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Des globules rouges contre le paludisme

Au cours d'une conférence LABROOM, en moins de 15 minutes, le Pr Pierre Buffet, biologiste cellulaire spécialisé en parasitologie démontre comment la compréhension du fonctionnement des globules peut donner une approche thérapeutique nouvelle pour faire face à certaines formes de paludisme.

Voici la vidéo et le texte complets de l'intervention au LABROOM du Pr Pierre Buffet dans le cadre d'une collaboration entre M-Soigner et la Fondation de l'université Paris-Descartes.

 

Est-ce que vous saviez que le paludisme, maladie importante, est une maladie du globule rouge ?

Intervention du Pr Pierre Buffet au Labroom M-soigner.com (septembre 2018)

Le paludisme est une maladie infectieuse, d’abord. C’est une maladie très fréquente en zone tropicale, je vais y revenir, mais ce qui est important de notre point de vue et du point de vue du programme de recherche dont je vais vous parler, c’est que c’est très lié à une cellule humaine qui est le globule rouge.

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Illustration un peu marquante, vous avez ici deux images de rétine humaine. C’est un fond d’œil.

Celui-ci est un fond d’œil normal : vous avez une rétine bien rouge avec des vaisseaux sanguins, des artères, et des veines, qui sont aussi très fortement colorés.

Ça, c’est la rétine de quelqu’un qui a un paludisme grave, un « neuropaludisme » : vous voyez qu’une partie de la rétine est blanche et une partie des vaisseaux sont dits « orangés ». Et ça, c’est réellement la marque la plus visible de ce caractère spectaculaire d’un parasite qui entre dans les cellules et qui va causer les dommages et la pathologie du paludisme.

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Le paludisme est une des maladies infectieuses les plus fréquentes. C’est un demi-million d’enfants qui meurt chaque année, essentiellement en Afrique. Et globalement, il y a encore beaucoup de progrès à faire en termes de traitement. Donc, vous allez voir que le fait de bien comprendre comment nos cellules, et en particulier les globules rouges fonctionnent peut donner une approche thérapeutique nouvelle pour cette maladie.

Première base, vous vous souvenez de la différence entre une cellule eucaryote normale : il y a un noyau, des mitochondries, des synthèses. Cette cellule est pleinement vivante, elle peut se multiplier. Le globule rouge est une cellule complètement originale. C’est finalement un sac très simple qui contient l’hémoglobine qui permet les échanges gazeux et globalement, on va voir que malgré cette simplicité apparente, il faut bien comprendre ses spécificités, sa façon de fonctionner, pour pouvoir essayer d’intervenir.

Alors, dans le paludisme, c’est finalement l’histoire d’une petite cellule complexe normale avec toute cette machinerie qui envahit une cellule relativement simple qui est le globule rouge. Donc il y a une invasion réelle. Le parasite entre à l’intérieur, s’y multiplie, modifie le globule rouge et c’est cette modification qui va créer progressivement un certain nombre de dommages.

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Normalement, le globule rouge a une forme de disque biconcave. Probablement, c’est ça qui fait qu’il se transforme en une espèce de méduse quand il circule dans les petits vaisseaux sanguins, et avec cette circulation que vous voyez, très particulière, avec une déformation importante. Et puis, il y a une illustration qui, pour l’instant, est une illustration de modélisation mathématique qui montre bien à quel point la déformation du globule peut être importante dans des petits espaces étroits. Vous avez vu cette déformation incroyable : un globule rouge de 7 microns peut passer dans un petit espace de 1 micron, voire moins.

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Alors vous avez donc bien compris cet enchaînement entre un parasite qui entre dans le globule, qui va d’ailleurs exporter à la surface des protéines à lui qui lui permettent de coller aux vaisseaux sanguins, et vous comprenez mieux pourquoi dans la rétine de quelqu’un qui a un paludisme grave, il y a tellement de globules rouges qui contiennent des parasites que ça change la couleur des vaisseaux. On peut imaginer que si vous avez ça dans le cerveau, l’état de conscience ne va pas être l’état de conscience d’un sujet normal.

Heureusement, d’un point de vue du fonctionnement physiologique, il y a un organe qui nous confère une forme de protection naturelle qui est la rate. La rate, dont on s’occupe finalement assez peu en médecine, qui est en haut à gauche de l’abdomen, va jouer un rôle important.
Donc, la rate pèse à peu près 150 g et filtre les globules rouges en permanence. Un globule rouge va passer dans la rate à peu près toutes les 20 minutes et puis, vous allez voir que ça a un rôle réellement de déformation.

