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Jeunes médecins : quelles attentes pour demain ?

Les internes et les jeunes médecins sont plus que jamais concernés par de nombreuses réformes en cours : Plan Ma Santé 2022, réformes des études de médecine. Ils y participent pour faire valoir leurs points de vue et se garantir un mode d’exercice qui leur convienne dans les années à venir. Le point.

Par Laure Martin

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« Nous sommes relativement attentifs à la suppression du numerus clausus qui est pour nous un moyen d’accroître la diversité des étudiants en médecine », indique Yannick Schmitt, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Réagjir). Il s’agit également pour l’intersyndicale, d’un déterminant pour une installation des jeunes praticiens dans les zones sous dotées. « Les lycéens savent bien que le numerus clausus, c’est en quelque sorte une loterie à l’issue de la première année d’étude, poursuit-il. Jusqu’à présent, seul un étudiant sur six en moyenne passait en deuxième année, ce qui n’encourageait pas forcément les étudiants plus éloignés des grands centres urbains ou qui ne disposaient pas du ″capital familial″, de s’orienter, dès le départ, dans cette voie. » La suppression du numerus clausus peut donc permettre une plus grande ouverture des études aux élèves qui ne se seraient pas dirigés en médecine à l’origine. Cette suppression est également nécessaire pour l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) « car jusqu’à présent, le numerus clausus a favorisé la compétition là où l’association et la collaboration entre les professionnels doivent être privilégiées, explique Antoine Reydellet, le président. Le concours de première année nous monte les uns contre les autres alors qu’il faut encourager la confraternité. »

Favoriser le parcours professionnel

La réforme du deuxième cycle des études en médecine est également en mouvance. En ligne de mire : la suppression des Epreuves classantes nationales (ECN) à l’issue de l’externat. « Ce qui est intéressant avec cette suppression, c’est que nous nous orientons vers un cycle davantage tourné vers le projet professionnel de l’étudiant avec une ouverture beaucoup plus grande sur la médecine de ville et la médecine générale », constate Yannick Schmitt. Ce sont deux orientations qui conviennent parfaitement à Réagjir car jusqu’à présent les études étaient principalement orientées sur l’hôpital.

La réforme du deuxième cycle est également soutenu par l’Isni, satisfait de la fin de l’examen national classant « qui favorise le bachotage et ne met pas en valeur la recherche ou une année à l’étranger, jusqu’alors synonyme de redoublement ou de déclassement », dénonce Antoine Reydellet. Mais en raison de nombreuses réformes des études en cours, notamment celle du troisième cycle, celle-ci a été repoussée.

Un troisième cycle en attente

En œuvre depuis deux ans déjà, la réforme du troisième cycle rencontre quelques difficultés d’application. La mise en place des formations spécialisées transversales tardent à entrer en vigueur tout comme le statut de docteur junior. « Aujourd’hui, pour passer en quatrième année d’internat, il faut être titulaire de sa thèse, ce qui nous permet d’accéder à un poste de docteur junior, un statut entre l’interne et l’assistant, dans le but d’acquérir une autonomie progressive », explique Antoine Reydellet. Et de regretter : « Le problème, c’est qu’on ne sait toujours pas comment on y accède, ni quel va être le salaire des docteurs juniors. » Se pose aussi la question de l’accès au secteur 2 qui n’est possible qu’après deux années d’assistanat. « Mais comme les postes de docteur junior risquent de coûter plus chers, nous craignons que les hôpitaux réduisent le nombre de postes d’assistants pour compenser, et que cela ne provoque, à terme, la fin du secteur 2 », rapporte Antoine Reydellet.

