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Plan national de nutrition et de santé : 15 ans après, la lutte continue

Une interview du  Pr  Serge Hercberg, président du Plan national nutrition santé (PNNS).

La mise en œuvre du PNNS a atteint, au moins partiellement, ses objectifs mais elle souligne aussi que les inégalités de santé se creusent en ce qui concerne l’alimentation. La bataille contre la « malbouffe » reste engagée et se heurte toujours à la résistance de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Dernier exemple en date, leur opposition à l’utilisation d’un logo nutritionnel simple et efficace qui améliorerait l’accessibilité à une alimentation de qualité.


M soigner : Quel est le bilan à 15 ans du PNNS ?


Pr Serge Hercberg : Une véritable politique nutritionnelle de santé publique n’a vraiment émergé en France qu’en 2001, avec la mise en place du Programme national nutrition santé (PNNS), pour faire face au développement du surpoids, de l’obésité, des maladies chroniques, et aux inquiétudes suscitées par les crises sanitaires.
 Après 15 ans, le PNNS a atteint certains de ses objectifs sur la consommation alimentaire et l’état nutritionnel de la population. Les Français mangent davantage de fruits et légumes, la consommation de sel a diminué de 15 % même si on aurait souhaité la réduire de façon plus drastique, et quant au surpoids et à l’obésité chez les enfants, ils se stabilisent autour de 17,5 % voire diminuent légèrement. Par contre on constate que les répercussions du PNNS sont hétérogènes, avec une amélioration nette chez les enfants de cadres, bien moindre - voire inexistante - dans les milieux défavorisés. Les inégalités de santé se sont creusées et nous devons agir plus efficacement dans les populations les plus vulnérables. C’est le sens du rapport que m’a demandé la ministre de la Santé et que j’ai remis en janvier 2014 pour relancer la politique nutritionnelle de santé publique ; il proposait différentes mesures réglementaires, en particulier l’étiquetage avec un logo nutritionnel simplifié pour fournir aux consommateurs une information simple et intuitive afin d’améliorer leur état nutritionnel et pousser les industriels à améliorer la qualité de leurs produits(1). L’aggravation de la question économique depuis les années 2000 a eu des effets négatifs sur le panier alimentaire de bien des consommateurs. Aussi a-t-on envisagé, pour améliorer l’accès à des aliments de bonne qualité, une régulation de la publicité en fonction de la qualité nutritionnelle, mais aussi un système de taxation/subvention permettant de baisser le prix des aliments de meilleure qualité et de taxer les produits moins favorables sur le plan nutritionnel. Ces mesures demandaient une volonté politique forte, mais nous n’avons pas été suivis sur ces derniers points.


M soigner. : L’industrie agro-alimentaire ne juge-t-elle pas ces logos comme « stigmatisants » pour ses produits ?


Pr S. H. : Une des leçons qu’on tire du PNNS, c’est que si l’information et l’éducation sont indispensables pour responsabiliser l’individu, cela n’est pas suffisant. Il faut agir sur l’offre alimentaire, rendre accessible les aliments de bonne qualité nutritionnelle et donner au consommateur des outils simples pour comparer les produits et éviter la pression marketing qui incite les plus vulnérables et en particulier les enfants et les adolescents à consommer des aliments de moins bonne qualité nutritionnelle. On est tout à fait capable d’identifier les mesures de santé publique indispensables mais en face, les enjeux économiques très importants amènent l’industrie agro-alimentaire à bloquer ces réglementations. Ils ont dépensé un milliard d’euros dans les années 2000 pour empêcher le choix d’un système d’information nutritionnelle simple au niveau européen, ce qui a abouti à faire figurer des tableaux particulièrement difficiles à comprendre au dos des emballages ! Ils considèrent à tort ces logos gênants pour eux, alors que si la vocation primaire de ces mesures est de favoriser l’information et l’accessibilité à une alimentation de qualité, la taxation des aliments en fonction de la concentration en gras, en sucre, en sel et en calories, l’interdiction de la publicité en dessous d’un seuil de qualité nutritionnelle suffisante tout comme la possibilité pour le consommateur de comparer grâce à un logo nutritionnel le même produit dans plusieurs marques différentes devraient amener les industriels à améliorer leurs produits. Leur marge de manœuvre reste importante, et même une petite amélioration pour un produit largement consommé aura un effet de santé publique. Dans le PNNS, 37 chartes ont été signées avec des industriels, montrant que l’amélioration des produits est possible sans conséquence sur le goût ou le prix. Cependant, on n’a pas réussi à faire adhérer davantage d’industriels à cette politique.


