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Cancer : l'hadronthérapie pour cibler plus juste


SOMMAIRE : DOSSIER HADRONTHÉRAPIE
temps de lecture : 16-20 min

L’hadronthérapie, une alternative à la radiothérapie conventionnelle pour traiter les tumeurs radiorésistantes, inopérables par chirurgie ou trop proches d’organes à risques
Radiothérapie conventionnelle versus hadronthérapie
Focus sur la protonthérapie, une thérapie contre le cancer en plein essor
Le troisième centre français de traitement en hadronthérapie a vu le jour en juillet dernier…
… Et un accord-cadre était signé pour garantir l’égalité d’accès aux soins à la protonthérapie en France
Hadronthérapie : le jeu en vaut-il la chandelle ?
Efficacité de l'hadronthérapie
Efficience de l'hadronthérapie
Technologies pour la santé contre sciences de la santé ?

L’hadronthérapie, une alternative à la radiothérapie conventionnelle pour traiter les tumeurs radiorésistantes, inopérables par chirurgie ou trop proches d’organes à risques

Par Cécile Menu

Cecilemenu

Radiothérapie conventionnelle versus hadronthérapie

La radiothérapie est l'utilisation médicale des rayonnements ionisants pour traiter les cancers. La radiothérapie conventionnelle utilise pour détruire les tumeurs les faisceaux de rayons X (photons de haute énergie) produits par des électrons accélérés. En utilisant des faisceaux croisés à partir de différents angles, les radio-oncologues irradient la cible tumorale en tentant d’épargner les tissus environnant. Inévitablement, certaines doses de rayonnement peuvent toucher les parties saines. Une radiorésistance liée soit aux propriétés de la tumeur, soit à la trop grande sensibilité des tissus sains au voisinage de celle-ci peut être observée.

L'hadronthérapie utilise quant à elle l’énergie de faisceaux composés de particules chargées - les hadrons* -, notamment des protons (on parle dans ce cas de protonthérapie) et des ions carbone (on parle dans ce cas de carbonethérapie). La puissance de l’hadronthérapie réside dans les propriétés physiques et radiobiologiques uniques de ces particules. Les protons et les ions lourds comme les ions carbone ont en effet la particularité d’avoir une trajectoire quasiment rectiligne au sein de la matière. Ils garantissent donc une meilleure visée des cibles choisies. Ils peuvent pénétrer dans les tissus avec une faible diffusion latérale et déposer un maximum d’énergie juste avant de s’arrêter (pic de Bragg). Cela permet une définition précise de la région spécifique à irradier et limite les dommages collatéraux observés avec les rayons X. En résumé, l’hadronthérapie favorise une concentration de la dose d’irradiation sur le volume cible (volume tumoral) afin d’obtenir un effet destructeur important sur les cellules cancéreuses tout en ayant un faible impact sur les cellules saines présentes sur le parcours des ions. Cet avantage permet, dans certaines situations cliniques, une réduction du risque de toxicité d’où une meilleure qualité de vie pendant et après le traitement. 

"L’hadronthérapie favorise une concentration de la dose d’irradiation sur le volume cible (volume tumoral) afin d’obtenir un effet destructeur important sur les cellules cancéreuses tout en ayant un faible impact sur les cellules saines présentes sur le parcours des ions."


Si l’on prend le cas de la protonthérapie, elle permet de détruire des tumeurs radiorésistantes (tumeurs de la base du crâne, tête et cou) et inopérables proches d’organes sensibles (tumeurs malignes intra oculaires et de l’axe rachidien) et peut éviter l’apparition de cancers radio-induits. C’est une radiothérapie particulièrement adaptée pour l’irradiation de certaines tumeurs de l’enfant et du jeune adulte. Les indications actuellement validées chez l’adulte correspondent aux tumeurs primitives de l'œil, et aux  chordomes et chondrosarcomes de la base du crâne et du rachis (1). Demain, cette technique alternative innovante à la radiothérapie conventionnelle pourrait s’étendre à d’autres indications.

