Accès aux soins : l'énergie innovante vient des territoires

Le Cnom a organisé le 5 juillet un débat sur « l’énergie des territoires » pour améliorer l’accès aux soins. L’occasion de revenir sur les initiatives nationales et locales développées pour agir sur l’attractivité des territoires. Pontarlier, dans le Doubs, montre l'exemple en lançant le "cabinet éphémère" et l'Ile-de-France lance un outil comparatif sur les situations sanitaires des territoires franciliens.

par Laure Martin.

LaureMartin

SOMMAIRE

Accès aux soins : les solutions locales émergent

  • Expérimentations avec l’article 51
  • Initiatives locales
  • Autres solutions

Pontarlier : un cabinet éphémère pour pallier le manque de médecins

  • Négociations
  • Appel à candidats

Ile-de-France : un outil compare la situation sanitaire des territoires franciliens

  • Des informations pour les décideurs
  • Comparer les territoires
  • Des nouveaux indicateurs intégrés

Accès aux soins : les solutions locales émergent

Le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) a organisé le 5 juillet un débat sur « l’énergie des territoires » pour améliorer l’accès aux soins. L’occasion de revenir sur les initiatives nationales et locales développées pour agir sur l’attractivité des territoires.

Par Laure Martin

« Nous vivons tous des difficultés majeures dans l’organisation des soins sur les territoires mais nous commençons à tous parler la même langue et à avoir le même constat », a souligné le Dr Patrick Bouet, président du Cnom, lors du débat, avant d’ajouter : « Nous allons devoir envisager une réforme structurelle profonde de notre modèle d’organisation d’accès aux soins. » Selon lui, cette réforme devrait avoir lieu en se basant sur les responsabilités partagées des acteurs dans les territoires, donc sur les projets de santé locaux et non à partir de normes nationales.

"Le Cnom souhaite ainsi encourager l’éclosion d’initiatives décentralisées simplifiant l’exercice des professionnels de santé."

L’accès aux soins de proximité doit se faire « à partir d’une équipe harmonisée et organisée ». Le Cnom a d’ailleurs élaboré un outil, un observatoire des initiatives dans les territoires, en ligne sur son site, qui vise « à faire savoir que malgré les difficultés en matière d’accès aux soins, des solutions nées du terrain apportent des réponses concrètes et efficaces dans les territoires de proximité ». Le Cnom souhaite ainsi encourager l’éclosion d’initiatives décentralisées simplifiant l’exercice des professionnels de santé.

Expérimentations avec l’article 51

De son côté, le Gouvernement entend aussi favoriser et encourager les initiatives locales avec l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale 2018 dont la création « est née du constat partagé que notre fonctionnement ne facilite pas la collaboration et la coordination des soins », a reconnu Natacha Lemaire, rapporteure générale au Conseil stratégique de l’innovation en santé. Cet article constitue un cadre dérogatoire d’expérimentations « qui permet de lever des obstacles », a-t-elle ajouté, expliquant que 63 dérogations financières à la rémunération des acteurs du système de santé, à la facturation ou encore à la prise en charge par l’Assurance maladie sont répertoriées. Chaque expérimentation repose sur un triptyque : un porteur de projet, des acteurs volontaires et un territoire d’expérimentation. Sur le terrain, l’interlocuteur privilégié des professionnels est l’Agence régionale de santé (ARS). La candidature se passe en deux temps : la première étape consiste en une lettre d’intention avec les items du cahier des charges. « Il s’agit d’un premier moyen pour engager l’échange avec l’ARS, a souligné Natacha Lemaire. Cela permet aux acteurs de s’assurer que le projet entre bien dans le cadre de l’article 51. » Puis l’ARS rapporte le projet au comité technique, composé de représentants du ministère de la Santé, de l’Assurance maladie et de l’ARS Ile-de-France au nom des ARS, qui donne son avis sur le projet. Le délai de prise de décision est de trois à quatre mois. « Le législateur a souhaité placer l’évaluation au centre du dispositif et ce, dès le début de l’expérimentation, afin de mesurer son impact. Des rapports seront ensuite produits tous les six mois et transmis annuellement au Parlement afin de déterminer s’il est opportun de généraliser le projet », a précisé Natacha Lemaire. Vingt millions d’euros sont prévus pour 2018 au titre de l’article 51.

Initiatives locales

Des acteurs locaux n’ont pas attendu l’article 51 pour mettre en place des initiatives afin de répondre aux problématiques d’accès aux soins des patients dans les territoires.
C’est le cas par exemple à Nogent-sur-Marne (Ile-de-France), où, devant une situation sanitaire catastrophique liée à la fermeture de la maternité et du service de chirurgie du centre hospitalier, des chirurgiens libéraux ont créé en 2009 un pôle ambulatoire au sein du CH de Nogent-sur-Marne. « Cette offre de soins, qui couvre tous les champs de la chirurgie comme l’orthopédie, l’urologie, la stomatologie, évite aux patients d’avoir à se déplacer à Chartes ou au Mans », a fait savoir le Dr Gérard Champault, chirurgien et chef du pôle ambulatoire. Des activités complémentaires de télémédecine ont généré un réel intérêt pour la population et les médecins.

