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14 pommes, prendre son temps et s'apaiser

Le bonheur se trouve dans une vie harmonieusement disciplinée. C'est ce que nous conte le film "14 Pommes" du réalisateur birman Midi Z sorti en salle mercredi 16 mai. Un film qui invite à la découverte de soi et au ralentissement. A méditer par les professionnels de santé qui courrent aprés le temps.

Par Pascal Pistacio.

PascalPistacio

 

Shin-hong, jeune entrepreneur birman fait face à des difficultés personnelles et souffre d’insomnie. Sa mère, qui a consulté un diseur de bonne aventure pour ses troubles, lui rapporte ses conseils. Il doit acheter 14 pommes et se rendre dans un monastère isolé, d’une région rurale au centre du pays. Il devra y vivre comme un moine 14 jours, et manger une pomme par jour.

 Shin-Hong arrête sa voiture, au milieu de la rue du marché, de la dernière ville avant la campagne profonde. Il se renseigne auprès de la marchande sur la provenance des pommes. Ces fruits sont  ne sont pas à la portée de tous dans ces coins. Les pommes sont vendues à la pièce, la thaïlandaise 250 kyats, la chinoise 350 kyats et l’énorme américaine de Californie 1000 kyats.

La géopolitique de la pomme

Le revenu moyen en Birmanie est de 450 kyats de l’heure soit 31 centimes d'euros... Ces détails semblent anodins, mais la Birmanie ne produit pas de pommes. Midi Z (35 ans) quand il était plus jeune avant de partir pour Taiwan, a vécu le même voyage initiatique. Tout comme celui que son ami Shin-Hong vit sous nos yeux. Quand il a entrepris ce voyage, sa famille étant très modeste, il n’avait encore jamais vu de pomme, et leur prix était déjà prohibitif. Pour les Birmans, la provenance et le prix des pommes en disent long.
La Thaïlande, pays frère, la Chine la grande puissance, frontalière, prospère et crainte fait rêver, et les USA qui font, à la fois fantasmer et sont redoutés pour avoir, entre autres, pilonnés à coup de bombes les pays proches comme le Viet Nam et le Cambodge.

De l’infiniment grand à l’infiniment petit

Shin-Hong achète 14 pommes thaï pour 3 500 kyats puis quitte la ville et son bruyant fourmillement de population. Après des kilomètres de route de plus en plus chaotiques, comme dans les contes initiatiques, il y a une « traversée » des eaux. Il passe une rivière à gué. Sur l’autre rive, des enfants poussent sa voiture pour qu’il franchisse la côte qui mène au village et au monastère.
Là, en silence, un moine lui tond le crâne. Dépouillé de ses effets personnels, revêtu de l’habit monacal, après avoir reçu les rudiments de sa fonction, il est en charge de porter l’urne qui reçoit les offrandes des villageois en argent, encens ou victuailles. Chacun se prosterne sur son passage. L’entrepreneur citadin, qui voyait grand, doit se consacrer aux petites choses de la vie, aux petites gens.
Comme tout moine bouddhiste, il doit veiller sur la population pour que, dans la discipline et l’harmonie, chacun ait une vie de « bonheur ».
Puis vient pour lui le temps du silence et de la méditation. En fin de journée, Shin-Hong prend la première pomme et un couteau dans sa voiture. Il s’éloigne du monastère, et, assis à l’abri d’une meule de foin, il l’épluche lentement.

De l’infiniment petit à l’infiniment grand

14 jours, 14 pommes pour qu’il découvre l’infiniment grand qui est en chaque chose.
L’amour, la mesquinerie, la solidarité, le rêve, la misère. Avec les villageois, il rencontre l’Humanité et la grandeur du cosmos.
Au fil des pommes, il apprend à dompter sa faim. Dans les premiers jours, il les croque presque brutalement, puis, au fur et à mesure qu’il s’apaise, avec calme, il donne le sentiment de ne pas arriver à la finir. Cette pomme, qui a une forme de sphère comme notre planète.
Le dernier jour, la « cérémonie » de la pomme, est presque la même qu’au premier jour. Mais il n’est plus seul à l’écart. À l’ombre d’un arbre où est assis un villageois, debout, il épluche le fruit calmement, jette la peau, puis la taille de la pointe de son couteau, paisiblement.

Midi Z un réalisateur hors norme

Dans la simplicité naît la complexité. Tout le film est construit en plans séquences qui permettent aux situations d’exister pleinement. Midi Z aime profondément le pays où il est né. Le clergé bouddhiste est à la fois le ciment de la société et aussi parfois l’empêche d’évoluer. Par petites touches, mais avec profondeur, il croque la Birmanie. Les silences sont aussi expressifs que les quelques scènes parlantes. Il capte les rêves d’ailleurs meilleurs, toujours chargés de la soif d’un retour plein de promesses.
Lui qui fit, dans sa jeunesse, ce « chemin » des 14 Pommes, a quitté la misère de son pays pour mieux y revenir et le conter au monde entier.
La Birmanie est constituée de 14 États et régions, 14 Pommes pour en faire un émouvant portrait.

 

14 pommes

Date de sortie au cinéma : 16 mai 2018
Réalisation : Midi Z
Scénario : Midi Z et Wu Pei-Chi
Avec: Wang Shin-Hong, Zhao Te-Yin, Bo Zar, Than Kyaw Thar
Durée : 1h 24

 

 

 

 

 

 

par Pascal Pistacio