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Contraception, suivi de grossesse, IVG... la sage-femme alliée de l'autonomie de la femme

Le rôle des sages-femmes a considérablement évolué ces 15 dernières années. Après avoir été quelques temps reléguées au second plan, leurs compétences se sont accrues afin de permettre une prise en charge complète de la femme. Le point avec Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes.

Par Laure Martin

LaureMartin 

sage femme role cle suivi INTQuel est le rôle propre de la sage-femme ?

Son rôle propre consiste en l’accompagnement des femmes pendant leur grossesse et l’accouchement. Notre profession existe depuis tout temps, c’est juste le nom qui a évolué. Le mot « sage » fait référence à la connaissance : la sage-femme est la femme qui sait, qui connaît la femme.

Comment votre profession a-t-elle évolué ?

Nous avons toujours été une profession à part. Avant les années 1960, les accouchements se déroulaient à domicile, notre profession était donc une institution. Puis, dans les années 1960/1970, les femmes ont été dirigées pour leur accouchement, au nom de la sécurité de la naissance, vers les hôpitaux et les cliniques. Les sages-femmes ont suivi, entraînant une diminution du nombre de sages-femmes libérales. A partir de cette période, notre profession est passée inaperçue. Nos compétences n’ont plus du tout été reconnues car nous n’étions plus distinctes dans notre rôle. Nous faisions partie d’un tout, de l’ensemble hospitalier. Nous étions devenues une blouse de plus parmi les autres. Dans les années 1960, nous avons aussi perdu la compétence de signer la déclaration de grossesse permettant à la femme d’être prise en charge par la sécurité sociale. Les médecins ont estimé qu’à la première consultation, la femme enceinte devait bénéficier d’un examen clinique complet dont un examen cardiopulmonaire pour lequel les sages-femmes n’étaient pas compétentes. A partir des années 1980, l’obstétrique s’est surmédicalisée, voire hypermédicalisée, limitant le rôle des sages-femmes. Depuis quelques années, la tendance s’inverse : les femmes sont de plus en plus nombreuses à questionner la nécessité des protocoles ou des gestes qu’on leur impose. Les sages-femmes apparaissent comme le garant du respect de la physiologie pour les femmes qui souhaitent être actrices de leur accouchement.

Aujourd’hui, les sages-femmes bénéficient-elles d’une meilleure visibilité ?

Tout à fait et ça a débuté dans les années 2000. La loi relative à la politique de santé publique de 2004 nous a rendu la compétence pour signer la déclaration de grossesse. Depuis 2004, la femme n’est donc plus obligée de consulter un médecin pour sa grossesse, permettant progressivement à la sage-femme de reprendre son rôle auprès des femmes enceintes. Elle est en effet compétente médicalement pour assurer ce rôle dans le respect de la physiologie et de l’eutocie.

La mise en place du Prado en 2010 a également représenté une opportunité pour les femmes de mieux comprendre la profession de sage-femme. Ce dispositif permet aux femmes ayant accouché de voir une sage-femme à domicile après leur sortie de maternité, répondant ainsi à la demande d’accompagnement des femmes en post-partum.

Pour autant, les femmes qui méconnaissent le rôle des sages-femmes, tant pour le suivi de la grossesse que pour le suivi gynécologique, sont encore nombreuses.

Désormais, vous pouvez également assurer le suivi gynécologique de la femme…

Dès 2004, nous avons obtenu la possibilité de prescrire la contraception dans le cadre du post-partum et du post-interruption volontaire de grossesse (IVG). C’est ensuite la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009 qui nous a accordé cette compétence d’effectuer le suivi gynécologique de prévention des femmes n’ayant aucune pathologie et de leur prescrire tout type de contraception. En cas de pathologie, la sage-femme oriente la patiente vers un médecin.  Avec la loi HPST, l’objectif a été d’anticiper les déserts médicaux liés à la réduction du nombre de gynécologues médicaux. Ces nouvelles compétences ont entraîné une refonte de notre formation en 2012.

Nous avons donc un rôle très sociétal et médical au niveau de la grossesse et pour la santé génésique. Nous avons également des compétences en santé publique avec le dépistage des infection sexuellement transmissibles (IST) et des cancers. Depuis 2016, un volet prévention s’est ajouté à nos missions avec la possibilité de vacciner et de prescrire à la femme enceinte et à son entourage des substituts nicotiniques.

