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La biologie de synthèse : science émergente

Depuis la découverte en 1953, de la structure en double hélice de l’ADN par James Watson et Francis Crick jusqu’au séquençage complet du génome humain en 2003 par le consortium international Human Genome Project  puis la synthèse complète d’un génome bactérien (Mycoplasma genitalim) à partir des quatre bases de l’ADN : adénine, thymine, guanine et cytosine en 2008, par l’équipe de Daniel Gibson (J. Craig Venter Institute), d’incroyables progrès ont été réalisés en biotechnologies.

par Cécile Menu.

Cecilemenu

En 2014, une équipe de chercheurs dirigée par Jef Boeke (New York University) est parvenue à synthétiser artificiellement le chromosome III de la levure de boulanger, Saccharomyces cerevisiae. En février 2019, Steven Benner et son équipe créaient un ADN doté de 8 nouveaux nucléotides (Hashimoji DNA), capables d’être transcrits comme ceux d’un ADN naturel (1).

Ces prouesses n’ont été possibles que par cette science émergente qu’est la biologie de synthèse, née de l’augmentation de la puissance de calcul disponible et des possibilités de modélisation mathématique, de l’application des méthodologies issues de de l’ingénierie, de l’amélioration des outils biologiques et analytiques et des progrès réalisés en simulation informatique. Comme l'a rappelé  Jean Marc Grognet, directeur général de Genopole, à la  conférence interprofessionnelle « De la Biologie de synthèse aux Biotechnologies industrielles …» organisée par Sup’Biotech le mardi 26 mars 2019 « historiquement, le premier questionnement ayant amené la recherche fondamentale à s’intéresser à la biologie de synthèse porte sur cette machinerie qu’est l’ADN et sa structure chimique. L’autre questionnement concerne le code génétique en lui-même. Ce code comprenant 64 codons est-il le plus efficace ? Vient ensuite un troisième questionnement : peut-on travailler avec autre chose que les quatre bases A, C, T et G de l’ADN (l’adénine, la cytosine, la thymine et la guanine) ? »

Créer des systèmes biologiques pour mieux connaître le vivant...

La biologie de synthèse regroupe actuellement 3 démarches scientifiques différentes :

– la construction de composés élémentaires d’ADN destinés à être assemblés,
– la synthèse de génomes complets ;
– la reproduction de cellules rudimentaires…

Même s’il existe des succès industriels comme la bioproduction de l’acide artémisinique utilisée dans les stades avancés de paludisme, le passage à l’échelle industrielle de cette approche scientifique amorcée il y a plus de 20 ans reste balbutiant.

« Par cette approche méthodique, la biologie de synthèse crée des systèmes biologiques qui reproduisent le comportement des systèmes naturels ou sont dotés de fonctions nouvelles, absentes dans la nature voire encore inconnues » (cf. Genopole) (2).
La biologie de synthèse fait appel à des approches inédites du vivant : les approches binaires et les présentations analytiques. Pour exemple dans le 1er cas, « la démarche top down vise à transformer les organismes, en enlevant, en remplaçant ou en ajoutant des parties spécifiques… L'approche bottom up permet aux biologistes de synthèse de construire des systèmes biologiques à partir de composants non issus du vivant » (3). « Selon les différentes approches, il a été possible de remanier rationnellement le génome d’un micro-organisme en y introduisant des systèmes de régulation et des activités enzymatiques non décrites dans les systèmes vivants, de manière à créer des voies métaboliques originales » (4). Ces nouveaux systèmes permettront de progresser dans la connaissance du vivant et devraient déboucher sur des applications majeures dans des domaines aussi variés que la santé, l’énergie, les matériaux, l’agro-alimentaire, la cosmétique, le textile et l’environnement.

Même s’il existe des succès industriels comme le développement d’une levure synthétisant une hormone humaine (l’hydrocortisone) ou la bioproduction de l’acide artémisinique utilisée dans les stades avancés de paludisme, le passage à l’échelle industrielle de cette approche scientifique amorcée il y a plus de 20 ans reste balbutiant.

... et développer des applications en santé

La biologie de synthèse a déjà permis un certain nombre de progrès dans le domaine global de la santé. Quelques exemples l'illustrent comme la synthèse totale du génome du virus de la Polio, capable de se répliquer dans d’autres cellules au début du 21e siècle, ou la création révolutionnaire à partir des années 80 de l’insuline humaine, des hormones de croissance et des anticorps monoclonaux.

Un marché prometteur
Il est estimé que le marché de la biologie de synthèse atteindra 1000 milliards de dollars en 2025. La France se situe en 5e position à l’échelle mondiale (à noter que le Genopole y représente un des groupements les plus importants de laboratoires et d’entreprises spécialisés dans ce domaine).


La biologie de synthèse a ouvert la voie au développement de nouveaux biomédicaments tels les vaccins de seconde génération, les anticorps recombinants (rajout ou retrait d’ADN, reconstitution de voies métaboliques… par la manipulation de cellules-usines) (5) et de traitements anticancéreux pour une médecine personnalisée...

À partir des travaux sur les cellules souches, la biologie de synthèse pourrait par ailleurs générer des cellules humaines aux propriétés contrôlées, capables de coloniser des organes défaillants. C’est ainsi qu’une haplobanque de cellules souches iPS (cellules pluripotentes induites) abritera à Genopole en 2019 des lignées cellulaires pour produire des cellules thérapeutiques de peau, de rétine, de neurone…

La biologie synthétique fait appel à de nouvelles techniques telles que le Cripsr-Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats), le « ciseau à couper l’ADN », la microfluidique utilisée dans les méthodes diagnostiques ou de screening applicable dans le domaine de la santé et les nanotechnologies. L’utilisation de la biologie de synthèse permettra à terme de contribuer à diminuer les coûts et améliorer les délais de production. Cette nouvelle science prometteuse soulève toutefois d’importantes questions éthiques.

Références bibliographiques

(1)    https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30792304 - Hachimoji DNA and RNA: A genetic system with eight building blocks)
(2)    https://www.genopole.fr/0127-biologie-de-synthese.html
(3)    http://www.senat.fr/rap/r11-3781/r11-3781_mono.html#toc21
(4)    http://www.annales.org/ri/2017/ri-fevrier-2017/RI-fevrier-2017-Article-MONSAN.pdf
(5)    https://vimeopro.com/maisondelachimie/chimie-et-biologie-de-synthese/video/260751045

À regarder, à écouter, à lire 

→ https://www.canal-u.tv/video/canal_uved/ingenierie_ecologique_et_biologie_de_synthese.40045 (Bernadette Bensaude-Vincent)
→ https://www.canal-u.tv/video/college_de_france/de_la_chimie_de_synthese_a_la_biologie_de_synthese_7.4853
→ https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-02-juin-2014 - La biologie synthétique
→ https://ups-tlse.centredoc.eu/doc_num.php?explnum_id=3080 Biologie de synthèse : quelles perspectives industrielles ?
→ https://lejournal.cnrs.fr/billets/labc-de-la-biologie-de-synthese
→ http://parisinnovationreview.com/article/biologie-de-synthese-quelles-perspectives-industrielles

par Cécile Menu