Résidus de médicaments : risques environnementaux et sanitaires
La préoccupation mondiale envers les risques liés aux résidus de médicaments (RdM) dans l’environnement est toujours aussi prégnante. Les études récentes confirment, sur tous les continents, une large contamination des milieux (eaux, sols irrigués par des eaux usées) et une démonstration de risques environnementaux pour certaines molécules et pour certains organismes. La plupart de ces études précisent toutefois que les conclusions dépendent des situations et des niveaux de sensibilité des organismes et que des études complémentaires restent nécessaires. Les risques sanitaires à travers la contamination de certaines eaux de boisson, sont encore estimés faibles ou négligeables.
Par Yves Lévi, Professeur de Santé publique et Santé environnementale, université Paris-Saclay, UMR 8079 Ecologie Systématique Evolution, CNRS, AgroParisTech, Faculté de Pharmacie (92) - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
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Les deux premières conférences internationales sur l’évaluation des risques environnementaux et sanitaires liés aux RdM (conférence ICRAPHE – Paris 2016 ; Barcelone - nov 2019) ont émis les constats et principales conclusions suivantes :
• des RdM sont présents dans les eaux usées, des eaux continentales et littorales et certaines eaux potables sur tous les continents,
• des outils analytiques très performants existent mais les métabolites pertinents sont trop peu étudiés,
• les concentrations sont très faibles mais les expositions sont chroniques et concomitantes aux nombreux autres polluants biologiquement actifs,
• la large variété des effets (antibiotiques, antiinflammatoires, psychoactifs, hypolipémiants…) rend, par définition, impossible le développement d’un test biologique unique, et même illusoire une batterie d’essais pour la surveillance de la qualité des milieux et de l’eau potable,
• la réglementation européenne d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments à usages humain ou vétérinaire intègre un volet d’étude du risque environnemental mais avec des éléments de conclusion encore insuffisants,
• des freins (données payantes, clauses de confidentialité, blocages ou ralentissements des accès aux dossiers d’AMM…) empêchent l’accès libre aux données disponibles permettant l’évaluation des risques ainsi que les données sur les masses commercialisées de médicaments par zones géographiques,
• des risques écotoxiques significatifs ont été mis en évidence pour certaines molécules et certaines espèces. Les tentatives d’estimation de risques sanitaires, en particulier via l’eau de boisson, ont conclu à des risques négligeables (au moins dans les pays disposant d’unités de potabilisation des eaux fiables).
• Les listes de molécules et métabolites et les concentrations détectées sont assez similaires sur tous les continents et les méthodes d’analyse par des couplages de chromatographies-spectrométrie de masse dites « non ciblée » ouvrent vers de nouvelles cibles,
• Il se confirme une intégration de certains RdM dans des plantes, fertilisées notamment par des boues de stations d’épuration des eaux usées,
• Les technologies de traitement des eaux usées identifiées les plus adaptées sont l’oxydation par l’ozone et l’adsorption par le charbon actif,
• Trop peu de résultats existent sur l’évaluation quantitative des risques.
Que disent les diverses instances et règlementations ?
1) La Commission européenne (CE) souhaite améliorer l’évaluation des risques environnementaux avant la mise sur le marché des médicaments. « L’approche stratégique envers les médicaments dans l’environnement », veut identifier les manques de connaissance, les combler et éviter les risques environnementaux et sanitaires via les contaminations environnementales, sans pour autant mettre de freins à l’innovation et risquer des effets pouvant perturber le développement de nouvelles thérapeutiques et donc la santé publique [1].
Suite à la communication de la CE au parlement, celui-ci a très largement adopté, en septembre 2020, une résolution appelant à de nouvelles mesures pour lutter contre la pollution par les RdM qui « cause des dommages à long terme aux écosystèmes, réduit l’efficacité des médicaments et augmente la résistance aux antibiotiques ». Les députés « regrettent l’important retard pris pour présenter une approche stratégique et des actions concrètes. Ils appellent donc à un usage plus raisonné des médicaments, au développement d’une fabrication plus écologique et à une meilleure gestion des déchets. Les médicaments peuvent affecter les masses d’eau, car ils ne peuvent pas être filtrés efficacement par les stations d’épuration des eaux usées (STEU). Malgré des concentrations souvent faibles, il existe un risque que la santé des patients soit affectée à long terme. Les députés sont particulièrement préoccupés par le fait que les propriétés perturbatrices du système endocrinien de nombreux médicaments se retrouvent dans l’environnement. »
Les députés s'inquiètent de la consommation globale de médicaments par habitant qui ne cesse d'augmenter dans l'UE et encouragent les médecins et les vétérinaires à fournir des informations sur la manière de se débarrasser correctement des médicaments non utilisés. Les mesures visant à réduire la pollution devraient non seulement inclure des contrôles en bout de chaîne (par exemple, l'amélioration du traitement des eaux usées), mais aussi englober l'ensemble du cycle de vie des médicaments, de la conception et de la production à l'élimination. La résolution souligne également la nécessité de poursuivre le développement de produits pharmaceutiques plus « verts », notamment plus biodégradables, tout en ne nuisant pas à leur efficacité et à la santé publique.
