Résilience #4 / Christophe André : « Soignants, chérissez votre équilibre intérieur ! »

Le 5e webinaire organisé par  Groupe Pasteur Mutualité sur la résilience et la prévention des traumatismes chez les professionnels de santé a porté sur le maintien de la relation de soin en période de crise et d’hyperstress. L'occasion pour le Pr Corinne Isnard Bagnis, néphrologue et spécialiste de la méditation de pleine conscience, d’échanger avec le psychiatre et psychothérapeute Christophe André, sur les pistes permettant aux soignants de rester présents et de garder intact leur compassion à l’égard d’eux-mêmes. 

Visionner le webinaire animé par Christophe André : cliquer ici

 

christopheandre INT« Cette relation soignant-soigné est un univers passionnant, lance Christophe André, en guise d’introduction. Elle a beaucoup évolué ces dernières années, elle est devenue plus élaborée, plus riche. »

L’importance pour un soignant d’être davantage présent à cette relation de soin est beaucoup mieux comprise aujourd’hui. « Pendant un temps, cette relation était basée sur un certain autoritarisme, une directivité, ajoute-t-il. Il y a des mots qui persistent d’ailleurs, comme le mot ″ordonnance″. Mais aujourd’hui, notre société est de plus en plus allergique aux différences hiérarchiques que ce soit dans l’éducation, dans l’entreprise et dans les relations soignants-soignés. » 

Les soignants ont en effet compris qu’ils peuvent améliorer la qualité des soins, l’observance, l’alliance thérapeutique en étant eux-mêmes qualitativement présents et en bonne forme.

Eviter les défaillances

L’équilibre intérieur s’avère donc indissociable d’une bonne relation aux soins. « Pendant la crise sanitaire, les soignants ont eu de nombreuses raisons d’être stressés, notamment la crainte de la contamination, de ne pas être suffisamment protégés, rappelle le Pr Isnard Bagnis. Comment peuvent-ils agir s’ils ne se sentent pas bien et prendre du temps pour eux ? » « Cette question de la dispensation des soins lorsque nous ne sommes pas en forme est une constante », reconnaît le Dr André.

Deux enjeux sont à distinguer. Tout d’abord, comme tout être humain, les soignants doivent prendre soins d’eux. « Mais ils doivent le faire plus que tout le monde car nos métiers sont sans pitié pour nos défaillances, pointe-t-il du doigt. Si nous n’allons pas bien, cela peut impacter la qualité des soins que nous allons délivrer. Ou encore, si nous mettons toute notre énergie pour les patients, cela va impacter notre santé et le bien-être de nos proches. »

Si nous n’allons pas bien, cela peut impacter la qualité des soins que nous allons délivrer.

Prendre du temps pour soi

Pour se sentir au mieux et prendre du temps pour soi, certaines règles devraient être inflexibles : « par exemple, entre deux patients, chaque soignant devrait fermer la porte de son cabinet, prendre le temps de respirer, de digérer la consultation pour pouvoir se consacrer au mieux à la suivante, conseille Christophe André. Ce n’est pas grave si on perd une minute. C’est d’ailleurs respectueux envers le prochain patient. » 

Ainsi être en lien avec les autres et agir sur la qualité de ce lien, passe par une petite mise à l’écart pour se recentrer sur soi, prendre soin de soi pour prendre soin de l’autre. Mais encore faut-il accepter de le faire… Une démarche qui n’est pas forcément évidente pour les soignants soumis au stress d’être en retard, de voir la file de patients s’allonger. « Il est vrai que les soignants ont ce souci de ne pas décevoir, soutient le Dr André. Ils sont soumis à des anciens réflexes qui occupent leurs circuits cérébraux, qui consistent notamment à se maltraiter lorsqu’ils sont en retard. » La solution ? Etre dans l’autobienveillance et l’autocompassion. 

Être en lien avec les autres et agir sur la qualité de ce lien, passe par une petite mise à l’écart pour se recentrer sur soi […] Une démarche pas forcément évidente pour les soignants...


Le stress : un nœud coulant « terrible »

Le stress est un grand dérégulateur émotionnel et attentionnel. « Lorsqu’on est stressé, nos émotions négatives vont être accrues, on devient plus irritable, on se met plus vite en colère, on va être abattu, triste, avoir honte, énumère le Dr André. Le stress effondre notre capacité à ressentir des émotions positives. Il s’agit d’un nœud coulant terrible car on devient de moins en moins sensible à ce qui pourrait nous donner de la force. »

Le stress enlève cette capacité à se concentrer sur la notion de récupération et de réparation. Par exemple, la personne qui s’approche d’un burn out va utiliser tous les temps qui pourraient être du repos pour rattraper le retard qu’elle craint d’avoir accumulé. « Cette culture du prendre soin de soi pour les soignants reste récente, poursuit-il. C’est parce que nous constatons de plus en plus de casse chez les soignants qu’on se rend compte que ceux qui ne s’accorde pas de temps se mettent en danger. »

Se former et méditer

La formation des soignants à prendre soin d’eux, à gérer leur stress, leur émotion et prévenir le burn out, peut être la solution « mais ce n’est pas pour autant un moyen de s’exonérer des erreurs de management, met en garde le Dr André. C’est un débat important car des personnes tiennent encore des discours contestant les bienfaits du temps pour soi, de la méditation, de la psychologie positive soutenant que cela détourne les gens des luttes indispensables sur les conditions de travail. Pourtant, les démarches sont bien complémentaires. »

Difficile en effet de demander aux patients de prendre soin d’eux si les soignants ne s’appliquent pas les mêmes exigences. « Il faut être dans un bon rapport à sa propre santé, à l’écoute de soi, ajoute-il. Cela n’a rien de narcissique, c’est au contraire être dans une écoute respectueuse de soi-même. » 

« Réduire la méditation à un simple acte de repli, c’est ne voir que la moitié des choses car de ce repli vont naître des capacités accrues. Ces temps de récupération sont indispensables, c’est une question de survie. »

Une des grandes clefs de la gestion du stress est donc de s’assurer d’avoir, dans la journée, suffisamment de moment pour être dans la non-action, afin d’offrir au cerveau du temps de récupération. « La méditation pleine conscience a toute sa place dans cette démarche afin d’apprendre sur nos fragilités, les observer, respecter nos souffrances, non pas pour nous y noyer mais pour écouter ce qu’elles veulent dire », estime-t-il.

Et de conclure : « Réduire la méditation à un simple acte de repli, c’est ne voir que la moitié des choses car de ce repli vont naître des capacités accrues. Ces temps de récupération sont indispensables, c’est une question de survie, surtout après la période que nous venons de vivre. Nous y avons droit. »

A lire

« La vie intérieure », Christophe André, éditions de l’Iconoclaste, 2018.

par Laure Martin