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Les médecins ne doivent pas rester seuls face à l’erreur

Les évènements indésirables associés aux soins ne se produisent pas seulement à l’hôpital. Ils sont aussi fréquents en ville et parfois leurs conséquences peuvent être graves. Marc Chanelière, médecin généraliste et enseignant-chercheur à la faculté de médecine de Lyon 1, fait le point dans son ouvrage "Prendre soin des patients en toute sécurité" (éditions Le Coudrier), sur ce sujet peu abordé dans la formation des soignants, et partage son idée de la démarche à mettre en œuvre pour sécuriser les pratiques.

Par Laure Martin.

LaureMartin

marc chanelierePourquoi avoir écrit ce livre ?

C’est une histoire pleine de hasard... En réalité, dès ma formation initiale de médecin généraliste, je me suis confronté aux erreurs. J’étais en peine, car je n’avais pas été formé à ces aspects. J’ai donc décidé de rédiger ma thèse sur les données de sécurité du patient en ville et chercher des réponses. En parallèle, je suis enseignant-chercheur à l’université de médecine de Lyon, je réfléchis donc à cette thématique. J’ai ensuite été contacté par une éditrice m’informant vouloir publier un livre sur le sujet. J’ai été séduit par l’idée de cet exercice et de réfléchir à comment diffuser cette thématique sur un plan moins académique et universitaire pour ainsi m’inscrire dans un ouvrage adressé aux professionnels de la ville et diffuser la pédagogie de l’erreur. Un événement indésirable est un événement ou une circonstance associé aux soins qui aurait pu entraîner ou a entraîné une atteinte pour un patient et dont on souhaite qu'il ne se reproduise pas. Il peut être médicamenteux mais relationnel aussi.

Pourquoi vouloir diffuser cette pédagogie de l’erreur ?

Historiquement, la plupart des données dont nous disposons concernant les événements indésirables proviennent des établissements de santé. La production y est facilitée car les professionnels évoluent dans une unité de temps, de lieu et d’acteurs. En ville, c’est davantage dispersé. De fait, pendant longtemps nous avons été en manque de données. Aujourd’hui, je ne pense plus que ce soit encore le cas. Néanmoins, culturellement, dans les études de médecine, nous sommes formés à l’idée qu’il ne faut pas faire d’erreur. C’est paradoxal car nous savons que de toute façon, des erreurs vont être commises. Alors comment les gérer ? Cette thématique est uniquement abordée sous l’angle médico-légal, c'est-à-dire dans l’idée qu’il ne faut pas se tromper pour éviter les récriminations possibles des patients et les plaintes, ce qui n’aide pas à libérer la parole autour de situations mal aisées. Cet état d’esprit est terrorisant et refreine l’espace de parole. Personnellement, j’ai eu beaucoup de chance dans mes études car j’ai rencontré des personnes qui nous ont enseigné comment gérer nos relations avec les patients en cas d’erreur. Mais l’enseignement n’était pas optimal. La culture de la sécurité gagnerait à être développée. Bien entendu, en cas d’erreur, il faut distinguer la malveillance et la négligence, qui ne sont pas acceptables, des erreurs « de bonne foi ».

Je reste dubitatif lorsqu’un professionnel de santé pense ne s’être jamais trompé au cours de sa carrière. C’est un comportement insécure, contrairement à un soignant qui reconnaît s’être trompé, et qui essaye de bien faire, de réfléchir à comment améliorer sa pratique.

Faut-il alors encourager la parole afin notamment d’éviter une procédure judiciaire de la part du patient ?

Tout à fait ! Exception faite de la négligence, les patients comprennent que le professionnel de santé puisse être faillible. En revanche, ils n’acceptent pas l’absence de communication. Il est toujours bienvenu de la part du médecin de reconnaître son erreur, d’expliquer par exemple qu’il n’a pas donné le bon traitement et de préciser la procédure qu’il va mettre en place pour la corriger. Souvent la relation s’en trouve renforcée avec le patient car le médecin a reconnu ses torts et expliqué la situation. C’est d’autant plus important que souvent, en ville, dans les trois quart des cas, les conséquences ne sont pas graves. Certes, tout ne doit pas être dit, mais si un événement indésirable est identifié par le patient ou par l’équipe de soin, il faut en parler.

