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Biographie hospitalière : un soin de support pour les patients gravement malades

Fondatrice de l’association Passeur de mots, Passeur d’histoire, Valéria Milewski est biographe hospitalier. Membre d’une équipe soignante, elle travaille avec les patients gravement malades afin qu’ils racontent leur histoire de vie et laissent une trace à leurs proches.

Propos recueillis par Laure Martin.

LaureMartin

Valeria Limewski c Laura AmorosoEn quoi consiste le métier de biographe hospitalier ?

Lorsque nous parlons de biographe hospitalier, nous faisons référence à deux éléments : des personnes qui ont des compétences pour écrire des biographies et des patients en soins dans un établissement de santé ou à domicile. Nous faisons donc le distinguo avec le biographe privé, et/ou familial. Dans le cas présent, la notion de soins et de prendre soin a une importance capitale.

Quelle est la démarche ?

Le biographe hospitalier est partie intégrante d’une équipe de soins. C’est l'équipe de soins qui propose à une personne gravement malade, d’avoir recours au biographe hospitalier pour se raconter. La démarche est gratuite, car elle est considérée comme un soin de support. Le biographe hospitalier va donc rencontrer le patient afin qu’il lui raconte son histoire. Il rédige ensuite un livre pour lui remettre – ou à ses proches s’il est décédé. Il s’agit du livre de sa vie, de belle facture, car relié à la main par un artisan d’art.

Quand on invite l’autre à se raconter, on l’invite à se reconstruire. [...] Avec le récit, l’objectif est d’être dans la continuité.

Comment travaillez-vous avec les patients ?

Les portes d’entrées sont nombreuses. Parfois ce sont des grands-parents qui veulent raconter leur vie à leur petit-enfant ou à leur enfant. La semaine dernière, je suis intervenue auprès d’un papa de 32 ans, hospitalisé pour un cancer. Il avait entendu parler de ma présence à l’hôpital. Le médecin m’a sollicitée, je l’ai donc rencontré. Il avait deux jeunes enfants de 7 et 3 ans et voulait leur laisser un souvenir heureux. Nous avons donc travaillé sur des anecdotes et avons beaucoup ri. Il est décédé rapidement.

Généralement en six à sept heures d’échanges, il est déjà possible d’effectuer un grand tour de la vie d’une personne. J’ai l’habitude de travailler de manière chronologique pour faire revivre les souvenirs. Quand on invite l’autre à se raconter, on l’invite à se reconstruire. Les personnes en soins palliatifs sont souvent morcelées physiquement et psychologiquement. Elles ont de nombreuses blessures et ont vécu des situations difficiles. Avec le récit, l’objectif est d’être dans la continuité. Les biographes sont comme le fil de la couturière, ils lient les souvenirs avec des fils d’or tout en respectant une trame.

Lorsque j’ai commencé cette activité, je voulais toujours remettre le livre rapidement. Mais je me suis rendu compte que lorsqu’il arrivait trop tôt après le décès, les proches l’assimilaient à la souffrance et le laissaient de côté. Désormais, je le livre un à deux ans après le décès, sauf cas exceptionnel. Par exemple, le fils de ce jeune papa est venu me voir lorsqu’il a appris son décès, pour savoir si je pouvais lui donner le livre rapidement. Dans ce cas précis, je sais que le livre va participer à son deuil et à sa reconstruction.

Le biographe hospitalier est partie intégrante d’une équipe de soins [...] Il travaille auprès de patients de tous les âges généralement en situation palliative, dans un moment de vie où il n’y a plus de curatif. D’où l’importance d’être formé.

La formation du biographe hospitalier est-elle indispensable ?

À la différence d’un biographe familial, qui a des clients, le biographe hospitalier est intégré à une équipe de soins et est soit salarié de l’hôpital, soit il intervient au titre d’une association ou d’une fondation. L’intention est donc différente, car il travaille auprès de patients de tous les âges généralement en situation palliative, dans un moment de vie où il n’y a plus de curatif. D’où l’importance d’être formé.

Lorsque j’ai commencé il y a bientôt 14 ans au CH de Chartes, j’étais biographe familiale. Puis, progressivement, j’ai reçu des demandes pour de la formation. J’ai donc créé l’association Passeur de mot, passeur d’histoire, et j’ai commencé à former des futurs biographes hospitaliers en exigeant trois prérequis : la nécessité d’avoir écrit au minimum deux biographies, être soit soignant, soit bénévole accompagnant, puis rédiger un projet avec ses envies et ses craintes par rapport à l’exercice de ce futur métier. Aujourd’hui, la formation initiale dure quatre jours, je propose aussi une formation continue et je travaille à la mise en place d’un diplôme universitaire.

Comment implanter ce type de soins dans les établissements hospitaliers ?

Le biographe formé doit démarcher les établissements et trouver une équipe qui a envie de proposer ce type de soin de support. Avec l’association, nous aidons à trouver des financements, car le biographe hospitalier n’est pas bénévole. Aujourd’hui, nous avons un bon maillage. Nous sommes 17 passeurs et nous intervenons dans 21 établissements de santé, au sein de neuf régions. Nous avons créé des collectifs dans les territoires, ce qui nous permet de mettre les nouveaux passeurs en contact. Nous avons aussi la chance d’être soutenus par le fonds pour les soins palliatifs Helebor, qui aide au développement de notre travail. Ainsi, lorsqu’un passeur formé a trouvé une équipe, le fonds cherche la moitié de la somme annuelle requise pour son financement.

par Laure Martin