M soigner : Où en est le système d’information nutritionnelle coloriel ?


Pr S. H. : Le logo nutritionnel à cinq couleurs (vert/jaune/orange/rose fuchsia/rouge) repose sur le calcul d’un score de qualité nutritionnelle développé par la Food Standards Agency britannique, qui prend en compte plusieurs éléments présents (calories, sucres simples, acides gras saturés, sel, fibres, protéines, et pourcentage de fruits et légumes pour 100 g de produit) afin d’obtenir un indicateur unique et global de la qualité nutritionnelle de l’aliment.


On dispose maintenant de suffisamment de preuves scientifiques - une vingtaine de publications sur le système français d’information nutritionnelle coloriel à cinq couleurs - pour considérer qu’il est le mieux adapté et pour affirmer qu’il est efficace et valide aussi bien quant à sa valeur prédictive sur la qualité de la santé qu’en termes de compréhension, d’utilisation et d’impact sur le panier d’achat. Le Haut conseil de la santé publique (HCSP) et de nombreuses sociétés savantes ont émis des avis favorables pour sa mise en place.


Mais il est très combattu par les industriels : ce système simple montre que pour un même produit, la composition nutritionnelle va du vert au rouge selon les marques, et ce n’est pas forcément le produit le moins cher qui est le plus défavorable. Le principe de l’étiquetage a été voté dans la loi de modernisation de santé mais un arrêté doit déterminer sa forme graphique. Une pétition signée déjà par près de 60 000 citoyens montre la volonté des consommateurs pour que soit apposé ce logo coloriel sur les aliments(2). Malgré cela, la grande distribution et les industriels proposent des systèmes alternatifs, type chiffres et colonnes, incompréhensibles pour le commun des mortels. Ils ont réussi à retarder la mise en place de la mesure de plusieurs mois en imposant une étude d’évaluation des différents systèmes. Or la méthodologie proposée ne permettra certainement pas de répondre à la question, tant les études en situation réelle sont complexes à réaliser. Il est très difficile d’évaluer sur le court terme l’impact de l’utilisation des logos, pour des raisons méthodologiques et logistiques, et cela risque surtout d’apporter des arguments au moulin de ceux qui les refusent. Les industriels craignent de voir apposer un logo rouge sur leur produit, qui contrairement à ce qu’ils veulent faire croire, n’est pas stigmatisant mais témoigne seulement d’une certaine transparence utile au consommateur. En dernier recours, celui-ci est libre de faire son choix, mais en toute connaissance de cause et en ayant la possibilité de se déterminer en quelques secondes en comparant les produits sans s’adonner au décryptage d’étiquettes complexes.


M soigner : Qu’espérez-vous maintenant ?


Pr S. H. : Je souhaite que le logo coloriel à cinq couleurs soit mis en place immédiatement, de façon à ce que les consommateurs soient informés et les industriels poussés à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits. Un système de surveillance avec divers indicateurs doit être instauré. Sinon, chaque distributeur ou industriel apposera son propre logo, et ces initiatives ne feront qu’augmenter la confusion. On sait aussi qu’il ne s’agit pas seulement du logo et que cette mesure doit être en cohérence avec le reste des actions développées dans le cadre de la politique nutritionnelle de santé publique mise en place en France. De plus, il faudra former les consommateurs, en particulier les enfants à l’école, les professionnels de santé, du social et de l’éducation, et surveiller l’impact de la mesure mise en place.


La France peut porter le logo dans les discussions européennes qui, en 2017, devront statuer sur un éventuel logo unique. L’OMS plaide également pour que le système d’information sur la santé nutritionnelle soit mis en place au niveau mondial, en particulier dans les pays émergents où l’obésité et le diabète croissent de façon dramatique.


Réferences


1. http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Hercberg_15_11_2013.pdf

2. https://www.change.org/p/etiquetage-nutritionnel-alimentaire-les-consommateurs-français-veulent-le-code-5-couleurs


 

par Propos recueillis par le Dr Maia Bovard Gouffrant auprès du Pr Serge Hercberg.