2) La Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) a développé une action de réflexion « Eco-Pharmaco-Stewardship » sur trois thèmes [2] :
– identifier les risques environnementaux pour les principes actifs de médicaments existants et les nouveaux avec des stratégies intelligentes et ciblées,
– mieux gérer les effluents des usines de production de médicaments,
– affiner l’évaluation des risques environnementaux du dossier d’AMM pour qu’elle soit plus optimale et adaptée.
3) L’impact sur la chaine alimentaire est d’intérêt majeur et nécessite des études interdisciplinaires. L’UNESCO recommande que des mesures de gestion soient prises à tous les niveaux du cycle de vie des médicaments pour réduire les émissions dans l’environnement. Le besoin de politiques et de programmes d’éducation des prescripteurs et des « consommateurs » est affirmé pour réduire les rejets et notamment en gérant mieux la récupération des médicaments non utilisés [3].
4) La France qui avait été le seul pays européen à avoir créé un plan national sur ce sujet (2010-2015), a fusionné ce thème au sein du plan national micropolluants (2016-2021) [4]. Les moyens dédiés ne sont malheureusement pas suffisants au regard des besoins de connaissance et d’aide à la gestion.
5) L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié en 2020 un rapport particulièrement complet sur l’antibiorésistance et l’environnement [5]. Parmi les nombreuses conclusions, le rapport précise que la somme des concentrations en fluoroquinolones et en macrolides dans les eaux usées traitées ou dans les rivières les plus contaminées pourraient favoriser la dissémination de l’antibiorésistance. La somme des concentrations en sulfamides et en tétracyclines dans les phases dissoutes des matrices liquides sont inférieures à celles décrites comme pouvant favoriser la dissémination de l’antibiorésistance. En France, la présence d’antibiotiques n’est pas suffisante pour favoriser la survie des bactéries antibiorésistantes et la persistance des gènes associés dans l’environnement. La présence de co-sélecteur(s), la diversité des communautés bactériennes et l’hétérogénéité des milieux sont autant de facteurs influençant leurs dynamiques spatio-temporelles.
6) De nombreux résultats sont publiés, particulièrement en Chine et en Europe, confirmant la présence endémique de RdM dans les milieux aquatiques mais très peu de données existent sur des eaux de consommation. Plusieurs publications précisent en Chine, la liste des molécules à surveiller dans les eaux priorisées avec des critères de risques environnementaux [6, 7]
L’analyse des risques environnementaux progresse
• Des effets écotoxiques significatifs sont mesurés ou estimés pour certaines molécules envers certaines espèces à des concentrations environnementales [8, 9, 10, 11, 12].
• L’accumulation de molécules est observée chez des moules [14], poissons [15], tomates [16] ou oiseaux consommant des poissons [17].
• L’antibiorésistance, et son possible rapport avec les rejets d’antibiotiques continue de préoccuper fortement [5], [18], [19].
• Les analyses globales de risques réalisées reposent sur la comparaison des concentrations mesurées dans les eaux et les concentrations prédites sans effets mais, selon les sites et les modèles biologiques utilisés, les résultats sont contradictoires. Les évaluations présentées dans le dossier d’AMM se basent en partie sur une formule globale de concentrations prédites dans l’environnement qui est contestée [20].
• Une étude conclue que le risque environnemental est bien supérieur au possible risque sanitaire et confirme une fois encore des représentant de classes de molécules prioritaires (hormones, antidépresseurs, antibiotiques, béta bloquants, hypolipémiants) [21].
• L’augmentation des périodes de sécheresse et d’étiage des cours d’eaux inquiète en raison des concentrations supérieures en polluants ; l’attention est également portée sur le manque de connaissance des métabolites pertinents qui peuvent être plus actifs que la molécule mère [22].