Par ailleurs, « dans le cadre de la réforme du troisième cycle, il est envisagé une quatrième année d’étude davantage professionnalisante, qui doit servir à une consolidation des acquis avec la construction du projet professionnel de l’interne, souligne Yannick Schmitt. C’est acté depuis deux ans, mais les étudiants en médecine générale ne sont pas concernés car nous ne disposons pas des ressources pédagogiques pour la mettre en œuvre. » En cause : le manque de maîtres de stage. Réagjir plaide pour que davantage de moyens soient attribués au département de médecine générale afin de permettre le recrutement de maîtres de stage et la mise en œuvre concrète de la réforme. « Il est vrai qu’il faut aussi aller chercher des candidats au poste de maître de stage car les médecins généralistes sont tous très occupés, reconnaît Yannick Schmitt. Spontanément, peu d’entre eux décident de le devenir, sauf les anciens stagiaires. » L’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) n’est également pas favorable à la mise en place de la quatrième année concernant la réforme du troisième cycle, « en raison de cette insuffisante capacité d’accueil en stage ambulatoire », indique Pieter Prats, porte-parole.

Une aide à l’installation

Outre la réforme des études, les syndicats des étudiants en médecine et des jeunes médecins agissent plus largement pour encourager à l’installation des jeunes médecins en libéral, et le manque de maître de stage joue en défaveur de cette installation. « Ils veulent s’installer dans les territoires qu’ils connaissent, rappelle Antoine Reydellet. Il faut donc qu’ils puissent aller en stage sur ces territoires. » Le recrutement des maîtres de stage en médecine générale croît, avec des profils qui se développent en pratique rurale, urbaine, semi-rurale, en exercice de groupe, une démarche importante pour que les internes puissent être confrontés à tout type d’exercice. « Mais la moyenne du nombre de maîtres de stage par département reste à 13 %. On est sur la bonne voie car ces dernières années, on est passé de 5 000 à 9 000, mais cela ne suffit pas », ajoute-t-il. Pour encourager à l’exercice en libéral, l’une des solutions qui fonctionne, c’est l’accompagnement. « Les départements ayant mis en place des dispositifs incitatifs ont vu le nombre de praticiens installés augmenter, poursuit Antoine Reydellet. C’est le cas par exemple de l’Aveyron qui n’avait pas d’installation en 2011, alors que cette année, il y a plus d’installés que de médecins partant à la retraite. Ce département a poussé à la formation des maîtres de stage universitaires et 80 % des praticiens le sont désormais. »

Autre solution pour encourager à l’installation en libéral : « faire en sorte que dès l’internat, les médecins soient formés au libéral, à la comptabilité », rapporte Pieter Prats. L’Isnar-IMG plaide également pour la généralisation des guichets uniques à l’installation. « Certains voient le jour mais il n’y a pas encore d’uniformisation », regrette-t-il. Des Agences régionales de santé (ARS) disposent également de référents à l’installation mais les internes l’ignorent. « Nous voulons un accompagnement humain et financier », fait savoir Pieter Prats.

Une sécurisation de l’exercice

Parmi les autres mesures à mettre en place, Réagjir plaide pour une sécurisation du début de l’exercice des médecins libéraux, notamment pour une amélioration de la protection sociale des remplaçants. « Aujourd’hui, les non-thésés, qui peuvent assurer des remplacements, ne disposent pas de protection sociale, ce qui n’encourage pas au remplacement, soutient Yannick Schmitt. Si le libéral devient leur activité principale, il faudrait qu’ils soient intégrés dans la convention médicale. » Une mesure qui relève principalement des négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs de la profession et l’Union nationale des caisses de l’assurance maladie (Uncam). Par ailleurs, depuis que le complément maternité a été intégré aux contrats d’aide à l’installation, le contrat de Praticien territorial de médecine générale (PTMG) a perdu de son intérêt pour les jeunes médecins. « Avant le PTMG offrait une couverture en cas de grossesse, mais maintenant, cet avantage est passé dans le droit commun, indique Yannick Schmitt. Il ne présente donc plus vraiment d’intérêt en dehors de la garantie de revenu, ce qui est mineur. » Réagjir plaide pour une prise en charge de l’ensemble des cotisations sociales sur les deux années du contrat, notamment parce qu’il s’agit « d’un élément de l’exercice libéral qui génère une crainte chez les jeunes médecins », rapporte Yannick Schmitt.

