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Oser parler de la mort avec les très jeunes

Comment un enseignant, un médecin ou un parent peut-il parler de la mort à un enfant de sept ou huit ans ? Quels mots employer quand un élève est confronté au suicide d’un proche, aux services de soins palliatifs ou au décès d’un parent ? Présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), Claire Fourcade fait le point sur les soins palliatifs en France et sur la toute nouvelle plateforme « La vie la mort on en parle » qui aide à trouver les mots justes pour parler aux plus jeunes. Un sujet rendu d’autant plus nécessaire par l’épidémie de Covid-19 qui égraine chaque jour son macabre décompte.

Propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

IMG 20160716 135700 1 300x300Claire Fourcade vous êtes médecin de soins palliatifs depuis 20 ans à la Polyclinique Le Languedoc de Narbonne. Votre service comprend une douzaine de lits, une équipe de jour et une équipe dédiée à la prise en charge à domicile. Vous avez été élue présidente de la Sfap au mois de septembre dernier. Quelle évolution dans le domaine des soins palliatifs, et comment sont-ils enseignés ?

Progressivement les choses avancent, au fur et à mesure de l’acculturation des soignants et du grand public. Les deux lois Leonetti et Leonetti Claeys de 2005 et 2016, ont fait avancer les choses, tant pour la prise en charge de la fin de vie, que l’interdiction de l’obstination déraisonnable, la sédation ou de l’accompagnement en fin de vie. Aujourd’hui 50 % des gens sont au courant des directives anticipées, mais si beaucoup a été fait, il reste beaucoup à faire devant nous, autant au niveau des structures que de la mise en œuvre des lois,

Concernant l’enseignement, aujourd’hui, tous les étudiants en santé – médecins, infirmiers, kinés, etc.– devraient suivre une initiation aux soins palliatifs. Des diplômes universitaires existent, ainsi que des capacités et des masters. Pour les soignants en activité qui doivent repenser leur façon de travailler, des formations continues sont possibles.

Existe-t-il une résistance aux soins palliatifs et comment abordez-vous le sujet avec les patients ?

À l'échelle sociétale, la mort est un sujet difficile. Parfois les principales résistances se rencontrent dans le monde médical. Certains médecins ont une approche technique alors que la médecine palliative s'appuie sur une approche globale de la personne. Ils considèrent davantage la maladie et les traitements que le patient. Heureusement, cela change et les jeunes médecins, mieux formés, sont plus sensibles à la médecine palliative.

Nous nous adressons différemment à chaque patient, car la manière dont les choses sont dites est essentielle. Il existe un devoir d’information des familles et des patients dans la mesure de ce qu’ils peuvent comprendre ou entendre. Sans utiliser le terme « soins palliatifs », on peut leur demander s’ils souffrent. Il est important de les soulager et que leur parcours se fasse en douceur.

"Certains médecins ont une approche technique alors que la médecine palliative alors que la médecine palliative s'appuie sur une approche globale de la personne [...] Heureusement, cela change et les jeunes médecins, mieux formés, y sont plus sensibles"

Votre association soutien le projet « la vie la mort, on en parle », une plateforme en ligne qui aide les jeunes à vivre le deuil et la maladie. Comment est né le site ?

Il y a quelques années, la Sfap a été sollicitée par Nicolas El Haïk-Wagner. Élève de première, il préparait un dossier pour ses études, sur la façon de parler de la mort aux jeunes. Très motivé, il partait du constat que dans chaque classe il y a en moyenne un élève qui a été confronté au deuil. Souvent les professeurs connaissent mal les situations difficiles vécues par les jeunes. Nicolas souhaitait donner des outils à des enseignants très démunis pour aborder ces thèmes ; chaque année par exemple, pour la fête des mères, le sujet des orphelins réapparait dans les classes.

Avec le groupe "Jeunes générations" de la Sfap, composé de 80 médecins, infirmiers, pédiatres, art-thérapeutes, bénévoles, psychologues, etc., nous avons décidé d’ouvrir un portail dédié à la fin de vie et de donner aux enseignants des outils de repérage. Pour construire le site, plusieurs philosophies de soin se sont croisées. Une preuve de plus de l’intérêt de l’intelligence collective et qu’en s’y mettant à plusieurs on est plus pertinent.

L’Éducation nationale a-t-elle été partenaire du projet ?

La ténacité de Nicolas a beaucoup joué mais, très vite, le groupe de travail a été rejoint par des enseignants. Ils ont travaillé en accord avec l’Éducation nationale. L’académie de Rouen a été la première à participer. Ensemble, ils ont défini des grands thèmes, sélectionné des ressources, présenté des initiatives et leurs acteurs. Le site est un pont entre les deux mondes de la santé et de l’enseignement. Il s’adresse à un large public : parents, conjoints, enfants malades, professeurs ou soignants. Même les médecins généralistes ne savent pas toujours comment aborder ces sujets et quels mots utiliser.

Le site est un pont entre les deux mondes de la santé et de l’enseignement. Il s’adresse à un large public : parents, conjoints, enfants malades, professeurs ou soignants. Même les médecins généralistes ne savent pas toujours comment aborder ces sujets et quels mots utiliser.

En fonction de la situation présentée par le patient, ils peuvent l’orienter vers le site qui a été conçu pour que chacun se l’approprie en fonction de ses besoins. Par exemple, le site propose une sélection de films qui expriment avec humour et tendresse ce que sont les soins palliatifs. J’aime tout particulièrement "Mistral gagnant" et les dessins de l’Homme étoilé qui dédramatisent le sujet.

Il est encore trop tôt mais nous verrons les effets du site, y compris en termes de prévention des risques psycho-sociaux et pathologiques, dans les mois qui viennent. Les enfants peuvent entendre sur la mort beaucoup plus de choses qu’on ne croit. Parce qu’il n’est pas si facile pour les adultes qui les entourent de les accompagner, et que les mots ne viennent pas toujours aisément, la Sfap est fière et heureuse d’incuber un projet qui vient remettre la mort à sa place : au cœur de la vie.

Pour compléter votre lecture :

- Psycho-oncologie : parler de la mort avec les patients cancéreux.
par Laurent Joyeux