L’homéopathie et le monde des complots  [? #2]

Qu’est-il arrivé à l’homéopathie ? De simple pratique privée qui continuait et encadrait les traditions non-scientifiques de la médecine occidentale, elle est devenue une cause, celle de l’esprit d’ouverture à la « spiritualité »… ou de la crédulité complotiste. Suite du compte rendu du livre de Thomas C. Durand, Connaissez-vous l’homéopathie ?

Par Maël Lemoine.

MaelLemoine

La méthode « scientifique » des homéopathes

Fondée par Hahnemann vers 1800, l’expérimentation homéopathique consiste à tester diverses substances à des doses assez élevées pour produire des effets négatifs, et à noter soigneusement ces effets. L’expérimentateur teste la substance sur lui-même, et on croise les descriptions de plusieurs expérimentateurs. Les substances de base se cherchent dans la nature, mais pas seulement. Le laboratoire Helios vend ainsi des dilutions de solutions de Mur de Berlin pour lutter contre le sentiment d’être opprimé ou séparé de quelqu’un. Il serait dogmatique de croire que seule la nature peut nous soigner, pas vrai ?

Ces expérimentateurs sont des praticiens chevronnés de l’homéopathie. Mais la science est vraiment dogmatique d’essayer d’éviter les biais en exigeant qu’on teste un traitement médical en « aveugle » sur des gens qui ne savent pas s’ils ont vraiment le traitement ou bien un placebo.

Les effets observés sur eux-mêmes par les expérimentateurs sont nombreux, et tout aussi nombreuses sont les indications possibles des remèdes homéopathiques. Allez jeter un œil sur les indications possibles pour Sepia officinalis ou pour Pulsatilla. Surtout, renoncez à tout dogmatisme étroit qui vous pousserait à croire que ces effets ont été observés par hasard, amplifiés par des mécanismes d’observation de soi, puis gravés dans le marbre de manière dogmatique.

L’homéopathie tient compte aussi du « terrain du patient ». A patient particulier, remède particulier. De sorte que le thérapeute doit écouter et observer longuement son patient avant de se décider pour Pulsatilla de toute façon… ou un autre traitement, du reste. Seul un dogmatique peut s’aveugler ainsi au point de ne pas voir que des profils qui ressemblent à des horoscopes sont vraiment ce qui détermine l’action de granules sans effet propre.

Mais par dessus tout cela, le dogmatique nie (parce qu’il est dogmatique, précisément !), la véritable richesse des écoles homéopathiques. Il réduit à l’homéopathie « uniciste », ou homéopathie classique, l’homéopathie complexe qui « renforce l’énergie des remèdes par des mélanges », l’homéopathie par résonance qui en est une forme particulière fondée sur la « synergie d’auto-guérison du corps », l’homéopathie miasmatique, la micro-immunothérapie, l’homéopathie biochimique, l’autopathie, la médecine énergétique (qui place les remèdes à côté du patient au lieu de les lui faire ingérer), l’harmopathie, et la téléhoméopathie qui fonctionne en traitement à distance par Skype ou par email. Il y a aussi l’homéosiniatrie qui associe homéopathie et acupuncture, l’homéopathie digitale, la radionique, la biorésonance, l’homéopathie émotionnellement orientée, l’isopathie, l’electrohoméopathie, et l’homéorésonance.

Quel dynamisme dans la recherche en homéopathie !

L’ « allopathie », voilà l’ennemi !

Les homéopathes utilisent un terme collectif pour désigner tous les traitements qui ne sont pas homéopathiques : allopathie. Il serait évidemment totalement contradictoire que les médecins traitants fustigent l’allopathie à laquelle ils doivent tout de même leur diplôme, leur cadre d’exercice, leur compétence reconnue et tout ce qui va avec. Mais d’autres homéopathes ne s’en privent pas.

En principe « allopathie » devrait désigner aussi toutes les médecines alternatives et complémentaires, comme la gemmothérapie, l’aromathérapie, l’acupuncture et d’autres, puisqu’aucune ne suit les principes de similitude, dilution, dynamisation (même si elles ont presque toutes reconnu les bienfaits du principe d’individualisation pour se rendre sympathique et irréfutable). Mais dans la pratique, le plus souvent, on appelle « allopathie » la « médecine officielle » et sa culture occidentale rationaliste, anti-humaniste, voire racialiste et colonialiste.Durand souligne que les partisans de l’hypothèse selon laquelle la Terre est plate pourraient tout aussi bien baptiser les autres du terme « globiste » et fustiger leur dogmatisme, tout comme les persécutions qu’ils subissent au nom de cette idéologie. Pour que cela soit convaincant, il faudrait que cela soit vrai. Mais se construire un ennemi, lui prêter des intentions hostiles et lui donner un nom, tout cela ne fait pas de vous une victime innocente porteuse de la vérité. En revanche, cela vous attire automatiquement la sympathie de tous les complotistes du monde.

