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Infirmier.e.s de santé au travail, en quête d'autonomie

Les infirmières de santé au travail ont un rôle indispensable dans le suivi des salariés et la mise en œuvre d’actions de prévention. Pourtant, la profession manque de reconnaissance. Le point avec Nadine Rauch, présidente du Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT).

Par Laure Martin.

LaureMartin

infirmiere sante travail INTComment est né le GIT ?

Le GIT est une association loi 1901 créée en 1987 par des infirmières de santé au travail (IST) qui se sentaient isolées les unes des autres. Leurs objectifs étaient de se connaître pour rompre leur isolement, se faire connaître en se fédérant et de mutualiser leurs connaissances des entreprises.

Et aujourd’hui ?

Avec ses 30 années d’expérience, l’association a pour but de promouvoir la profession. Nous essayons de participer à toutes les mesures et les décisions prises nous concernant. Notre métier a beaucoup évolué ces dernières années. Auparavant, les médecins de santé au travail travaillaient uniquement en binôme avec une secrétaire dans les services interentreprises. Puis, face à la pénurie de médecins, il a fallu trouver une solution pour continuer à suivre les salariés travaillant dans les entreprises. Une première réforme, en 2012, a introduit d’autres professionnels de santé à leur côté, notamment les IST. Auparavant, ils ne pouvaient être embauchés que par des entreprises. Depuis cette réforme, ils peuvent intégrer des services inter-entreprises de santé au travail et mettre en place des entretiens santé – travail infirmier (ESTI). Ces derniers ont pour but de recueillir des informations relatives à l’état de santé physique et psychique du salarié en rapport avec le travail, de recenser les expositions aux risques professionnels, et d’alerter le médecin, si besoin.

Cette réforme a permis de développer un travail avec le médecin, qui anime et coordonne l’équipe pluriprofessionnelle composée d’infirmiers, d’Intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), de psychologues du travail, d’assistantes sociales et de secrétaires devenues des assistantes de santé au travail. Une autre réforme en 2016 a élargi la réalisation de la visite d’information et de prévention (VIP) aux infirmiers de santé au travail. Ces visites sont effectuées dans les trois mois maximum suivant l’embauche du salarié pour échanger avec lui sur son état de santé. Nous avons donc bénéficié d’une montée en compétences. Nous voulons savoir jusqu’où on veut nous amener et surtout bénéficier d’une formation complémentaire spécifique, quel que soit le lieu d’exercice de l’IST : entreprise, service inter-entreprise de santé au travail, fonction publique.

Vous parlez d’une formation complémentaire au diplôme d’IDE ?

Effectivement, car du jour au lendemain, nous avons été mis sur le devant de la scène. Il faut s’assurer que nous ayons bien les compétences face aux attentes. En 2012, lorsque la réforme a modifié nos missions, les IST ne disposaient pas forcément de toutes les compétences nécessaires pour assurer les ESTI. La loi précise que les services inter-entreprises de santé au travail ou les entreprises qui emploient directement des infirmiers, doivent les inscrire à une formation dans l’année qui suit l’embauche.  Mais le texte ne précise pas le type de formation, ni sa durée : c’est là où le bât blesse. Le GIT souhaite qu’il soit inscrit dans la loi la nécessité de bénéficier d’une formation diplômante universitaire, d’un diplôme universitaire reconnu par l’enseignement supérieur, pour pouvoir ainsi assurer un suivi de qualité. Ces formations existent déjà à l’université Paris Descartes à Paris 13, Lille ou encore Strasbourg. La réforme a prévu davantage de responsabilités et d’autonomie pour les IST, il faut donc une formation adéquate pour asseoir notre crédibilité et pour faire en sorte que les médecins puissent se reposer sur les infirmiers.

Comment nous confier davantage de responsabilités tout en nous laissant sous l'autorité du médecin du travail ? Nous souhaitons réaffirmer au législateur que les infirmières peuvent avoir davantage de responsabilités et d’autonomie mais que cela requiert une formation de qualité.


Pourquoi ces formations n’ont-elles pas lieu ?

Une formation universitaire oblige l’entreprise à dégager du temps pour l’infirmier sur une année universitaire. D’autres formations existent, de deux jours à trois semaines. Elles coûtent moins chères pour l’entreprise mais elles ne sont pas suffisantes pour une qualité de prise en charge des salariés. Ceci peut d’autant plus influer sur l’avenir de l’infirmière. Aujourd’hui, lorsqu’elles débutent en service de santé inter-entreprises, les IST sont encadrées par des collègues mais cela ne suffit pas. De même qu’il n’est pas envisageable qu’elles soient directement embauchées dans une entreprise, où elles exerceront seules, sans avoir eu une expérience en amont. Nous conseillons de faire des missions d’intérim dans des secteurs moins difficiles comme dans le tertiaire ou dans un service inter-entreprise justement, afin de ne pas commencer leur carrière seules.

Quels sont vos liens avec le médecin ?

Il faut savoir que notre rôle propre est défini par le Code de la santé Publique et la circulaire OHEIX de 1975. Nous sommes embauchées par l’entreprise mais techniquement nous dépendons du médecin de santé au travail car notre rôle est prescrit. Nous avons également un rôle sous protocole, qui se construit avec lui en fonction des risques observés dans l’entreprise. Le médecin anime et coordonne toute l’équipe pluriprofessionnelle et techniquement nous sommes sous son autorité. Néanmoins, cela reste ambigu car comment nous confier davantage de responsabilités tout en nous laissant sous son autorité ? Nous souhaitons réaffirmer au législateur que les infirmières peuvent avoir davantage de responsabilités et d’autonomie mais que cela requiert une formation de qualité.

Avez-vous d’autres revendications ?

Tout à fait, concernant notre statut. Le médecin du travail possède le statut de salarié protégé. Ce n’est pas notre cas. Les IST sont soumises à la confidentialité mais dans certains cas, nous pouvons nous retrouver dans des situations complexes. Nous voudrions bénéficier du statut de salarié protégé pour travailler dans des conditions optimales et sans avoir à craindre la pression de la part de l’employeur. Nous échangeons avec l’Ordre national des infirmiers sur le sujet. Nous voudrions aussi que notre spécificité soit reconnue comme une spécialité à part entière.

Qui assure votre suivi ?

Nous sommes comme les salariés, nous avons des visites avec des médecins ou infirmiers du travail, autres que ceux avec lesquels nous travaillons.

 

Quelles sont les missions des infirmières de santé au travail ?

Nous assurons le suivi individuel de la santé des salariés et menons des actions en prévention, individuelle et collective. Outre les Visites d’information et prévention initiales (VIPI) et les Visites d'information et prévention périodiques (VIP), nous sommes amenées à effectuer des Actions en milieu du travail (AMT) seules ou en collaboration avec l’équipe pluridisciplinaire, par exemple sur le tabac, sur l’alcool, le bruit, le risque chimique. Nous pouvons également aborder ces thématiques lors des entretiens individuels. En accord avec l’entreprise, nous pouvons aussi mettre en place des actions et outils de sensibilisation avec des experts. Aujourd’hui, l’attestation de suivi de santé est délivrée aussi bien par le médecin que par l’infirmière de santé au travail, seul le médecin a le droit d’émettre des préconisations. L’infirmier peut également suivre les salariés comme les travailleurs de nuit, les travailleurs handicapés et les jeunes de moins de 18 ans. Elle peut décider d'une orientation si besoin vers le médecin du travail. Nous pouvons être amenées à faire des soins d’urgence et parfois des soins personnels aux salariés.

par Laure Martin