"À Nogent-sur-Marne (Île-de-France), devant une situation sanitaire catastrophique liée à la fermeture de la maternité et du service de chirurgie du centre hospitalier, des chirurgiens libéraux ont créé en 2009 un pôle ambulatoire au sein du CH de Nogent-sur-Marne."


Du côté de Belle-Ile-en-Mer (Bretagne), la commune, le centre hospitalier et les médecins libéraux se sont organisés pour proposer une offre de soins sur le territoire jusqu’alors isolé, sans structure d’urgence, sans SOS médecin ou maison de garde. Arrivé sur l’île en 2013, le Dr Stéphane Pinard, médecin généraliste libéral et salarié du centre hospitalier Yves Lanco, situé à Le Palais, a décidé, comme le prévoit le Contrat local de santé (CLS) de rapprocher la ville de l’hôpital, et de s’installer au sein de la structure hospitalière en signant une convention. Il s’est également saisi des axes de travail du CLS pour attirer des jeunes médecins : neuf installations en libéral en trois ans dont quatre primo-installations. Tous les médecins généralistes se sont installés dans les locaux de l’hôpital, leur permettant de payer moins de charges, tout en ayant à disposition un plateau technique, un service de radiologie et des échographes. En échange, ils doivent donner de leur temps à l’hôpital en se relayant lors des tours de garde sur un temps salarié. Ils assurent ainsi les visites auprès des patients hospitalisés en médecine ainsi que les aides médicales urgentes. Tous sont pour 1/3 de leur temps salariés et pour 2/3 de leur temps libéraux.

Autres solutions

Les médecins présents au débat ont par ailleurs évoqué d’autres solutions à mettre en œuvre pour faciliter l’accès à l’offre de soins dans les territoires. Le Dr François Simon, membre du Cnom a fait mention de la simplification nécessaire des procédures pour qu’un médecin puisse exercer en lieu multiple dans l’intérêt de la population ou en cas de carence de l’offre soins. « Jusqu’à présent, cette pratique repose sur une autorisation du CDOM avec un dossier qui doit être motivé, a-t-il rappelé. La procédure est un peu lourde et instable dans le temps. » Et d’ajouter : « Il paraît utile pour le Cnom de simplifier la démarche et de passer d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration au CDOM, qui peut néanmoins y faire opposition pour des raisons de santé publique par exemple. »
D’autres praticiens ont évoqué l’intérêt qu’il y aurait à faire évoluer les cotisations applicables aux médecins retraités actifs, qui peuvent entraver des reprises d’activité.


Pontarlier : un cabinet éphémère pour pallier le manque de médecins

Face au départ de neuf praticiens, les médecins généralistes de Pontarlier (Doubs) se sont retrouvés en difficulté pour prendre en charge la patientèle dépourvue de médecin traitant. L’Union régionale des professionnels de santé (URPS) médecin Bourgogne-Franche-Comté et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) Franche-Comté a suggéré l’ouverture d’un cabinet éphémère, en place depuis le mois d’octobre.

Par Laure Martin

« A la suite du départ de leurs confrères, les dix médecins exerçant à Pontarlier ont vite été épuisés face à la prise en charge d’une patientèle plus nombreuse, explique le Dr Stéphane Atal, président de la CSFM Franche-Comté, élu à l’URPS Bourgogne-Franche-Comté et élu ordinal départemental. Ils ont contacté la mairie, l’Ordre des médecins et l’URPS. C’est à la suite d’une réunion avec l’Agence régionale de santé (ARS) que nous avons cherché une solution. » Le Dr Atal suggère la création d’un point de consultation où des médecins viendraient donner du temps médical. « L’objectif était d’avoir un cabinet supplémentaire pour gérer la patientèle en errance », précise-t-il.

"L’objectif était d’avoir un cabinet supplémentaire pour gérer la patientèle en errance"

L’idée plait et c’est ainsi qu’ouvre le 2 octobre 2017 un cabinet éphémère tenu par cinq médecins : trois médecins en exercice et deux médecins jeunes retraités de moins de deux ans. « Les médecins en exercice viennent une demi-journée deux fois par semaines, indique le Dr Atal qui exerce au cabinet éphémère. Et les médecins retraités pratiquent deux journées par semaine. »

Négociations

Les consultations concernent à 95 % de la médecine générale, le reste correspondant aux urgences que les médecins installés ne peuvent pas prendre en charge. Une certaine régularité s’est installée car les médecins du cabinet éphémères consultent toujours les mêmes demi-journées ou journées.
Paradoxalement, les confrères installés ont craint, malgré leur incapacité à répondre à la demande, que le nouveau cabinet ait un impact sur leur patientèle. « En ouvrant ce cabinet éphémère, nous nous sommes engagés à ne pas signer de contrat de médecin traitant », rapporte le Dr Atal. Cependant, le praticien a négocié avec la Caisse primaire d’assurance maladie la possibilité pour les médecins généralistes de coter aux patients des consultations d’urgence, sans appliquer les majorations d’urgence, afin qu’ils ne pâtissent pas d’être hors parcours de soins pour leur remboursement.