L’homéopathie flirte ainsi avec beaucoup d’autres courants qui, faute de reconnaissance officielle, continuent pourtant de survivre sur la seule envie de croire en ce qu’ils déclarent. Elle fleurit aussi sur la frustration que la médecine suscite nécessairement par ses imperfections. Elle naît donc d’un décalage entre ce que nous voudrions qu’elle soit et ce que nous croyons qu’elle peut vraiment. Face à la force du désir de croire, une démarche prudente et rigoureuse est impuissante. Trop lente et trop exigeante, la démarche scientifique n’est pas longue à se voir accuser de mauvaise foi. On comprend mal que la science médicale ne repose pas sur l’autorité de quelques-uns, mais sur un effort et une critique collectifs. Il ne s’agit pas non plus d’idéaliser la réalité, et de croire que la science fonctionne parfaitement. Mais pour imparfaite qu’elle soit, c’est ce que nous avons de mieux, n’en déplaisent à ceux qui veulent rêver encore d’une médecine magique.

 

L'homéopathie fleurit aussi sur la frustration que la médecine suscite nécessairement par ses imperfections. [...] les pharmaciens, restent bien silencieux devant toutes ces polémiques. Qu’est-ce que les spécialistes du médicament ont à dire de l’homéopathie ?


La science veut-elle la peau de l’homéopathie ?

Ce n’est pas une manifestation d’hostilité de demander si l’homéopathie, qui prétend fonctionner, fonctionne vraiment. Après tout, c’est ce que l’on demande en principe à tout traitement qui souhaite entrer sur le marché du médicament. Rappelons que l’homéopathie n’est d’ailleurs pas soumise à cette exigence, ce qui en dit long sur ce que les autorités pensent de cette pratique. S’il n’est même pas utile de montrer que c’est efficace, c’est qu’on n’a aucun doute que ça ne peut l’être, ou bien qu’on n’a aucun doute que ça l’est. Pas très difficile de choisir entre ces deux hypothèses.

Il existe des études bien menées qui concluent favorablement à l’efficacité de l’homéopathie. Mais la grande majorité des études bien menées concluent que l’homéopathie n’est pas efficace. Il est donc prudent de croire que les premières sont de simples aléas statistiques. Cependant, la majorité des études se bornent à constater la faible qualité des études existantes : elles n’offrent pas de garantie d’impartialité des observateurs, la plupart acquis à la cause de l’homéopathie, elles reposent sur de faibles nombres, ou sur des failles importantes dans la méthode.

Des études publiées dans de grands journaux médicaux, des rapports officiels de l’Union européenne ou des autorités australiennes, ont définitivement enterré l’hypothèse d’une homéopathie efficace. « Enterrer » ne signifie pas que cette hypothèse a été invalidée, mais simplement, qu’il est très déraisonnable de vouloir à tout prix continuer à l’établir ou fonder ses pratiques de santé sur cette hypothèse. (Jamais personne n’a montré que le dieu Anubis n’a jamais existé non plus, du reste : c’est simplement que nous ne nous en soucions plus).

Devrait-on encore aujourd’hui expliquer à des médecins que ce qu’ils croient avoir observé personnellement, même en quarante ans de pratique, ne saurait avoir valeur de preuve qui tienne face aux dizaines de milliers d’observations systématiques consignées dans des études scientifiques ? Thomas Durand le rappelle : un médecin n’est pas un expert de la méthode scientifique simplement parce qu’il est médecin.

Conclusion

On reproche à l’homéopathie, non pas les effets secondaires des traitements, mais les effets des distorsions et de la confusion qu’elle entretient dans l’esprit des patients, tout particulièrement quand ces croyances sont entretenues par des personnes qui détiennent l’autorité du savoir médical. Qui ne s’apercevrait de la supercherie si l’on affirmait tout simplement ce que les homéopathes font mine de croire, à savoir, que les produits homéopathiques sont efficaces dans tous les cas, pour peu qu’ils soient bien utilisés ? Car il suffira toujours de dire qu’ils n’ont pas été bien utilisés quand ils n’ont pas bien marché.

Restent « l’humanisme » et l’« approche globale » de la « médecine intégrée ». Il n’est pas surprenant que les adversaires de la fameuse allopathie lui reprochent son manque d’humanité, puisque c’est tout ce qu’ils peuvent vraiment offrir à leurs patients. Il y a là une leçon à méditer pour certains médecins – on peut en rencontrer qui alliaient le mépris pour leur patient à la prescription homéopathique. Une étude britannique publiée en 2018 montrait une corrélation, chez les médecins, entre prescription homéopathique et manque d’efficacité et de sûreté de la prise en charge : elle se concluait sur l’hypothèse que les médecins acquis à l’homéopathie négligent généralement quelques principes de la médecine scientifique.

Une autre profession doit s’interroger, souligne Thomas Durand : les pharmaciens, qui restent bien silencieux devant toutes ces polémiques. Qu’est-ce que les spécialistes du médicament ont à dire de l’homéopathie ?

Respecter les opinions d’une personne, c’est bien. Respecter cette personne, c’est encore mieux. Cela implique de discuter ses croyances et de ne pas s’interdire de la contredire quand on pense sincèrement qu’elle se fourvoie. C’est ce qu’un optimisme dira à la lecture des commentaires enflammés que ce compte rendu, ainsi que le livre de Thomas Durand, entraînera sur les réseaux sociaux.

"Connaissez-vous l’homéopathie ?"
Thomas C. Durand, éditions Matériologiques, Paris, 2019.
par Maël Lemoine