Aujourd’hui, les non-thésés, qui peuvent assurer des remplacements, ne disposent pas de protection sociale, ce qui n’encourage pas au remplacement


Autre point à revoir d’après l’Isni, la cotisation retraite demandée aux internes qui assurent des remplacements, et ce, depuis la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2018. « Comme la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) n’a pas de vision sur nos revenus la première année, les internes se retrouvent à payer un forfait de 3 000 euros, dénonce Antoine Reydellet. Certes, il y a des éléments de dispense, de même que le gouvernement avait proposé un régime simplifié mais il n’est possible que pour les revenus plafonnés à 12 500 euros par an. Or, en dessous, nous pouvons déjà demander une dispense à la Carmf, ce régime simplifié ne sert donc à rien… »

L’aide des assistants médicaux

Les syndicats ont également un avis sur leur exercice futur. Ainsi l’Isni se dit favorable aux fonctions des assistants médicaux à condition qu’ils n’aient pas un statut précaire. Elle suggère qu’une certaine flexibilité soit accordée au médecin pour définir les missions de l’assistant médical, mais comme le but est de libérer du temps de soins, les tâches devraient être principalement administratives. « Le contenu des négociations est confidentiel mais nous nous sommes prononcés sur les tâches que nous souhaiterions pouvoir déléguer aux assistants médicaux », rapporte Pieter Prats. L’Isnar-IMG plaide pour une part d’administratif et une part de soins comme la prise des constantes, la prévention, quelques soins de premiers recours. « Nous allons être attentifs à leur formation car l’Assurance maladie avait soutenu qu’elle n’avait pas besoin d’être immédiate, nous ne sommes pas d’accord », ajoute Pieter Prats. « Il faut détailler et préciser leur mission car l’idée est de ne pas empiéter sur le travail des Infirmières de pratique avancée », poursuit Antoine Reydellet. Réagjir, qui participe aux négociations sur les assistants médicaux, considère qu’ils vont permettre de changer la manière d’exercer la médecine de demain. « Néanmoins, si le dispositif est complexe, il risque de ne pas être adopté par les médecins », alerte Yannick Schmitt. À titre d’exemple, il n’est pas logique que la condition pour l’obtention de fonds dédiés au financement des assistants médicaux soit une augmentation du nombre de patients choisissant le praticien comme médecin traitant. Une mesure qui serait discriminante pour les jeunes praticiens « car il faut compter plusieurs années pour parvenir à élaborer une patientèle », rappelle Yannick Schmitt.

Vers un exercice coordonné

Les négociations en cours abordent également la question des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). « C’est très important car cela va structurer la médecine de premier recours dans les années à venir, souligne Yannick Schmitt. Or, il y a de grandes chances pour que les CPTS soient des usines à gaz car les bassins de vie sont compris entre 80 000 et 300 000 habitants. » La nouveauté : l’accompagnement qui va être proposé pour leur mise en œuvre. « Rien ne va venir de la Caisse primaire d’assurance maladie (Cpam), tout est renvoyé aux ARS, regrette le président de Réagjir. Nous craignons que chaque ARS fasse ce qu’elle souhaite, comme c’est le cas avec les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Certaines vont soutenir le projet, d’autres non. » Réagjir plaide pour un cadre d’accompagnement défini à l’échelle nationale.

La notion de CPTS reste d’ailleurs encore très abstraite pour les professionnels de santé. « Il ne faudrait pas que ce soit un dispositif qui nuisent aux libéraux en faveur des centres hospitaliers, met en garde Antoine Reydellet. Il faut que ce soit un réseau pour l’optimisation de l’offre de soins et qu’il permette un suivi continu des patients et une meilleure communication des données. Nous y sommes plutôt favorables mais une question demeure sur qui va prendre la tête des opérations »

par Laure Martin