Recherche : coup de boost sur certains essais cliniques
La recherche clinique française, qui avait perdu en compétitivité ces dernières années, revient sur le devant de la scène grâce à la mise en place par l’ANSM de circuits courts pour les demandes d’essais cliniques, notamment pour les médicaments de thérapies innovantes.
Par Carole Ivaldi
Facteurs de perte de compétitivité jusqu’en 2017
Pour qu’un essai clinique soit autorisé en France, le protocole doit recevoir deux feux verts : celui de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), et celui de la CPP (le comité de protection des personnes). Ces dernières années, les évaluations de l’ANSM et du CPP ont enregistré des retards importants, impactant négativement la place de la France dans la recherche clinique au niveau européen et au niveau mondial.
Les résultats de la dernière étude du Leem, « Attractivité de la France pour la recherche clinique » (1) dressent un état des lieux de la recherche menée en France entre 2016 et 2017 grâce à une analyse de clinicaltrials.gov et une enquête des entreprises du médicament. Parmi les nombreux enseignements de cette étude, la France occupe le 4e rang européen (12 %) en termes de participation aux essais industriels après l’Allemagne (17 %), le Royaume-Uni (16 %), et l’Espagne (14 %).
Le nombre d’essais cliniques initiés en France a diminué en moyenne de 13% par an entre 2015 et 2017 (versus 8% en l’Allemagne)
Le nombre d’essais cliniques initiés en France a diminué en moyenne de 13 % par an entre 2015 et 2017 (versus 8% en l’Allemagne), tandis que ce nombre restait stable pour le Royaume-Uni et l’Espagne sur la même période. Or, le délai entre la première demande d’autorisation d’un essai clinique et l’inclusion du premier patient est de sept mois en France. Ce délai médian est très long, et en grande partie responsable de la perte de compétitivité de la France.
D’après Alexandre Regniault, vice-président de France Biotech, association regroupant les principales entreprises innovantes de la santé et leurs partenaires experts, « en oncologie, où la France possède une expertise reconnue mondialement, on est passé 2e derrière l’Espagne en raison d’une multitude de facteurs dont la lenteur administrative lors de l'évaluation des demandes d’autorisation d'études cliniques (2). L’excellence de nos équipes de développement est réelle, mais si le nombre d’études cliniques diminue, ces équipes perdront en expertise et auront moins accès aux molécules innovantes de façon précoce. Or la recherche clinique est incontournable pour les équipes académiques car une perte de compétitivité au niveau des études cliniques se traduira par une diminution de leur nombre. La recherche clinique est aussi vitale pour les patients, qui peuvent avoir accès à des molécules innovantes, en particulier lorsque leur pathologie est grave et sans solution thérapeutique. Il faut convaincre tous ceux qui veulent réaliser des études cliniques que la France est le bon endroit pour le faire, et les attirer grâce aux délais courts d’évaluation de leurs dossiers. »
Réorganisation au sein de l’ANSM dès 2018
Au sein de l’ANSM, les retards provenaient surtout d’un manque de moyens au sein de l’agence. Depuis 2018, l’agence a pris les choses en main en recrutant une personne supplémentaire et en jouant sur des facteurs organisationnels. En octobre 2018, deux circuits courts d’instruction des demandes d’autorisation d’essais cliniques, appelés Fast Track 1 et Fast Track 2, ont été lancés pour les essais cliniques de traitements innovants et les nouveaux essais avec une molécule connue, afin de s’aligner avec l’entrée en vigueur du futur règlement européen des essais cliniques prévue a priori pour 2020. Ce nouveau fléchage des essais cliniques en fonction de leur nature a permis une rationalisation du traitement des dossiers et un réel gain d’efficience.
Depuis le 18 février dernier, l’ANSM élargit ses deux circuits courts d’instruction des demandes d’autorisation d’essais cliniques aux médicaments de thérapies innovantes (MTI), en réduisant le délai d’évaluation maximum à 110 jours, et aux essais à design complexes en le réduisant à 40 jours.
Un grand pas pour l’innovation médicale française et pour les patients
Pour Alexandre Regniault, « c’est une très bonne nouvelle pour les patients, les médecins investigateurs ainsi que pour les industriels promoteurs des études cliniques. Cette procédure « Fast Track » permettra à la France d’être à nouveau attractive en matière d’études cliniques, et notamment en ce qui concerne les domaines des thérapies géniques et cellulaires. Ces circuits courts vont être également le moyen pour les entreprises de la Healthtech de rendre l’innovation thérapeutique accessible plus rapidement aux patients pour qui ces essais constituent l’unique voie d’accès à un traitement non encore commercialisé. Enfin, dans le contexte des efforts budgétaires demandés aux hôpitaux, la rémunération qu’ils perçoivent pour réaliser les inclusions de patients dans ces études n’est pas négligeable.»
La sécurité des personnes assurée
La réduction des délais d’instruction des demandes d’études cliniques ne rime pas avec une sécurité fragilisée pour les patients qui y participent. « On ne souhaite surtout pas que l’évaluation scientifique et éthique des protocoles soit hâtée, ajoute Alexandre Regniault. Seuls les retards administratifs doivent être réduits ! À France Biotech, nous souhaitons que les délais d’instruction des demandes d’essais cliniques fixés par la loi soient respectés. La sécurité des personnes reste un objectif commun pour les autorités, pour les promoteurs et pour les investigateurs ! ».
(1) Dernière étude Leem, Décembre 2018, « Attractivité de la France pour la recherche clinique » sur https://www.leem.org/sites/default/files/2018-12/Complet2018_Attractivit%C3%A9-France-Recherche-Clinique.pdf
(2) En France, en 2017, l’oncologie concerne 45% des essais industriels versus 25% en Europe (source : clinicaltrials.gov)
- par Carole Ivaldi