Le hadron : petit rappel pour ceux dont les souvenirs de physique remontent à loin

Nous nous rappelons tous nos cours de physique où il était alors question d’atome – électriquement neutre – composé d’un noyau comprenant protons (charge positive) et neutrons (charge neutre), entouré d’un nuage d’électrons (charge négative). Le nuage électronique étant lié au noyau par une force électromagnétique. C’était simple, facile à comprendre. La science avançant, les questions du vide et du big bang taraudant toujours nos têtes chercheuses les ont amenées à peaufiner ce concept d’atome. En travaillant sur les accélérateurs de particules, elles ont découvert par exemple que la collision d’un proton avec un autre proton pouvait créer de nouvelles particules. Ainsi est née une terminologie plus fine. Considérons les hadrons, il en existe sommairement deux types, les baryons et les mésons. Les protons et les neutrons, que nous connaissons bien, appartiennent à la famille des baryons. Les hadrons sont composés de particules à savoir les quarks (découvert dans les années 70) échangeant entre elles des gluons qui sont les vecteurs de la force nucléaire. Plus récemment en 2012, l’existence d’une nouvelle particule a été confirmée dans le grand collisionneur de hadrons du CERN en Suisse (le LHC, pour Large Hadron Collider) : le fameux boson de Higgs mais ceci n’est pas notre propos.

Pour les curieux : http://www.cea.fr/comprendre/Pages/physique-chimie/essentiel-sur-particules-elementaires-matiere.aspx

Focus sur la protonthérapie, une thérapie contre le cancer en plein essor

L’idée d’utiliser les hadrons pour le traitement du cancer a été proposée en 1946 par le physicien Robert Wilson qui plus tard devenait le fondateur et directeur du Fermilab (Fermi National Accelerator Laboratory) près de Chicago. Les pionniers de la protonthérapie faisaient donc appel aux accélérateurs de particules* des laboratoires de physique : Uppsala en Suède en 1957, le Boston Harvard Cyclotron aux US en 1961 et l’Institut suisse de recherche nucléaire en 1984. C’est en 1989, au centre d’oncologie de Clatterbridge au Royaume-Uni, que la première installation dédiée à la protonthérapie clinique a été inaugurée. L’année suivante un synchrotron, conçu au Fermilab, opérait au centre médical de l’université de Loma Linda en Californie. L’une des premières installations en Europe fut le cyclotron MEDICYC, installée au Centre Antoine Lacassagne (CAL) à Nice en 1991 où le premier traitement par protonthérapie du mélanome oculaire a été réalisé. Le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) a joué un rôle clé dans le succès de la protonthérapie en réalisant les études préliminaires et des tests d’accélération radiofréquence (https://cerncourier.com/proton-therapy-enters-precision-phase/).
Le Proteus®One, équipement de dernière génération, premier au monde à être installé en 2016 à l’Institut Méditerranéen de Protonthérapie (IMPT - CAL), marquait une nouvelle avancée dans la protonthérapie.
Aujourd’hui, la protonthérapie est en plein essor. En août 2018, 70 centres opéraient dans le monde et on en escompte plus de 170 en 2021. Le nombre de patients traités dans le monde de 1954 à fin 2016 par protonthérapie était de plus de 149 000 contre 21 480 pour la carbonethérapie (source Particle therapy co-operative group).

* Il existe aujourd’hui trois types d’accélérateurs de particules, les accélérateurs linéaires (ou linacs) et les accélérateurs circulaires de particules ionisées lourdes : les cyclotrons et les synchrotrons.

 

Le Proteus®One

HADRON c IBA SMALLLe Proteus®One est constitué de 2 éléments novateurs : un synchrocyclotron supra conducteur (S2C2) de dernière génération, accélérateur de protons, et une tête rotative isocentrique compacte (Gantry) dont la mobilité permet d’orienter le faisceau d’irradiation selon différentes incidences autour du patient. Le premier prototype de tête rotative isocentrique a été installé en novembre 2013 aux USA. Différents angles d’attaque sont généralement possibles grâce à un portique rotatif. Cette technique de délivrance de dose est compétitive avec les formes les plus avancées d’irradiation par rayon X telle que la radiothérapie avec modulation d’intensité (IMRT), la radiothérapie hélicoïdale, la radiothérapie robotisée ou cyberknife et d’autres car elle utilise moins de points d’entrée et de fait réduit l’ensemble de la dose absorbée par le patient.
Outre les qualités balistiques intrinsèques des faisceaux issus d’un système de protonthérapie, ce nouveau prototype intègre une technique d’irradiation récente, le Pencil Beam Scanning « PBS » (balayage à faisceau-crayon). Le PBS crée une peinture en 3D du volume de la tumeur par le déplacement d’un faisceau de protons, couche par couche, pixel par pixel. Le PBS permet aux médecins de contrôler précisément l’intensité et la délivrance spatiale de la dose pour l’adapter à l’hétérogénéité de la tumeur, tout en préservant les tissus sains.
À visionnerhttp://www.protontherapie.fr/presentation-de-limpt/#impt). 

