Le rôle du pédiatre aujourd’hui [Interview]

Propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

Pendant sa carrière de pédiatre, le Dr Alexandre Gardea a exploré bien des facettes de son métier. Interne, externe, chef de clinique dans un service d’enfants leucémiques, il a travaillé 12 ans auprès d’enfants polyhandicapés, aux urgences pédiatriques et en cabinet libéral, il est également expert judiciaire. « Chaque activité permet de compléter l’autre » résume-t-il. Une longue carrière qui lui a donné la matière de deux livres Allô docteur; ici la maman de Julien et L’enfant dans notre temps qui vient de sortir chez l’Harmattan.

Quelle était votre approche pour ces deux livres ?

L’approche des deux livres est très différente. Allô docteur... présente l’enfant de zéro à 3 ans dans la vie quotidienne de jeunes parents. C’est un livre qui aborde le quotidien de parents inexpérimentés que le pédiatre accompagne.

Le second livre traite de l’enfant entre ses 3 ans et l’adolescence. Il commence à sortir de la bulle familiale et c’est l’environnement qui fait son quotidien. École, famille, loisirs... il fait l’expérience de l’interdépendance. J’ai choisi la forme littéraire du journal qui permet d’éviter les classifications et de refléter la diversité de la pédiatrie au rythme des consultations. Les pathologies sont exclues des deux livres.

Vous sortez de la sphère strictement médicale dans ce livre.

La forme du journal m’autorise, au jour le jour, à parler de mes musiques favorites et des auteurs qui comptent pour moi. Montaigne en particulier. Je prends ma retraite prochainement et arrêterai l’exercice libéral. J’ai d’autres projets d’écriture, plus romanesques. J’ai attrapé le virus de l’écriture, un grand plaisir !

Le pédiatre a souvent un rôle de médiateur ?

Nous sommes souvent en face de parents très désarmés et l’approche est souvent psychologique. Problèmes de sommeil ou dégâts des écrans : le milieu est souvent mis en avant. Nous faisons l’interface entre des enfants qui deviennent de plus en plus sujets en grandissant et les parents qui expriment toute une problématique. Il faut beaucoup de clarté dans les propos : « Vous n’entendrez pas chez moi ce que vous avez envie d’entendre ! », tout en restant diplomate. Nous travaillons avec tous les professionnels de l’enfance. En cas de problème, je préfère laisser l’initiative aux parents de demander à l’école de me contacter. À partir de 6 ans, il es tout à fait envisageable de recevoir l’enfant seul, et – pour ne pas trahir sa confiance – sans faire de compte rendu aux parents.

À partir de 6 ans, c’est très faisable de recevoir l’enfant seul, et – pour ne pas trahir sa confiance – sans faire de compte rendu aux parents.

Comment gérez vous les problématiques liées aux vaccins ?

Le courant anti-vaccination constitue l'une des raisons qui m’ont poussé à écrire ce livre . Il y a un vrai besoin de clarté. Par exemple, quand vous tapez « vaccins » sur un moteur de recherche, vous tombez en premier lieu sur des sites qui propagent des idées fausses reposant sur des a priori ou des rumeurs ! C’est sans doute pourquoi on en est arrivé à l’obligation vaccinale. Pour ma part, je n’ai pas rencontré trop de résistance chez les parents. J’ai toujours réussi à les convaincre de l'utilité de la vaccination. D’ailleurs à l’échelon national, ce travail de pédagogie porte ses fruits.

Et les dérives alimentaires ?

C’est un domaine qui ne touche pas beaucoup de monde même s’il y a quelques cas catastrophiques. Au cabinet, je vois les enfants suffisamment tôt pour alerter tout de suite. Malheureusement, il y a de moins en moins de pédiatres et de plus en plus d’enfants qui ne sont pas suivis. On reçoit des enfants de 6 ans qui n’ont jamais vu de pédiatre ! Lorsqu’on ne nous dit pas tout, on doit poser des questions. Plus les parents sont réticents, plus c’est le signe d’un problème larvé.

Observez-vous de nouveaux dangers pédiatriques ?

Les dégâts des écrans sont considérables. Ils deviennent un problème d’addiction. Des parents en arrivent à négocier la durée entre deux ou trois heures quotidiennes ou à démissionner. Notre rôle est d’informer des dangers, en particulier de la lumière bleue et de son impact sur le plan visuel, cognitif et de la concentration.

Tous les enfants ont besoin d’un cadre, il faut aider les parents à poser ces cadres sans humilier l’enfant.

La mission du pédiatre est d’expliquer, de convaincre dans un respect réciproque. Tous les enfants ont besoin d’un cadre, il faut aider les parents à poser ces cadres sans humilier l’enfant.

Quels conseils donneriez vous à un jeune pédiatre ?

Avant tout, je lui conseillerais d’acheter mon livre ! Plus sérieusement, je lui dirais de prendre son temps et de mettre de côté ce qu’il a appris à la fac. Il est déjà formé, connaît les protocoles, les maladies et leurs traitements. Il va maintenant apprendre son métier avec les parents et les enfants. Ils ont beaucoup de choses à lui apprendre. Il devra chercher les questions que les parents n’ont pas osé poser.

L’enfant dans notre temps – Journal d’un pédiatre

L'enfant dans notre temps (éditions L'Harmattan)

Dr Alexandre Gardea

Juin 2019

L’Harmattan