Alors, d’un point de vue recherche, comment a-t-on essayé de mieux comprendre comment ce parasite qui se met dans un globule rouge va être éventuellement gêné dans son développement par cet organe qui est la rate ?

On a fait quelque chose d’assez simple conceptuellement : on a récupéré des rates humaines à la suite d’interventions chirurgicales programmées pour autre chose. En particulier quand on enlève des bouts du pancréas, on peut être amené à enlever la rate.

Donc, on met la rate dans une machine. Elle est là, vous la verrez un peu mieux sur une image suivante. Vous voyez qu’il y a un réservoir avec un sang artificiel, ça passe dans une machine qui permet de faire circuler le système, il y a un poumon artificiel, un système de réchauffement et ça revient dans la rate et dans le réservoir. On la voit mieux ici : voilà la taille d’une rate humaine normale, c’est à peu près la taille d’un poing. À l’intérieur, on a mis un cathéter artériel et on perfuse à pression physiologique normale, ça fait 1,50 m d’eau quand on met la pompe. Et donc, on peut analyser réellement comment l’organe joue son rôle de contrôle de qualité des globules rouges.

Et quand on a mis dans ce système qu’on appelle une rate isolée perfusée, des globules rouges parasités qu’on avait produits en culture, on s’est aperçu que les parasites qui avaient été préalablement altérés par un médicament sont le long d’un système de filtre très particulier qu’on appelle le « sinus splénique ». Je n’ai pas le temps de détailler sa structure de façon très fine, mais ce qu’il faut savoir c’est que dans cette paroi du sinus, il y a des petites fentes. Vous imaginez là que chaque globule rouge est passé et laisse son parasite derrière lui, donc il y a réellement un système de filtre qui contrôle la vitesse à laquelle l’infection se produit et combien il y a de globules rouges parasités en circulation.

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J’ai mis quelques illustrations assez spectaculaires de ce petit filtre. Vous avez vu, à quel point ces petits interstices sont microscopiques, c’est même quelquefois plus fin qu’un micron. Il y a même un globule rouge, là, qui a essayé de passer par deux orifices en même temps : quelquefois les gens ne savent pas prendre leur décision !

Voilà en gros la base de connaissances sur laquelle on s’est reposé pour le projet dont je vais vous parler dans les quelques minutes qui restent.

Donc, globalement, l’idée a été finalement très simple. On avait fait le constat dans ce système expérimental que la rate est capable naturellement de sentir un globule rouge modifié par le parasite qui est là, à l’intérieur. Et donc, dans la situation normale, une partie des parasites est assez souple pour franchir cet obstacle et une partie des parasites reste dedans. Ce qu’on voudrait, c’est trouver des médicaments qui soient capables de rigidifier le parasite ou le globule rouge parasité dans son ensemble, sans rigidifier le globule rouge normal, et de cette façon, entraîner une rétention spécifique des globules rouges parasités dans la rate qui est pleine de macrophages et qui normalement devrait terminer le boulot assez efficacement.

L’idée finalement est presque trop simple : il faut que je puisse trouver un composé qui va taper spécifiquement sur le globule rouge parasité et l’empêcher de franchir.

Donc là, vous avez un des outils que nous utilisons pour ça qu’on appelle la microfluidique.

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Ces petits espaces font 2 microns, c’est assez proche de ce que je vous ai montré dans la rate. On fait circuler les globules rouges et vous voyez ici que certains rigidifiés sont bloqués et d’autres, la plupart, sont capables de franchir. Donc, avec ce type d’outil, on va exposer des parasites à un certain nombre de composés, les faire franchir ces filtres, et les composés qui vont induire la rétention seront sélectionnés comme éventuels futurs médicaments.
Alors, le souci de ces systèmes de microfluidique qui sont très jolis, qui permettent de bien voir les choses, c’est qu’ils ne sont pas adaptés à l’analyse de dizaines de milliers de composés dont on a besoin pour faire ce qu’on appelle des campagnes de criblage médicamenteux. Pour avoir la chance de trouver un composé qui soit efficace avec des cibles qu’on ne connaît pas encore, les industriels expérimentés vous disent qu’il faut au moins cribler 10 000 composés. Pour cribler 10 000 composés, il a donc fallu générer des outils qui soient plus spécifiques.

Alors, comment est-ce qu’on a abordé ça ?