Exercez-vous en pluridisciplinarité ?

La sage-femme est la spécialiste de la physiologie et est compétente pour dépister la pathologie, ce qui implique un travail en pluridisciplinarité.

Par exemple, lors de l’accouchement, si l’usage des forceps ou si une césarienne est nécessaire, le gynécologue obstétricien prend le relai sur la sage-femme. Nous échangeons alors à ce moment-là. C’est le cas également dans le cadre du suivi de grossesse ou du suivi gynécologique. Nous menons un travail complémentaire avec eux.

Les femmes qui méconnaissent le rôle des sages-femmes, tant pour le suivi de la grossesse que pour le suivi gynécologique, sont encore nombreuses [...] Nous avons également des compétences en santé publique avec le dépistage des infection sexuellement transmissibles (IST) et des cancers.

Comment votre profession participe-t-elle à la lutte pour le droit de la femme ?

Les sages-femmes ont volontairement demandé à pouvoir pratiquer l’IVG médicamenteuse, qu’elles peuvent prescrire depuis 2016, et nous demandons aujourd’hui à pratiquer l’IVG instrumentale. Car l’offre s’amenuise et cette demande vise à répondre aux besoins des femmes et montre l’attachement de la profession aux droits des femmes.

L’Ordre travaille par ailleurs en partenariat avec la MIPROF(1). La grossesse est une période lors de laquelle violences contre les femmes apparaissent ou s’intensifient. Aussi, le rôle des sages-femmes est essentiel pour dépister ces violences.

Peu de sages-femmes hommes exercent, pourtant, les gynécologues hommes sont nombreux. Comment expliquer cette différence ?

Historiquement, les sages-femmes ont toujours été des femmes. L’obstétrique a été investie par les « chirurgiens-barbiers » à la fin du 17e siècle, qui étaient exclusivement des hommes et qui ont d’ailleurs éloigné les sages-femmes de certaines pratiques, les limitant volontairement dans leur rôle.

Par ailleurs, la formation de sages-femmes n’a été ouverte aux hommes qu’en 1982. Ceux-ci restent très minoritaires dans la profession : on compte aujourd’hui 2,6% d’hommes sages-femmes.

Votre profession a-t-elle des revendications actuellement ? 

Nous avons obtenu récemment la possibilité de vacciner le nourrisson. Auparavant, nous ne pouvions vacciner que les nouveau-nés jusqu’à 28 jours. Nous voudrions pouvoir pratiquer l’IVG instrumentale pour améliorer l’accès des femmes à l’IVG et respecter leur choix de la méthode, car chaque année, 5 000 d’entre elles se rendent à l’étranger pour une IVG instrumentale. Nous souhaitons une ouverture plus large des plateaux techniques aux sages-femmes libérales, qui permettrait aux femmes qui le souhaitent d’être suivies par la même sage-femme pour leur grossesse, l’accouchement et le suivi post-natal. Nous plaidons également en faveur de la pérennisation des maisons de naissance, des structures aujourd’hui expérimentales où les femmes peuvent également être suivies par la même sage-femme dans un contexte plus respectueux de la physiologie. Ces alternatives permettraient de diversifier l’offre de soins et de mieux répondre aux choix des femmes.

Les modes d’exercice des sages-femmes

29 000 sages-femmes sont inscrites au tableau de l’Ordre et parmi elles, un peu plus de 24 000 sont en exercice. 51 % des sages-femmes sont hospitalières, 30 % sont libérales (20% exclusivement et 10 % en exercice mixte), 11 % sont salariées du privé, 3 % travaillent dans un établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic) et 5 % en territorial dans une protection maternelle et infantile (PMI). Dans les maternités, les sages-femmes peuvent exercer leur fonction à plusieurs postes : consultations, salle d’accouchement, suite d’accouchement, gynécologie, préparation à l’accouchement. En libéral, la sage-femme peut remplir ces missions également. En PMI, elle a davantage un rôle social et de prévention. Mais elle peut être amenée à effectuer des consultations prénatales et la préparation à la naissance.

 
Note

1. Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

par Laure Martin