BURGER/PHANIE

Financement de la télémédecine : le début d’une nouvelle ère

Pour sa 10e édition, le congrès européen de la Société française de télémédecine (SFT) qui s’est déroulé à Paris les 7 et 8 décembre, a retenu le thème : « Ambulatoire et domicile : les enjeux de la télémédecine ».

Les organisateurs du 10e congrès de la Société française de télémédecine (SFT) sont partis du constat que la télémédecine est désormais une discipline de plus en plus transversale. Selon la SFT, la télémédecine s’affirme désormais comme « un moyen de réorganiser l’offre de soins, notamment en facilitant et améliorant les soins à domicile et en enrichissant le développement de la médecine et de la chirurgie ambulatoires ».

Ambulatoire et télémédecine désormais indissociables

Il est vrai que les principes de la chirurgie ambulatoire et ceux de la télémédecine se rejoignent par bien des aspects. « La chirurgie ambulatoire nécessite une organisation complètement centrée sur le patient, a rappelé la Pr Corinne Vons, chirurgienne digestive et présidente de l’Association française de chirurgie ambulatoire (AFCA). Pour une intervention en ambulatoire, on doit d’abord définir les actions à effectuer en fonction d’objectifs. De plus, il faut considérer que le chirurgien et l’anesthésiste sont placés dans une position de responsabilité qui consiste à savoir gérer le suivi postopératoire plutôt que de prolonger le séjour hospitalier. La télémédecine peut être très utile pour gérer les éventuelles complications postopératoires ».
En hausse constante depuis 2011, le taux global de chirurgie ambulatoire atteint désormais 46 % et le ministère de la Santé vise les 70 % en 2020. « Les trois freins au développement de la chirurgie ambulatoire sont les questions d’organisation, l’information et l’éducation du patient et enfin la sécurité du suivi postopératoire », a également expliqué le Dr Benoit Gignoux, chirurgien à la clinique de la Sauvegarde à Lyon. Dans cet établissement privé, 59 % des colectomies sont aujourd’hui réalisées en chirurgie ambulatoire, grâce notamment à une organisation dédiée ainsi qu’un télésuivi. Ce suivi postopératoire à distance est assuré grâce à l’application Maela qui permet « d’optimiser considérablement la préparation, l’accompagnement et le suivi des patients en chirurgie ambulatoire et en réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC) ». Les patients sont connectés via leur ordinateur ou leur smartphone à une plateforme et un centre de suivi infirmier 24 heures sur 24. « Le but est que le patient puisse vivre sa convalescence à domicile en sécurité, a expliqué le Dr Gignoux. Le chirurgien peut également être rassuré car il dispose en direct de l’ensemble des données utiles au suivi du patient ».

Une solution pour ramifier le parcours de soin

Du côté de la Fédération de l’hospitalisation publique (FHF), la télémédecine figure également aujourd’hui au rang des priorités. « Nous avons recensé une centaine d’expériences qui ont montré un apport significatif de la télémédecine », a rapporté Denis Valzer, conseiller du délégué général de la FHF et délégué régional de la FHF Bourgogne Franche-Comté. Elles ont montré un « apport significatif dans la qualité des prises en charge », des « résultats éprouvés par de nombreuses études » mais aussi « une absence de modèle économique pérenne », des « financements limités » et « des différences sensibles entre les régions ». La FHF voit dans la télémédecine une solution dans plusieurs cas de figure : éloignement du plateau technique et du spécialiste, zones sous-denses et situations spécifiques (patients hébergés en Ehpad ou en établissements handicap, de santé mentale, publics en situation de précarité, en milieu carcéral). La constitution des groupements hospitaliers de territoires (GHT) apparaît également comme une opportunité de développer de la télémédecine à l’hôpital public. « La télémédecine fait partie des projets médicaux partagés des GHT », a souligné Denis Valzer qui a également rappelé que la FHF a créé un Fonds dédié à la recherche appliquée sur le plan du management et de l’organisation, avec un intérêt particulier « pour les projets de recherche liés à la e-santé et la télémédecine et leurs préalables organisationnels ».