« La mairie nous prête les locaux et paie tous les frais de fonctionnement. Le médecin vient simplement donner de son temps et n’a pas à faire d’investissement. »

En tant qu’élu URPS, le Dr Atal a également négocié avec l’ARS que l’exercice au sein de ce nouveau cabinet ne coûte rien aux médecins. « S’ils n’effectuent pas au moins 25 consultations, l’ARS complète le différentiel, souligne le Dr Atal. Elle indemnise aussi les frais kilométriques pour les médecins installés dans une autre ville qui se déplacent jusqu’au cabinet éphémère. » Il a également convenu avec l’Ordre des médecins la possibilité pour les confrères actifs de se faire remplacer dans leur cabinet principal sans que cela ne soit considéré comme de la gérance de cabinet, dérogation qu’aucun n’applique pour le moment. Enfin, il a été convenu avec la mairie qu’elle mette à disposition le point de consultation. « La mairie nous prête les locaux et paie tous les frais de fonctionnement, indique-t-il. Le médecin vient simplement donner de son temps et n’a pas à faire d’investissement. »

Appel à candidats

L’expérimentation devrait se terminer lorsque la mairie aura fini de construire la nouvelle maison médicale qui va permettre l’installation de deux à trois médecins. La livraison est prévue pour mi-2019, « mais le premier coup de pioche n’a pas encore été donné », précise le médecin. Trois jeunes praticiens seraient prêts à s’y installer. « J’aurais bien aimé avoir plus de confères volontaires afin d’ouvrir un deuxième poste de consultation et faire intervenir des spécialistes, qui manquent également », conclut le Dr Atal.


Ile-de-France : un outil compare la situation sanitaire des territoires franciliens  

L’Observatoire régional de santé (ORS) Ile-de-France a mis en ligne mi-juin un nouvel outil, InterSanté, regroupant des données actualisées sur la santé et ses déterminants au sein de la région. Un dispositif utile aux acteurs et décideurs de la santé. Quel est l'état de santé de la population dans un territoire ?

Quelles sont ses spécificités par rapport à d'autres territoires franciliens ? Indicateurs territorialisés de santé (InterSanté), qui a pour objectif de mettre à disposition des décideurs et des acteurs de la santé, une approche territoriale de la santé, offre une réponse à ces questions.

Des informations pour les décideurs

L’outil a été développé par l’ORS, l’un des départements autonomes de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) de la région Ile-de-France. Cet observatoire financé par l’Etat via l’Agence régionale de santé (ARS) et la Région, cherche, avec cet outil, à améliorer le partage, la diffusion et la visualisation synthétique des données de santé d’un ou plusieurs territoires à l’échelle du canton, de l’intercommunalité ou du département. « Notre objectif est de toucher un public plus conséquent, à savoir les acteurs et les décideurs de la santé en Ile-de-France, les collectivités locales, les universités, l’ARS, les agents de la Région et tous ceux qui œuvrent dans la santé », explique Adrien Saunal, géomaticien et responsable de l’outil à l’ORS. Depuis la mise en place de la carte, l’ORS a notamment été contacté par des cliniques cherchant des territoires où s’implanter en Ile-de-France et qui ont besoin des informations fournies par InterSanté.

Comparer les territoires

Pour le moment, InterSanté permet visuellement, au sein même de l’outil, de comparer les territoires, ce qui n’était pas possible avec le précédent dispositif VisiauSanté. Une centaine d'indicateurs liés au contexte sociodémographique et à la mortalité au sein de la région est répertoriée. Sur l’outil en ligne, l’utilisateur sélectionne les cantons qu’il souhaite comparer et a alors accès aux informations sur :
-    le contexte socio-démographique,
-    l’approche transversale,
-    les pathologies,
-    les comportements en lien avec la santé,
-    les populations spécifiques.
Les informations apparaissent dans un tableau, sur une carte et un diagramme interactifs.

Des nouveaux indicateurs intégrés

« Pour le moment, il s’agit surtout d’une visualisation, il n’est pas possible d’exporter les données pour réaliser des portraits de territoires, rapporte Adrien Saunal. Mais nous allons essayer de mettre les indicateurs à disposition de ceux qui le demande. »  Dans la deuxième phase de déploiement de l’outil, l’ORS prévoit d’intégrer des données sur l’offre de soins et des indicateurs sur la morbidité via les données du Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) et du Système national des données de santé (SNDS). Les données actuelles proviennent de l’exploitation par l‘ORS des bases de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « En termes d’impact, nous attendons un peu avant de nous prononcer, notamment de donner accès aux autres données », conclut Adrien Saunal.

 

par Laure Martin