 Évènement indésirable

Un événement indésirable est un événement ou une circonstance associé aux soins qui aurait pu entraîner ou a entraîné une atteinte pour un patient et dont on souhaite qu'il ne se reproduise pas. Il peut être médicamenteux mais relationnel aussi.

Avez-vous l’impression que les médecins libéraux se sentent démunis face à la gestion d’un événement indésirable ?

Il m’est arrivé de rencontrer des collègues qui rapportaient la survenue d’un événement indésirable, d’une erreur avec des conséquences et qui ressentait encore une culpabilité forte même des années plus tard. Cela impacte encore leur pratique... Le lien entre souffrance et culpabilité est réel. Le burn out par exemple touche à la souffrance professionnelle. D’où la nécessité d’en parler avec des collègues notamment. Je reste dubitatif lorsqu’un professionnel de santé pense ne s’être jamais trompé au cours de sa carrière. C’est un comportement insécure, contrairement à un soignant qui reconnaît s’être trompé, et qui essaye de bien faire, de réfléchir à comment améliorer sa pratique.

La pluriprofessionnalité est donc importante…

Dans l’absolu oui. Si l’équipe est ouverte, la parole libre, qu’il est possible d’échanger sur ces thématiques d’erreur, de se rencontrer, les professionnels de santé peuvent ainsi impulser une politique de gestion des risques. Mais dans une équipe où il y a des dysfonctionnements, un gradient d’autorité, cela peut contribuer à l’effet inverse. C’est dommageable car des professionnels de santé qui discutent ensemble peuvent mieux identifier les événements indésirables. La multiplicité des points de vue contribue à une meilleure recherche de leurs causes. On réfléchit toujours mieux à plusieurs. Le système de santé tient beaucoup sur une organisation rationnelle. Mais encore faut-il examiner les dynamiques d’équipes. Par exemple avec les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), il va falloir étudier ces facteurs de communication dans une équipe car plusieurs maillons mis dans une chaîne ne la rendent pas nécessairement plus forte.

Qu’en est-il alors de l’enseignement de la sécurité ?

Dans les filières de santé, il reste assez récent. Pour les items de médecine générale par exemple, il a moins de vingt ans. Car le médico-légal, ce n’est pas la sécurité. Certaines professions ont une identification du risque orienté. C’est le cas par exemple pour la prévention des infections nosocomiales (lavage des mains etc.) qui est une thématique bien enseignée. Mais il faudrait enseigner une dimension plus large, la systémie.

Il est selon moi important de s’inscrire dans l’interprofessionnalité dès la formation. Lorsqu’on expérimente les enseignements communs, on se rend compte que c’est très riche. Les aspects d’interprofessionnalité, de connaissances des tâches, des rôles de chacun, améliorent la sécurité du patient intuitivement. Car si je connais le métier de mon collègue, je vais m’écarter des représentations erronées que je peux en avoir et qui peuvent être délétères pour une prise en charge. Si on connait son collègue, on peut plus facilement parler d’une difficulté, d’une erreur. Il faudrait des enseignements dédiés mais non spécialisés sur un point en particulier. 

Quel conseil donneriez-vous à un soignant qui se retrouve face à une situation d’événement indésirable ?

Je lui dirai qu’il n’est pas seul. Il doit alors d’abord penser aux patients, le sécuriser, atténuer les conséquence de l’événement indésirable c’est-à-dire prendre les mesures nécessaires pour permettre la bonne prise en charge.  

Ensuite, il doit prendre soin de lui, et donc éventuellement en parler à un collègue. Puis chercher à comprendre ce qui s’est passé.

Entendre de la part de quelqu’un d’autre, « moi aussi il m’arrive de faire n’importe quoi », n’est absolument pas rassurant. Mieux vaut dire à son confrère « tu n’es pas seul ». Il ne faut pas rester seul face à l’erreur. Il faut ouvrir la parole. Bien sûr qu’on peut avoir peur de l’erreur mais en parler permet de pacifier les relations avec les patients.

erreur indesirable

Prendre soin des patients en toute sécurité,
Dr Marc Chanelière, éditions Le Coudrier.

 

par Laure Martin