Comment apprendre à enseigner la chirurgie ?

Métier en pleine évolution, le chirurgien se forme avec ses pairs. Il lui faut évidemment apprendre avec son professeur les bons gestes chirurgicaux mais il doit également apprendre à gérer les relations avec les patients, les équipes médicales et para médicales. Mais qui apprend à enseigner au formateur ?

Par Laurent Joyeux 

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Enseigner c’est apprendre à apprendre, que l’on s’adresse à un amphithéâtre plein d’étudiants ou à un ou deux internes dans son service. Des années après on se souvient d’un professeur pour sa figure, sa diction, ou ses tics d’enseignement qui font parfois sourire, mais lui, qui lui a appris son métier ? Professeur d'anatomie et de chirurgie à l'université Grenoble Alpes et chirurgien en chirurgie générale, thoracique et endocrinienne au CHU Grenoble Alpes, Philippe Chaffanjon revient sur l’enseignement de la chirurgie dans Chirurgien, qui t’a appris ton métier ?

Opposer recherche et enseignement

En France, l’éducation de la chirurgie est un métier hospitalo-universitaire réservé à un centre universitaire. « Aucune habilitation à diriger les enseignements n’est délivrée alors que le dernier diplôme délivré par l’université est le HDR (habilitation à diriger des recherches), souligne l’auteur. La formation à la pédagogie du chirurgien qui souhaite passer le concours de professeur des universités est souvent reléguée au second plan par la recherche scientifique ou la gestion d’une équipe hospitalo-universitaire. Une fois professeur, le chirurgien devra apprendre seul à jongler avec les charges administratives, les calendriers de cours, ceux des jurys et le planning hospitalier. »

Un contrat moral

Dans l’esprit des patients, le mot « professeur » est gage de compétences inconnues du « docteur » mais ils ignorent son engagement pédagogique dans la formation des internes. Le professeur doit apprendre à l’étudiant le savoir anatomique et médical, le bon geste chirurgical – sécure et technique – et la relation juste avec le patient. Il doit aussi apprendre à évaluer les étudiants, repérer un élève mal orienté ou décrypter les signes de burn out. « Pendant les six ans du DES, explique P. Chaffanjon,  les internes vont changer de stage tous les six mois ; tous les choix se feront en accord avec le professeur qui coordonne leur filière et qui est responsable de leur cursus. Une relation forte se nouera, une forme de compagnonnage qui influera sur toute la carrière de l’interne. Au fil des années, un contrat moral s’établira entre eux. »

"La formation à la pédagogie du chirurgien qui souhaite passer le concours de professeur des universités est souvent reléguée au second plan par la recherche scientifique"

Un combat perdu d’avance contre le progrès ?

Au tableau noir, à la salle de dissection et au rétro projecteur, le professeur de chirurgie doit désormais ajouter dans sa palette d’outils, l’enseignement numérique, l’imagerie médicale et la réalité virtuelle. Certaines pathologies, les ulcères gastroduodénaux par exemple, qui relevaient de la chirurgie, sont à présent traitées médicalement. Le geste chirurgical a tendance à devenir de moins en moins invasif pour raccourcir les délais d’hospitalisation au bénéfice de l’hospitalisation en ambulatoire. L’enseignant mène-t-il pour autant un combat perdu d’avance contre une évolution galopante et la multiplication des spécialités ? Un faux problème pour P. Chaffanjon, car tout au long de sa carrière, le professeur de chirurgie continue d’apprendre son métier. Tout en se réjouissant des découvertes et des nouvelles techniques, il voit dans le pédagogue un humaniste, un arbitre qui aide à déterminer la méthode la plus bénéfique pour le patient  et à porter un regard critique sur les publications scientifiques.

Les incertitudes de l’avenir

P. Chaffanjon émet des réserves sur la réforme récente du 3e cycle qui prévoit la spécialisation de l’élève en 3e année. « Cela ne risque-t-il pas de se faire au détriment d’une vision transversale des soins au patient ? D’autant que l’augmentation du numerus clausus va rendre plus difficile la recherche des lieux de stages cliniques. » Faudra-t-il alors envisager un enseignement hors des CHU ? Des stages en cliniques privées pendant le 3e cycle et, dans ce cas, quelle relations établir entre le responsable de formation et le maître de stage ? Quid des stages de formation initiale ? Des stages de formation continue ? En raccourcissant la durée de formation, les motivations de la réforme ne sont-elles pas exclusivement comptables au détriment de l’élève et du patient ? On ne peut pas gérer un CHU comme une clinique. Le temps de l’enseignement joue sur la durée d’occupation des blocs opératoires, 20 à 50 % parfois, au grand dam des directeurs administratifs. Et si la réforme est réformée à son tour, reviendra-t-on au statu quo ?

Et demain ?

Pédagogue passionné, Philippe Chaffanjon a une parole calme, concrète et toujours positive pour poser le contexte, les difficultés, la beauté de son métier de professeur de chirurgie et faire des propositions concrètes pour concilier clinique, recherche et enseignement. Il propose par exemple que dans chaque équipe co-existent un chirurgien-recherche et un chirurgien-enseignant et il suggère la création d’une habilitation à diriger l’enseignement, la HDE. Un petit livre fort utile en période de grande mutation.


photo chaffanjon

 

Philippe CJ Chaffanjon est professeur d'anatomie et de chirurgie à l'Université Grenoble Alpes et chirurgien en chirurgie générale, thoracique et endocrinienne au CHU Grenoble Alpes depuis 1991. Il est directeur du LADAF- école de Chirurgie (Laboratoire d'Anatomie Des Alpes Françaises) au sein du site Santé de l'Université Grenoble Alpes depuis 2011.

 

 

 

 

 

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