(c) Sandrine Lemoine

Rester jeune grâce au jeûne ?  

Le jeûne est à la mode. Pas seulement auprès du grand public, mais aussi dans les milieux scientifiques. Ses effets sur le rythme du vieillissement sont étudiés dans des modèles animaux, mais aussi dans une poignée d’études sur des populations humaines. Alors, faut-il se lancer dans le jeûnoptimisme ? 

par Maël Lemoine.

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Il y a deux arguments puissants en sa faveur, une hypothèse sur un mécanisme explicatif et des observations concordantes sur les populations humaines.  

Chez les animaux : la voie TOR

Dans tous les eucaryotes, depuis les unicellulaires comme la levure jusqu’aux plantes et aux mammifères, il existe ce que l’on appelle la « voie TOR ». En fonction des nutriments disponibles, du taux d’insuline, et de quelques autres signaux, cette voie contrôle en effet la croissance et la division cellulaire, et impacte la synthèse de protéines en agissant notamment sur l’autophagie – c’est-à-dire la dégradation par la cellule de ses propres protéines, ou bien d’autres structures plus grosses comme les mitochondries, pour en tirer des acides aminés. Ce mécanisme joue un effet de contrôle du métabolisme, de nettoyage et de « maintenance » des protéines anormales et des mitochondries endommagées. 

À l’évidence, cette voie est donc centrale dans l’économie de la cellule. Puisque la restriction calorique présente un effet protecteur contre l’accumulation de dommages intracellulaires, il semble très plausible que ce soit par l’intermédiaire de la voie TOR notamment. À cela s’ajoute au contraire les effets délétères des excès alimentaires, qui induisent de nombreuses maladies, notamment métaboliques, qui favorisent l’inflammation aseptique chronique, censée elle-même accélérer le vieillissement. Il faut aussi rappeler le rôle d’une hypothèse très ancienne et très intuitive, celle du rate of living, le « rythme de vie » : selon cette hypothèse proposée il y a environ un siècle, il y a une corrélation inverse entre la vitesse du métabolisme et l’espérance de vie dans les différentes espèces. La métaphore est celle de la bougie : plus elle brûle fort, plus elle fond vite ! 

Qu’en est-il en réalité ? Ce mécanisme est une cible majeure de prolongation de la vie dans la levure, du moins de la durée de vie dite « réplicative », c’est-à-dire à combien de cellules filles une cellule mère peut donner naissance avant de mourir. Un tel effet de prolongement de la vie se retrouve chez le ver Caenorhabditis elegans, et chez la souris, mais avec un effet de moindre ampleur à chaque fois. Pourquoi ? La raison est simple : une cellule qui dysfonctionne ou meure, cela signifie la mort de l’individu pour un unicellulaire comme la levure. Mais pour un multicellulaire, comme C. elegans, c’est une cellule parmi d’autres et l’effet est donc dilué pour ainsi dire. Enfin, l’absence de renouvellement de cellules chez le vers C. elegans, qui présente la particularité de n’avoir pas de cellules souches, explique pourquoi l’impact de la voie TOR est sans doute plus grand que chez la souris, qui peut remplacer et renouveler au moins en partie ses cellules déficientes. 

Mais qu’en est-il chez l’humain ? 

Chez l'homme, les choses se compliquent, parce que l’effet du jeûne sur la longévité est difficile à mettre en évidence. Quatre problèmes se posent en effet. 

1) Qu'entend-on par restriction calorique ?

Le premier problème est de définir ce que l’on appelle « restriction calorique ». S’agit-il de restreindre ce que les humains mangent ordinairement ? Pas étonnant qu’en cessant de trop manger, les effets soient positifs. Or c’est bien la restriction calorique qui est testée le plus souvent chez les animaux. Mais il faut être précis : la restriction calorique est la limitation de l’apport en calories. On peut jeûner sans restriction calorique, par exemple, et compenser en mangeant davantage avant ou après le jeûne. La souris ne mange ordinairement qu’une seule fois par jour. Un régime normal pour elle serait considéré comme une pratique de jeûne pour un être humain : manger un seul repas par jour.  

Dans l’ensemble, il est apparu que les effets de la restriction calorique étaient plutôt positifs sur la longévité, ainsi que son impact sur plusieurs maladies liées à l’âge, du moins, en prévention. L’effet du jeûne sur le cancer relève au contraire très largement de l’hypothèse suspecte qui tient davantage à l’imaginaire de la purification qu’à des effets réellement mis en évidence. 

 2) De multitudes façons de jeûner

Le deuxième problème est la multitude des façons de jeûner. Il faut distinguer par exemple le régime 5:2 (manger cinq jours et en jeûner deux, consécutifs ou non), le régime alterné – un jour de repas, un jour de jeûne (intégral ou partiel), la restriction de l’alimentation sur une plage de 8 h par 24h, la pratique du repas unique, etc. Tout cela fait beaucoup de possibilités à tester. Plusieurs l’ont été effectivement. Elles ont peut-être des effets différents, positifs ou négatifs. Par exemple, la pratique de sauter le petit déjeuner est généralement associée à une dégradation de l’état de santé cardiovasculaire. Chacune de ces possibilités devrait être testée, et toutes devraient être comparées.  

3) Pas encore d'études de long terme

Le troisième problème est que les variables observées l’ont été à court terme.  C’est encourageant d’observer par exemple une amélioration du ratio HDL/LDL, une réduction de l’inflammation systémique, une réduction de la tension artérielle. Mais ce n’est pas parce que ces variables s’améliorent ainsi, qu’elles le font de manière durable et pour une bonne raison – en d’autres termes, que cela allonge la durée de la vie. Autant penser qu’il suffirait de prescrire des amphétamines pour soigner le diabète, l’obésité et l’hypertension. Pour être certains d’un effet positif, rien ne peut remplacer une étude de long terme. Il n’en existe pas à ce jour. Les études sur les centenaires, en particulier, n’ont pas clairement montré qu’ils mangeaient moins que les autres ou qu’ils jeûnaient. Naturellement, ils peuvent aussi avoir atteint cet âge pour d’autres raisons. 

4)Variabilité des individus

Le quatrième problème est que le jeûne peut avoir des effets positifs sur certains risques de santé, mais des effets délétères pour d’autres risques. Il peut aussi avoir des effets différents sur différentes populations – ainsi, ce qui est bon pour améliorer l’obésité et les maladies métaboliques, ne l’est pas forcément pour des sujets dont l’IMC est dans la fourchette basse des valeurs normales. 

En somme, il est difficile de douter du fait que trop manger nuit à la longévité. Mais il est loin d’être établi que jeûner ajoute des années de vie au compteur. L’hypothèse est assez solide pour être explorée – elle l’est dans quelques grands journaux scientifiques – mais l’hypothèse n’est pas assez solide encore pour que l’on conseille massivement de s’y lancer ! 

par Maël Lemoine