Ça date déjà de quelques années. Nous savions, à l’époque, que la rate était un filtre mécanique. Nous connaissions bien la structure de ces petits interstices de 1 à 2 microns, mais aussi très courts, et nous cherchions des filtres qui nous permettent de faire ça. Or, commercialement, des filtres qui font deux microns d’épaisseur, il n’y en a pas beaucoup. C’est à ce moment-là qu’un thésard qui était dans le labo en discuta avec son mécène, François Lacoste, physicien qui travaillait sur une entreprise qui fabrique des microbilles. Ça n’avait rien à voir puisque c’est des microbilles qui sont utilisées pour de la soudure. Et globalement, ces microbilles, essentiellement d’étain, font exactement la bonne taille pour l’objectif que nous avions. Les billes font entre 5 et 15 microns, et si vous refaites un peu de trigonométrie, vous verrez qu’entre trois billes de 5 microns, en gros, l’interstice est de 1,8 micron, ce qui nous convenait parfaitement.
Donc l’avantage de ces mélanges, c’est que les billes métalliques sont lourdes, vous pouvez les déposer dans des petits systèmes expérimentaux comme une pointe de pipette, ça vient se poser sur un filtre anti aérosol, puis vous branchez ça sur un système et vous filtrez vos globules rouges au travers d’une couche de billes. C’est aussi bête que ça. Alors, il a fallu un petit peu de temps avant que ce soit complètement au point techniquement, mais une fois que ça a été au point techniquement, on avait juste les bons mélanges, les bonnes pressions pour que la rétention des globules rouges parasités soit la même que dans une rate humaine. On a alors comparé par rapport au modèle que je vous ai montré pour valider le système.

Alors, pourquoi est-ce que ça, ça peut nous permettre d’évoluer vers un criblage médicamenteux avec 10 000 composés ?

Globalement, il y avait encore pas mal d’étapes techniques à franchir. Elles ont été, pour l’essentiel, financées par la Fondation Gates et la seule idée réellement créative dans cette histoire technique, ça a été de passer de ce système dans des pointes qu’on avait au laboratoire qui permettent de faire un échantillon à la fois à un système de plaques. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il existe des plaques dont le fond des puits est ouvert, ce qui permet une aspiration par le bas. Vous posez vos billes de filtration au fond des puits et ensuite, vous pouvez arriver avec 96 échantillons, ou même 384 dans les modèles actuels. Et cette filtration va permettre, en comparant combien vous aviez de globules rouges parasités avant le filtre et combien vous avez de globules rouges parasités après la filtration dans une plaque réceptrice, de mesurer la quantité de parasites et vous avez un taux de rétention. Vous savez par exemple que le composé que vous aviez mis dans le puits A3 qui a induit la rétention de 90 % des globules rouges parasités est quelque chose qui, de toute évidence, va être un bon candidat.

Voilà en gros le principe général très simple de cette campagne de criblage qui repose finalement sur une compréhension aussi assez simple de comment fonctionne notre physiologie de tous les jours. Là, toute personne assise est en train de filtrer des millions de globules rouges par seconde. Félicitations ! Et ça se produit dans cet organe, ça ne se produit globalement que dans la rate. Je crois que c’est le message essentiel.

Pour être un tout petit peu plus précis, si on parle du paludisme en termes de traitement du paludisme maladie, globalement, on a d’assez bons outils aujourd’hui. On a des traitements efficaces, il y a un peu de résistance, mais ce n’est pas un problème majeur.

L’application que nous avons choisie pour cette rétention mécanique, c’est la transmission. Alors ça appelle un petit élément complémentaire. Dans le paludisme, il y a deux formes du parasite :

-    Il y a une forme qui se multiplie et qui nous rend malades, celle qui est visée par les médicaments actuels.

-    Il y a une autre forme qu’on connaît moins, le gamétocyte, la forme sexuée, qui est responsable de la transmission et qui ne nous rend pas malades. Pour celle-là, nous n’avons qu’un seul médicament, assez toxique, pour lutter contre. Dans l’ambiance actuelle, on a vraiment besoin aussi, d’outils de blocage de la transmission et donc c’est cette forme sexuée que nous visons par ce système de blocage mécanique dans la rate.

Voilà, j’espère qu’en partant de cette description de la maladie assez sommaire, mais précise, et de comment un parasite modifie une cellule et comment cette cellule est prise en charge, ça vous donne cette idée simple d’un criblage médicamenteux. Les premiers résultats sont arrivés, il y a quelques mois. Nous avons une liste de composés potentiellement efficaces, il va falloir encore quelques années pour que ça devienne des médicaments réellement utilisables en pratique.