Le troisième centre français de traitement en hadronthérapie a vu le jour en juillet dernier…

Le 5 juillet 2018, le Centre européen de recherche et de traitement en hadronthérapie de Caen-Normandie était inauguré. La création à Caen d’un tel centre repose sur le soutien de la Région Normandie et le partenariat entre cinq entités : l’Association ARCHADE (Advanced Resource Centre for Hadrontherapy in Europe), SAPHYN (Santé et Physique Nucléaire), Société d’Economie Mixte, la société CYCLHAD (des CYCLotrons pour l’HADronthérapie), la société IBA (Ion Beam Applications SA) et la société Normandy Hadrontherapy.   
L’acquisition du « Proteus®One » (SynchroCyclotron SupraConducteur) par le centre CYCLHAD permettra au service de radiothérapie du centre de Lutte contre le cancer François Baclesse de traiter les malades par protonthérapie et accueillera des chercheurs venant de toute l’Europe. À terme, plus de 300 patients par an seront en mesure d’être traités.
D’ici 2023, le centre se dotera d’un second accélérateur de particules, unique au monde, le « Cyclone 400 ». Celui-ci proposera en plus des traitements par faisceaux de protons, des traitements par faisceaux d'ions d'hélium et de carbone.
Caen est ainsi la troisième ville en France à se doter d’un équipement de protonthérapie, après Orsay (Institut Curie) et Nice (Centre Antoine Lacassagne ou CAL).
En savoir plus : https://www.normandie.fr/

… Et un accord-cadre était signé pour garantir l’égalité d’accès aux soins à la protonthérapie en France

Les trois centres de lutte contre le cancer (CLCC) français Paris, Nice et Caen, membres d’Unicancer, la fédération des CLCC, ont signé le 9 juillet dernier un accord-cadre pour garantir l’égalité d’accès aux soins à la protonthérapie sur tout le territoire français.
Cet accord s’organise en trois volets.
-    Organiser les parcours patients, notamment en structurant des filières de prise en charge qui permettront d’optimiser le parcours de soins au bénéfice des patients. Cette organisation permettra également d’assurer la continuité des traitements en cas d’arrêt prolongé de l’un des centres, dans un cadre pré-défini.
-    Structurer un programme d’enseignement et de formation : actions de formations, échanges de bonnes pratiques, mutualisation de compétences… seront ainsi mieux organisés et plus efficaces.
-    Structurer une coopération nationale dans les domaines de la recherche et de l’innovation médicale, technique et technologique, l’objectif étant d’amener aussi vite que possible les nouvelles découvertes au lit du patient.
Source Unicancer

Des projets de nouvelles implantations de centres de protonthérapie seront-ils inscrits dans le plan cancer 2020-2025, une évaluation médico-économique de la protonthérapie sera-t-elle saisie par l’HAS ? Nul ne le sait.
Le coût d’investissement d’un dispositif de protonthérapie est largement supérieur à celui d’un dispositif de radiothérapie. Le coût de l’investissement initial est estimé par les experts entre 40 et 50 millions d’euros. Ce coût inclut le cyclotron, les salles de traitement, le bâtiment adapté, le coût de l’environnement, et le budget annuel de fonctionnement dont le personnel ainsi que la maintenance (1).

(1) Protonthérapie, indications  et capacité  de traitement /Juin 2016 - Institut National du Cancer


Hadronthérapie : le jeu en vaut-il la chandelle ?

Plusieurs incertitudes demeurent autour de l'utilisation de l'hadronthérapie. Elles peuvent être résumées à deux questions : la première sur l'efficacité de cette technique, la deuxième sur son efficience (rapport coût-bénéfice). À cela s'ajoute une question plus générale de stratégie de la recherche contre le cancer.

