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Crise hospitalière : quelles solutions pour faire face ?

À l'heure où les professionels de santé hospitaliers multiplient les grèves sur l'ensemble du territoire, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) a organisé le 15 octobre un débat " Ma Santé 2022 : quel hôpital demain ? " Les solutions proposées sont multiples.

par Laure Martin.

LaureMartin

« Notre système de santé est en crise fonctionnelle et identitaire, étouffé par un carcan médico-économique depuis quatre décennies qui lui a fait perdre sa ligne d’horizon de solidarité », a souligné en guise d’introduction Patrick Bouet, président du Cnom. Le système est basé sur l’engagement des acteurs qui conditionne son fonctionnement. Cependant, « à l’hôpital, la résilience des acteurs est dépassée voir annihilée dans des pans entiers de fonctionnement, a-t-il rappelé. Il faut retrouver le sens humain à la mission de soigner, le sens solidaire, le sens médical et l’empathie car de cette impasse structurelle, l’hôpital en est l’illustration douloureuse. » « L’hôpital est malade, a renchéri François Simon, président de la section Exercice professionnel du Cnom. On le dit, on le lit, et on le vit. Certains posent même la question de sa survie. » En 2015, le Cnom avait mené une enquête auprès de la profession. 30 000 médecins y avaient répondu, parmi lesquels 15 000 ayant une activité hospitalière mixte ou exclusive. Ils avaient fait part, déjà, de leurs inquiétudes sur l’évolution de leur métier qui se dévalorise rapidement. « Ils avaient pointé du doigt un exercice qui s’éloigne du soin avec des contraintes administratives, la pression à la rentabilité, la remise en cause de la Tarification à l’activité (T2A) », a rappelé le Dr Simon. Les constats sont partagés par l’ensemble des acteurs de la santé. Si l’objectif affiché est la reconstruction d’un système solidaire de la santé, les solutions proposées pour y parvenir sont variées. Quatre pistes d’actions avaient été dégagées par l’enquête du Cnom : l’augmentation du temps médical, la gouvernance partagée, la lutte contre l’inégalité territoriale et la meilleure structuration du parcours ville-hôpital.

Des mesures en cours

« Nous observons les difficultés que connaît l’hôpital à travers le pays et avons bien pris la mesure de l’état de l’hôpital public et des réformes nécessaires, a soutenu Thomas Mesnier, député de Charente et chargé d’une mission relative à l’amélioration de la situation dans les services d’urgence. Ma Santé 2022 est une réponse à la problématique de l’organisation des urgences. » Votée en juillet 2019, la loi est organisée autour de la mise en place rapide de mesures par ordonnance. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, en cours d’examen au Parlement, prévoit également des amendements sur les services d’urgence et le financement des hôpitaux de proximité, tandis que le Pacte de refondation des urgences a vocation à s’attaquer à l’amélioration de la gestion de ces services. « Le traitement est en cours, a ajouté le député. Il n’y aura pas d’autres plans que ceux déjà en place. » « Sur les urgences, nous avons bien pris conscience d’un plan de 750 millions d’euros d’anesthésie réanimation et médecine péri-opératoire (CNP-AR) et représentant de l’Intersyndicale Action Praticiens Hôpital (APH). Mais que peut-on attendre d’un tel investissement pris sur les autres budgets de l’hôpital puisque l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie (Ondam) prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 est constant ? » Il regrette l’absence de signaux forts pour insuffler les ressources nécessaires afin de changer la donne.

S’organiser en amont des urgences

« L’essoufflement du système de santé n’est pas sans conséquence sur les patients et les professionnels de santé qu’ils soient en ville ou à l’hôpital, a regretté Zaynad Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF). Va-t-on continuer de laisser l’hôpital s’asphyxier ? demain, il ne va plus pouvoir être le seul à rendre des comptes en termes de régulation et à être taxé de mauvais gestionnaire alors qu’il ne décide pas de ses charges. » Elle plaide pour la prise de décision à l’échelle nationale et au niveau des territoires car « l’hôpital de demain a toute sa place dans un système régulé ».

Parmi les pistes de solutions, Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP) propose que les cliniques privées soient davantage incluses dans la prise en charge des urgences. « L’hospitalisation privée peut faire plus, plus simplement, a-t-il soutenu. Nous pourrions doubler notre activité car sur les 1 000 cliniques privées du territoire, seules 120 sont labélisées service d’urgence. D’un côté l’hôpital public est en tension et de l’autre, le secteur privé pourrait davantage prendre en charge les urgences. Je tends une main. » Mais pour Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratif (Fehap), augmenter le nombre de services d’urgence et appeler les patients à y aller n’est pas la solution. « Le problème est en amont, a-t-il fait savoir. C’est l’insuffisance de prévention qui fait basculer les personnes aux urgences ». Le Pacte de refondation des urgences ne va pas assez en amont de la prise en charge des patients selon lui. « Ce plan devrait impacter le domicile, les aides-soignants, les services de santé à domicile qui sont en première ligne », a-t-il proposé. « Le médico-social et le domicile sont deux points très importants, ils sont la clef de la respiration de l’hôpital, a renchéri François Simon. Les services sont encore un peu difficiles à mobiliser dans l’instant ». Ce serait tout l’objet du Service d’accès aux soins (SAS), prévu par le plan ministériel, qui vise à une meilleure orientation au sein du système de santé afin d’éviter le recours aux urgences si possible, et à une meilleure coordination entre les médecins hospitaliers et libéraux, ainsi qu’avec les paramédicaux.

Pour répondre aux enjeux, les acteurs hospitaliers plaident aussi pour une organisation territoriale avec la ville. « Une gouvernance avec la ville doit nécessairement être mise en place, a rapporté Zaynab Riet. Dans le cadre du Groupement hospitalier de territoire (GHT), il faut définir une gouvernance réfléchissant à la stratégie des parcours de soins et du parcours professionnel des médecins au cœur de la structure et à la manière d’organiser la proximité. Il faut que le sens du collectif, l’intérêt général dépasse la somme des intérêts individuels. »

Tendre vers une meilleure attractivité des métiers

Pour répondre à la crise hospitalière, l’un des enjeux repose sur l’attractivité des métiers. La ministre de la Santé a d’ailleurs annoncé l’ouverture d’un chantier sur la question de la rémunération à l’hôpital. Il faut aussi travailler sur la perte de sens au travail. « Les équipes médicales ne sont pas complètes et les médecins n’ont pas l’impression d’avoir d’emprise sur les décisions de l’hôpital », a fait savoir Thierry Godeau, président de la conférence nationale des présidents de Commission médicale d’établissement (CME) de Centres hospitaliers généraux (CHG). D’après Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), il faut envisager une revalorisation intellectuelle des missions des praticiens hospitaliers car après 12 ans d’études, « il n’est pas normal que leur salaire d’entrée soit de 2 500 euros ». Elle plaide pour que les rémunérations du secteur public se rapprochent de celles du privé afin que l’hôpital n’ait plus à faire appel aux intérimaires et « garde » ses médecins.

par Laure Martin