• D’important résultats comparatifs de contamination par les RdM dans les rivières en Asie, Europe et Amérique du nord sont présentés confirmant les principales familles en cause, une relation avec la densité de population et les efficacités de traitement des STEU [23].
• Certaines eaux destinées à la consommation humaine présentent des traces de RdM et de produits de soin corporel malgré l’application de traitements de potabilisation (Ibuprofene, metformine, benzophenone, DEET...) à Taiwan, en Malaisie, aux États-Unis, en Chine, au Brésil, au Québec [24, 25, 26, 27, 28, 29]
Chaque année, le sujet des risques liés aux résidus de médicaments augmente son importance avec la révélation de nouveaux contaminants et de nouveaux effets sur le biote à faibles doses. Il reste encore beaucoup d’éléments à mesurer sur les métabolites de médicaments, les bilans de masse au sein de STEU, les effets des mélanges avec les autres polluants … Les stratégies préventives, autres que la récupération et la destruction des médicaments non utilisés, sont très délicates pour les médicaments à usage humain. Les masses d’antibiotiques en usage vétérinaire ont toutefois fortement réduit en France et, par rapport à 2011, l’exposition globale des animaux a diminué de 45,3 % [30]. Les technologies de traitement dans les eaux et leurs limites sont connues mais leur stratégie d’implantation doit se faire selon une logique basée sur l’analyse des risques qui doit encore progresser. En supplément de cette préoccupation majeure liée aux résidus de médicaments dans l’environnement et leurs particularités, il importe de globaliser avec les autres micropolluants (pesticides, plastifiants, solvants, polluants organiques persistants…) qui constituent les mélanges réels auxquels se font les expositions dans l’environnement.
EN COMPLÉMENT DE CETTE LECTURE
Visionnez une interview du Pr Yves Lévi sur "Les risques potentiels des eaux de boissons (Colloque Groupe Pasteur Mutualité, "Les pollutions de la santé", Paris, novembre 2018)
Bibliographie
[1] Commission européenne (2019) Communication au parlement : European Union Strategic Approach to Pharmaceuticals in the Environment
[3] UNESCO (2017) Pharmaceuticals in the aquatic environment of the Baltic Sea region. ISBN 978-92-3-100213-7
[4] Ministère de la transition écologique Plan micropolluants 2016-2021 pour préserver l’eau et la biodiversité.
[5] ANSES (2020) Antibiorésistance et environnement. État et causes possibles de la contamination des milieux en France.
[6] Guo J., Liu S., Zhou L., Cheng B., Li Q. (2021) Prioritizing pharmaceuticals based on environmental risks in the aquatic environment in China, J. Environ. Manag., 278, 1, 111479
[7] Li Y, Zhang L, Ding J, Liu X (2020) Prioritization of pharmaceuticals in water environment in China based on environmental criteria and risk analysis of top-priority pharmaceuticals, J. Environ. Manage., 253, 109732
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[9] Yang M., Liu S., Hu L., Zhan J., Lei P., Wu M., Effects of the antidepressant, mianserin, on early development of fish embryos at low environmentally relevant concentrations. Ecotox. Environm. Safety, 2018, 150, 144-151
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[25] Praveena S.M., Rashid M.Z.M., Nasir F.A.M., Wee S.Y., Aris A.Z. (2020) Occurrence, Human Health Risks, and Public Awareness Level of Pharmaceuticals in Tap Water from Putrajaya (Malaysia). Exposure and Health
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[27] Wang Z., Gao S., Dai Q., Zhao M., Yang F. (2020) Occurrence and risk assessment of psychoactive substances in tap water from China. Environ. Poll., 261, 114163
[28] Reis E.O., Foureaux A.F.S., Rodrigues J.S., Moreira V.R., Lebron Y.A.R. et al. (2019) Occurrence, removal and seasonal variation of pharmaceuticals in Brasilian drinking water treatment plants, Environ. Poll., 250, 773-781
[29] Husk B., Sanchez J.S., Leduc R., Takser L., Savary O., Cabana H. (2019) Pharmaceuticals and pesticides in rural community drinking waters of Quebec, Canada – a regional study on the susceptibility to source contamination. Wat. Qual. Res. J., 54, 2, 88–103
[30] ANSES (2020) Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2019.
- par Yves Lévy, partenariat SFSE