passeront en ville.
Quel est votre sentiment personnel sur cette innovation ?
C’est une avancée importante, mais qui ne remplacera pas la prise en charge humaine et personnalisée. Elle ne règlera pas tout : la maladie d’Alzheimer est souvent associée à d’autres pathologies (maladie à corps de Lewy, lésions vasculaires). Si nous anticipons bien l’organisation, nous pourrons vraiment améliorer la qualité de vie des patients et alléger le fardeau pour les aidants à moyen terme.
# Pr Frédéric Blanc Gériatre et neurologue, chef du service de Gérontologie Mobile-Neuro-Psy-Recherche, et coordonnateur du Centre Mémoire Ressources et Recherche (CM2R) des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, responsable adjoint de l’équipe IMIS du laboratoire ICube, Université de Strasbourg et CNRS. |
Marina Kolesnikoff,
d'aprés les échanges du point presse du 19 juin 2025 : “Innovations thérapeutiques dans la maladie d'Alzheimer, comment organiser un parcours de soins accessible et optimisé pour les futurs patients & leurs proches” introduit par Emmanuel Roux, Directeur de l'accès au marché, Eisai et l’intervention Pr Frédéric Blanc. Assistance rédaction IA : oui.