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

Efficacité de l'hadronthérapie

Sur le papier, cette technique est beaucoup plus efficace que la radiothérapie conventionnelle, au moins pour certains types de cancers. Sur le papier, c'est-à-dire : du seul point de vue du mécanisme du traitement, abstraction faite de l'observation clinique des effets réels sur des patients traités. Efficace : entendez par là que l'hadronthérapie n'aurait pas un effet curatif clairement supérieur, sauf au sens où elle induirait en principe beaucoup moins d'effets secondaires.
On trouve dans la littérature scientifique beaucoup de discussions scientifiques de cette affirmation, mais c'est tout de même le consensus qui émerge.
En revanche, il est plus difficile de trouver des études cliniques, principalement à cause du faible nombre de patients observés. Même s'il en existe, le résultat ne paraît pas encore parfaitement clair, et la plupart des études concluent sur la nécessité de... poursuivre les études.

Efficience de l'hadronthérapie

Les coûts de l'hadronthérapie sont, ce n'est pas un secret, extrêmement élevés. L'investissement initial est une cinquantaine de millions d'euros pour les infrastructures, tandis que le coût d'une séance est estimé à un forfait d'environ 1000 euros. Chaque centre pourrait prendre en charge quelques 300 patients par an.
Un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) consacré à ces thérapies a été financé, de même qu'un programme de recherche ANR (Agence nationale de la recherche) et un "Investissement d'avenir" autour de France Hadron. Le financement a été complété par des financements régionaux dans une poignée de centres français.

"Le coût d'une séance est estimé à un forfait d'environ 1000 euros. Chaque centre pourrait prendre en charge quelques 300 patients par an."


Ce projet de recherche devait également évaluer le gain associé à l'usage de l'hadronthérapie en termes de QALYS, c'est-à-dire, d'espérance de vie pondérée par la qualité de vie. Sur le site du projet, qui n'est pas mis à jour depuis 3 ans semble-t-il, il est impossible de trouver les résultats de cette étude, dont le financement doit s'arrêter en 2019.
L'efficacité, biologique, n'est déjà pas bien claire : il est donc difficile pour cette raison de se faire une idée de l'efficience, c'est-à-dire du rapport entre les moyens engagés dans ce traitement, et les effets observés.

Technologies pour la santé contre sciences de la santé ?

Ce flou sur l'évaluation de la technique, associé à des coûts élevés, incitent donc à la plus grande prudence lorsque la promotion commence à paraître dans la grande presse et dans la presse locale. Médecins pilotant ces études, politiques les ayant financées, tous doivent des comptes aux citoyens qui paient la facture.
A ces raisons de douter, qui ne sont pas elles-mêmes, par manque d'éléments, décisives, il faut ajouter les avancées théoriques sur la compréhension du cancer lui-même. Beaucoup de programmes de recherche fondamentaux qui s'orientent dans des directions différentes convergent sur un point : la remise en question d'une conception localisée du cancer. La plupart du temps, ce n'est pas la tumeur primitive, mais les métastases qui tuent le patient. Il n'est pas certain que les tumeurs ne naissent pas tant d'une série de mutations malchanceuses qui ont peu de chances de se répéter, que d'un environnement anormal qui conduiraient avec plus de chances certaines cellules à s'engager dans un programme tumoral. Le rôle du système immunitaire dans la surveillance des processus cancéreux est maintenant solidement établi.

"L'amélioration des techniques tend à privilégier l'intérêt des patients présents, tandis que l'amélioration des sciences tend à privilégier l'intérêt des patients à venir"

Dans ce contexte, les chercheurs ne sont pas enclins à espérer beaucoup de techniques comme l'hadronthérapie, en dehors d'une amélioration marginale.
À cette position, on peut cependant opposer deux arguments. Le premier est que le progrès le plus important dans la prise en charge du cancer depuis le début du XXe siècle, c'est l'amélioration des conditions générales de la chirurgie au sens large (asepsie, imagerie, etc.) Elle n'a donc pas grand-chose à voir avec ce que la recherche nous a appris du processus cancéreux. Le deuxième argument, c'est que l'amélioration des techniques tend à privilégier l'intérêt des patients présents, tandis que l'amélioration des sciences tend à privilégier l'intérêt des patients à venir. Il est certain que, si l'on donnait les reines aux chercheurs en science fondamentale, ils privilégieraient largement la deuxième, tandis que les politiques tendent à préférer la première.
La vérité est qu'il est impossible de trancher, et irrationnel de mettre tous ses œufs dans le même panier.

 

par Cécile Menu et Maël Lemoine