(c) Shutterstock

L’insuffisance ovarienne prématurée (IOP), une pathologie pas si rare

Chaque femme naît avec un stock d’environ 1,5 million de follicules. À l’approche de la ménopause, soit vers 50 ans, il ne lui en reste approximativement plus que 1 000. Il existe une pathologie touchant 1 à 3 % des femmes, entre le début de la puberté (vers 12 ans) et 40 ans, conduisant à un épuisement accéléré du stock folliculaire ou à une incapacité de maturation des follicules ovariens. Il s’agit de l’insuffisance ovarienne prématurée (IOP). Entretien avecle Pr Sophie Catteau-Jonard, endocrinologue, gynécologue médicale et médecin de la reproduction, chef du service de Gynécologie médicale, orthogénie, sexologie de l’hôpital Jeanne de Flandre au CHU de Lille.

Propos recueillis par Cécile Menu.

Cecilemenu

photo S CJQuelles sont les causes de la survenue d’une IOP ?

Dans 80 % des cas, les causes sont inexpliquées. Cependant, on sait que certaines mutations génétiques sont à l’origine de cette pathologie. Le syndrome de Turner en fait partie. Pour mémoire, les personnes souffrant de ce syndrome n’ont qu’un seul chromosome X au lieu de deux. Chez ces patientes, le stock folliculaire s’épuise en général prématurément et souvent les sujets ne développent pas de puberté complète. Un autre exemple : la pré-mutation du gène FMR11 (fragile mental retardation 1), située sur le chromosome X, se caractérise par un fonctionnement anormal des ovaires dans un certain nombre de cas. Ces pré-mutations s’aggravent au fil des générations. Les femmes qui en sont porteuses pourront développer une insuffisance ovarienne prématurée (FXPOI : fragile X premature ovarian failure). Enfin, une dizaine d’autres gènes maintenant bien connus participent au développement d’une éventuelle IOP.

Les facteurs environnementaux pourraient être également impliqués dans le phénomène de perte folliculaire accélérée. Il a ainsi été observé que les coiffeuses seraient ménopausées en moyenne 2 à 3 ans plus tôt que les autres femmes en raison de l’utilisation régulière de teintures. Les fumeuses présentent également souvent un âge de ménopause avancé de quelques années. A noter que même si un stress aigu peut provoquer des troubles du cycle menstruel voire une aménorrhée, il ne peut être la cause de l’IOP.

Peut-on traiter l’insuffisance ovarienne prématurée ?

Il n’existe pas de traitement contre l’insuffisance ovarienne prématurée mais il est primordial de proposer un traitement hormonal de substitution jusqu’à l’âge de 50 ans afin d’éviter le risque de survenue de maladies associées aux carences œstrogéniques impactant l’espérance de vie. La supplémentation hormonale limite également les symptômes liés au manque d’estrogènes (bouffées de chaleur, troubles de la libido, douleurs lors des rapports sexuels, douleurs articulaires, troubles urinaires, etc.). En l’absence de traitement, les pathologies fréquemment développées sont l’ostéoporose, les maladies cardiovasculaires, un dérèglement lipidique, des troubles du sommeil (les patientes souffrent souvent d’insomnies), des troubles neurologiques et des troubles de la mémoire. Les femmes non traitées sont également davantage sujettes aux maladies neurodégénératives. Malheureusement, certaines patientes refusent ce traitement par crainte de développer un cancer du sein. Or il est prouvé que s’il n’y a pas d’antécédents personnel de cancer du sein, le traitement à base d’œstrogènes associés à de la progestérone (pour protéger l’utérus) peut être pris sans risque. Le rôle des gynécologues et des médecins généralistes est donc de convaincre leurs patientes de prendre le traitement en expliquant les différentes pathologies qu’elles pourraient éviter. Après une ablation de la surrénale ou une thyroïdectomie, ne faut-il pas compenser les carences hormonales qui en découlent pour que le patient survive ?


Quelles peuvent être les autres conséquences d’une IOP ?

L’insuffisance ovarienne prématurée est l’une des causes d’infertilité. C’est pourquoi, une fois le diagnostic posé, l’annonce peut être aussi difficile que pour des maladies graves et se fait par étape avec l’aide le cas échéant d’une psychologue. Aujourd’hui, les femmes font des enfants tardivement, il est donc nécessaire de parvenir le plus tôt possible à identifier ces patientes. Ce diagnostic est retardé chez les femmes sous traitement contraceptif comportant des estrogènes. L’étude d’antécédents familiaux peut nous permettre de déceler un risque d’avoir une IOP. S’il s’avère que d’autres cas ont été recensés dans la famille, il est possible de sensibiliser les patientes aux risques de perte de stock folliculaire et de leur proposer une prise en charge préventive si l’anomalie génétique est retrouvée ou si la réserve ovarienne diminue

Une préservation des ovocytes par vitrification2 (congélation très rapide à -196°C) ou de tissu ovarien peut être suggérée. Les chances de grossesse spontanée restent cependant de 5 à 10 %. En cas d’absence de grossesse et si la patiente exprime son désir d’enfant, elle aura la possibilité de faire appel au don d’ovocytes (ovocytes donnés anonymement, fécondés in vitro avec le sperme du conjoint). Un ou deux embryons obtenus seront transférés dans la cavité utérine avec un tiers de chance d’aboutir à une grossesse.

Notes

1. La mutation complète du gène FMR1 est à l’origine du syndrome de l’X-fragile, première cause génétique de retard mental, toutefois les femmes porteuses de la pré-mutation du gène FMR1 n’en sont pas atteintes.

2. En France, la technique de vitrification a été autorisée par la loi du 7 juillet 2011.

par Cécile Menu