À savoir : la société française de télémédecine a refondu son site internet

www.sf-telemed.org

Les négociations cruciales pour la télémédecine ont débuté

Le directeur général de l’Assurance maladie, Nicolas Revel, en fait une priorité. La négociation avec les différentes professions de santé, à commencer par les médecins, autour de la rémunération des actes de télémédecine va entrer dans le vif du sujet dans les premières semaines de janvier. Les premières prises de contacts entre les parties prenantes ont d’ailleurs déjà commencé courant décembre, dès l’adoption par le Parlement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018. En effet, l’article 54 du budget de la Sécu dispose que désormais les conventions entre l’Assurance maladie et les professions de santé « définissent en particulier le tarif et les modalités de réalisation des actes de télémédecine » et précise que « les actes de téléconsultation remboursés par l’Assurance maladie sont effectués par vidéotransmission ».

La loi indique également que les modalités de participation des pharmaciens à l’activité de télémédecine. Autrement dit, la téléconsultation sort enfin du cadre expérimental où elle a été trop longtemps confinée pour entrer dans le droit commun. Les expérimentations en cours pourront, en tout état de cause, être poursuivies jusqu’au 1er juillet 2019. L’exposition des motifs du texte rappelait que « la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire ainsi que la négociation de la nouvelle convention médicale ont montré une très forte attente des professionnels, tant hospitaliers qu’en ville, qui font de la possibilité d’accéder en routine aux téléconsultations une condition essentielle de déploiement des parcours de soins ». En revanche, l’activité de télé-expertise restera du domaine de l’expérimentation pour une durée de quatre années supplémentaires. Mais les modalités de cette expérimentation sont confortées par le biais du Fonds régional d’intervention (FIR) et elles concernent la prise en charge des plaies chroniques et complexes, de l’insuffisance cardiaque chronique, de l’insuffisance respiratoire sévère et de l’insuffisance rénale. « La télémédecine a vocation à s’appliquer à tous les actes, a souligné la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, devant l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis). Mais il y a des pathologies qui s’y prêtent particulièrement bien ». Dans ses hypothèses financières pour le PLFSS, le gouvernement a estimé que le coût des téléconsultations devra s’élever progressivement à 4,1 millions d’euros en 2019, 8,3 millions en 2020 et 10,8 millions en 2021.

Télémédecine, ce qu'il faut retenir

• La télémédecine : une discipline de plus en plus transversale• En hausse constante depuis 2011, le taux global de chirurgie ambulatoire atteint désormais 46 % et le ministère de la Santé vise les 70 % en 2020.

• Les 3 freins au développement de la chirurgie ambulatoire sont : l’organisation, l’information et l’éducation du patient, la sécurité du suivi postopératoire

• En chirurgie ambulatoire, le télésuivi postopératoire rassure le patient et le chirurgien (dont la responsabilité est engagée)

• La constitution des groupements hospitaliers de territoires apparaît comme une opportunité de développer de la télémédecine à l’hôpital public.

• La télémédecine est utile en cas : d’éloignement du plateau technique et du spécialiste, de zones sous-denses et de situations spécifiques (patients hébergés en Ehpad ou en établissements handicap, de santé mentale, publics en situation de précarité, en milieu carcéral).La télémédecine n’a pas encore trouvé de modèle économique pérenne mais la tarification de la téléconsultation se met en place.

