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Médecine de riches, médecine de pauvres ?

Pour la première fois en 2018, l’inégalité d’accès aux soins est considérée comme l’une des moins acceptables dans la population française, selon un sondage de la Drees publié au mois d’avril 2019. Comment expliquer la montée brutale de cette préoccupation ?

par Maël Lemoine.

MaelLemoine

Le système de santé français est universel, comme la plupart des systèmes de santé des pays développés. Mais les Français, écrivait Tocqueville, ont « la passion de l’égalité » : loin de se contenter d’une égalité de principe, ils jugeraient insupportables les inégalités de fait. Ainsi, de manière tout à fait cohérente, une majorité écrasante de Français refuseraient une baisse d’impôts ou de cotisations en contrepartie d’une baisse de prestations. Notre pays est donc, en matière sociale, profondément collectiviste : c’est un fait. En matière de santé, les Français n’en jugent pas autrement. 60 % d’entre eux considèrent que la qualité des soins dépend en réalité du revenu du patient : une claque pour les professionnels de santé dévoués, l’immense majorité, dont ceux qui ne refusent pas, par exemple, un patient parce qu’il est à la CMU. 30% de nos concitoyens estiment même que tous ne peuvent pas être soignés à hauteur de leurs besoins, si les revenus correspondants ne sont pas au rendez-vous. L’année précédente, ils étaient seulement 20%. Sont-ils devenus soudain plus sensibles au cas des soins dentaires, venus sur le devant de la scène ces dernières années, ou bien s’agit-il d’une évolution plus profonde de l’image que nous avons de notre santé et de sa prise en charge ?

60 % des Français considèrent que la qualité des soins dépend en réalité du revenu du patient : une claque pour les professionnels de santé dévoués.


Un selfie photoshoppé de la santé des Français

Ce qui ne change pas depuis quelques années, c’est la perception que les Français ont de leur propre santé : plus de 70 % s’estiment en bonne santé et environ un quart en très bonne santé. Ces chiffres diffèrent en fonction des revenus : les ménages les moins aisés sont bien moins nombreux à se considérer en bonne santé que les ménages aisés. Ce qui évolue, c’est la perception qu’ils ont de la santé de la population française (voir le graphique 6, tiré du baromètre d’opinion de la DREES). Depuis 2004, elle baisse régulièrement, et a accusé deux fortes dégradations, en 2007 et en 2018. Les Français se croiraient-ils donc majoritairement en meilleure santé que leurs concitoyens ? Ce serait plutôt une bonne nouvelle. Encore faudrait-il savoir à quoi ils pensent quand ils déclarent que l’état de santé des Français s’est dégradé. Mais une partie de l’explication se trouve dans les inégalités de revenus elles-mêmes. Si 60 % ménages les moins aisés se considèrent en bonne santé, ils sont 56% à considérer que la santé des Français se dégrade. Dans les ménages aisés en revanche, 82 % s’estiment en bonne santé et 41% estiment que la santé des Français se dégrade. Plus vous êtes riche, plus vous êtes optimiste sur votre santé comme sur celle des Français.

Plus vous êtes riche, plus vous êtes optimiste sur votre santé comme sur celle des Français.

 

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La sécurité sociale, un modèle à suivre ?

Il est difficile de savoir ce que les Français entendent par « Sécurité sociale », une expression souvent utilisée pour désigner la seule branche Maladie. Quoi qu’il en soit, l’appréciation que les Français ont de son excellence comparativement aux systèmes de protection des autres pays est sujette à des fluctuations importantes. L’année 2018 marque cependant une dégradation brutale : notre système de protection sociale ne serait un modèle à suivre que pour les trois quarts des Français désormais, qui ne sont plus que 62% à estimer qu’il fournit un niveau de protection suffisant. De manière cohérente, la proportion de ceux qui pensent que ce système de protection coûte trop cher à la société baisse : elle reste toutefois majoritaire. Il semble exister des Français qui pensent que le système est très bon, mais très cher et qu’il offre un niveau de protection insuffisant. Mais il serait plus intéressant de corréler ces trois opinions chez les sondés : combien pensent, par exemple, qu’il est très bon comparativement aux autres, que son coût n’est pas trop élevé, et qu’il offre un niveau de protection suffisant ? Combien qu’il n’est pas si bon, que son coût n’est pas trop élevé, et que le niveau de protection est suffisant ? Et ne faut-il pas distinguer les différentes branches de la Sécurité Sociale dans cette analyse ?

 

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Un palmarès de la qualité des soins ?

Médecins généralistes et infirmières tiennent encore le haut du pavé en matière de taux de satisfaction sur la qualité des soins, tandis que les urgences hospitalières font, encore, office de bon dernier. Cependant, si l’on peut raisonnablement penser que c’est un avis de première main concernant au moins les généralistes, on peut douter que l’avis de tous ceux qui s’expriment sur les urgences soit indépendant, et ne reflète pas plutôt rumeurs et reportages. On sait aussi que la manière dont les usagers du système de santé jugent de la qualité des soins, ne reflète qu’une petite partie de la qualité des soins.

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 Une préoccupation…relative

On entend souvent justifier toutes les dépenses de santé par le même argument : la santé n’a pas de prix, ou bien encore : la santé est le bien le plus précieux. Il reste à démontrer que la santé est plus précieuse que la survie, la liberté, l’éducation, la sécurité, la justice ou l’amour. Il y a fort à parier que placer la santé tout en haut de la hiérarchie des biens ne fera pas l’unanimité dans la population française. Quoi qu’il en soit, les Français expriment bien leur préoccupation pour « la santé des Français », mais bien après le niveau des salaires, l’avenir du système de retraite, la pauvreté, l’environnement, le chômage, les migrations des pays pauvres vers les pays riches, et les inégalités entre les hommes et les femmes. Bien sûr, se dire « préoccupé » peut signifier soit « valoriser », soit « être inquiet ». Si l’on interprète le terme dans ce second sens, les Français se diraient donc bien plus inquiets pour tous ces sujets, que pour leur santé : un point sur lequel ne divergent pas les plus aisés et les moins aisés. Il n’y a donc pas encore de quoi tirer la sonnette d’alarme, même si l’égalité n’est un fait acquis, mais une conquête permanente.

 

par Maël Lemoine