Trois exemples d’expériences de télémédecine réussies

  • La télé AVC devient un modèle de prise en charge

La prise en charge de l’AVC en télémédecine suppose la réalisation dans un service d’urgence de l’imagerie qui permet à un neurologue d’astreinte dans une unité neuro-vasculaire (UNV) de poser un diagnostic à distance et de prescrire, si nécessaire, une thrombolyse. Une enquête transversale a été réalisée en 2016 auprès des agences régionales de santé, en particulier pour décrire les expérimentations de télé AVC régionaux et leurs protocoles d’évaluation. Au total, ce sont 38 projets dans 21 régions et 311 hôpitaux publics qui ont été étudiés. Ces projets ont bénéficié de 11,6 millions d’euros de financements publics. « L’évaluation n’est pas encore protocolisée dans la majorité des régions, a noté le Pr Robin Ohannessian, médecin de santé publique et membre du bureau de la SFT. Mais on note une augmentation progressive de l’activité dans l’ensemble des régions ». Pour l’heure, ces expérimentations sont financées essentiellement par des systèmes de reversement de financements entre les établissements ou par des financements soit au forfait soit au temps médical par les agences régionales de santé (ARS). L’activité de télé AVC va probablement pouvoir se développer encore davantage avec l’entrée dans le droit commun du financement de la télé-expertise, prévu dans le budget de la Sécu pour l’année prochaine.

  • La téléconsultation en Ehpad entre dans les mœurs

Les téléconsultations gériatriques représentent 62 % des actes de télémédecine réalisés dans le cadre du projet de télémédecine de la région Aquitaine. Il s’agit de consultations réalisées par des gériatres du CHU de Bordeaux pour des patients hébergés en Ehpad. Une étude observationnelle a été réalisée entre novembre 2014 et mars 2017 sur ces consultations. Une « optimisation thérapeutique » a été faite dans 86 % des propositions des gériatres à la suite de ces téléconsultations, 55 % concernant des mésusages (neuroleptiques dans 38 % des cas, antidépresseurs pour 22 %, traitements cardiovasculaires pour 20 %), 53 % des sous-usages (antalgiques dans 35 % des cas, anxiolytiques dans 24 %) et 11 % des sur-usages (anxiolytiques dans 28 % des cas, neuroleptiques dans 18 % et antihypertenseurs dans 10 %). L’arrêt ou la baisse de prescriptions médicamenteuses ont été d’autant plus fréquents qu’étaient présents pendant la téléconsultation une aide-soignante, le médecin coordinateur ou encore un psychologue. « La télémédecine est un nouveau moyen d’accès à l’optimisation thérapeutique pour les personnes âgées dépendantes polymédiquées résidentes en Ehpad, a souligné la Dr Véronique Cressot, gériatre, praticienne hospitalière au CHU de Bordeaux. Et cette optimisation est possible grâce aux échanges avec les différents intervenants côté requérant ». La téléconsultation a également l’avantage d’éviter des déplacements pénibles pour les patients dépendants et coûteux.

  • La téléconsultation dentaire sort ses premières dents

C’est peut-être le domaine où on attend le moins la télémédecine. La faculté de dentaire de Montpellier expérimente depuis quatre ans la télémédecine. « L’objectif est d’intégrer la télémédecine bucco-dentaire dans le parcours de soins des personnes à besoins spécifiques », a expliqué le Dr Nicolas Giraudeau, MCU-PH au CHU de Montpellier et coordonnateur de l’activité de télémédecine bucco-dentaire. Certaines populations ont, en effet, un accès difficile au chirurgien-dentiste de ville, notamment les détenus ou les personnes hébergées en Ehpad. Dans cette expérimentation, c’est une infirmière formée aux bases de l’odontologie qui réalise une vidéo de la bouche et des dents des patients en Ehpad avec un dispositif équipé d’une lumière fluorescente qui permet de détecter les éventuelles caries. Les images sont envoyées vers le CHU ou des cabinets de ville et lues par des chirurgiens-dentistes qui renvoient ensuite un compte rendu à l’établissement. Depuis avril 2014, 1 439 résidents en Ehpad ont pu bénéficier de cet examen. « Le mode asynchrone est facilitateur, a expliqué le Dr Giraudeau. Les patients acceptent d’autant mieux cet examen qu’il est réalisé dans un cadre connu par un professionnel de santé connu. Cet examen est le point de départ d’une prise en charge optimisée, personnalisée et planifiée ». Une augmentation des rendez-vous pour des soins a pu être constatée. Il existe cependant encore des barrières au développement de la télémédecine bucco-dentaire : rémunération des actes et nécessité « d’évangéliser » la profession, les tutelles et les bénéficiaires.

par Véronique Hunsinger (1ere publication,Tout Prévoir N° 481 déc. 2017)