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Vitamine D et Covid-19 : rejouer le mauvais scénario de l’hydroxychloroquine ?

Unarticle de consensus est paru dans" La revue du praticien" le 8 janvier dernier, appelant à la prescription de vitamine D en prévention contre l’infection par le SARS-CoV-2.Elle fait suite à un avis du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) paru le 17 décembre 2020, qui concluait sur la préconisation exactement opposéeContrairement aux apparences, le consensus n’est pas que la vitamine D peut être efficace, mais qu’il n’y a pas de preuves concluantes qu’elle le soit. Alors faut-il prescrire de la vitamine D, ou bien est-on en train de ré-éditer le mauvais scénario de l’hydroxychloroquine ?

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

A de nombreux égards, les différences entre la recommandation de prescription de vitamine D et celle d'hydroxychloroquine en prévention ou traitement contre l'infection par le SARS-CoV-2 sont importantes et évidentes. L’article n’est pas publié dans une revue de complaisance contrôlée par ses auteurs. Ce n’est pas le fait d’un franc-tireur et de ses affidés. Il ne prétend pas avoir découvert la pierre philosophale, mais demeure prudent et mesuré dans ses conclusionsIl reconnaît qu’il n’existe « pas encore de preuves indiscutables » du rôle préventif, mais aussi thérapeutique de la vitamine D. Il s’appuie sur une revue de littérature solide et nuancée, et annonce des études en cours. Enfin, bien contrôlée, la supplémentation en vitamine D ne présente pas d’effets secondaires, et est au contraire largement recommandée. 

Recommander sans prouver

Il est vrai que l’article est signé de plusieurs sociétés savantes :  l’Association française de lutte antirhumatismale (AFLAR), la Société française d’endocrinologie (SFE), la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), la Société française de pédiatrie (SFP), la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique (SFEDP), et la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation (SFNDT). C’est donc un article de consensus.Mais un des objectifs majeurs des fondateurs de l’Evidence-BasedMedicine était précisément de démolir le processus du « consensus », fondé sur l’autorité plutôt que sur les preuves.Historiquement, la pratique médicale a plutôt tendu à mélanger les deux.Mais voi un exemple éclatant de la différence majeure entre ces deux justifications d’une recommandation : une recommandation d’autorité qui reconnaît qu’il n’y a pas de preuve. Qu’elle soit consensuelle ne change rien à l’affaire. La philosophe Miriam Solomon a montré dans son travail, exemples à l’appui, comment les logiques de consensus peuvent être aisément manipulées par quelques personnalités influentes. 

S’agit-il d’une forme de « principe de précaution » ? Si la prescription contrôlée de vitamine D n’est pas nocive ; si elle est même recommandée pour de nombreuses autres raisons ; si son rôle sur le système immunitaire est théoriquement favorable parce qu’elle stimule les défenses des muqueuses, régule la réaction inflammatoire, le système rénine-angiotensine et l’expression du récepteur ACE2 ; si plusieurs études observationnelles suggèrent qu’en population générale, la vitamine D peut avoir un effet préventif ou thérapeutique sur les infections des voies aériennes ; alors, ne faut-il pas la recommander par précaution, même si les études déjà réalisées ne sont pas concluantes, et si d’autres études sont en cours ? 

Il n’existe pas encore d’étude randomisée contrôlée montrant l’intérêt préventif ou thérapeutique de la vitamine D. [...] Recommander avant d’avoir ces résultats est incompréhensible et incohérent. Non seulement cela jette le doute sur l’impartialité de l’étude en cours, mais cela relativise, dans l’esprit du grand public, la nécessité de recourir à des preuves pour recommander.

Le NICEconcluait justement à l’opposé : il convient, selon le prestigieux institut britannique dont les avis sont très écoutés dans le monde à cause de l’extrême rigueur de ses procédures d’évaluation, de ne pas prescrire de vitamine D spécifiquement pour la prévention ou le traitement de la Covid-19. 

Les prémisses scientifiques des deux recommandations opposées sont pourtant les mêmes. A une exception près peut-être. Le NICE reconnaît qu’on retrouve fréquemment des carences en vitamine D chez les patientsà risque de formes graves de Covid-19 – mais il existe autant d’arguments pour dire qu’il s’agit de la cause que de l’effet de la carence.L’article de consensus considère que la carence en vitamine D « semble précéder la survenue incidente de la Covid-19, et non l’inverse ». Même si ce dernier point était établi, il resterait à montrer que le risque de formes graves de Covid-19 est bien causé par la carence qui la précède, et non par une cause commune aux deux effets. 

Règles transgressées

Comment expliquer la différence de recommandation ? Aux yeux d’un philosophe des sciences, l’explication se trouve dans une erreur de délibération de la part des sociétés savantes françaises.L’erreur est au fond la même que pour l’hydroxychloroquine, l’arrogance en moins : convaincus d’un effet thérapeutique non encore démontré, et convaincus de l’innocuité de l’intervention, des acteurs du système de santé transgressent les règles de base de la recommandation fondée sur les preuves.Je vois quatre raisons majeuresde s’y opposer.

  • D’abord, on ne peut pas appliquer de manière générale un tel principe de précaution, sans risquer de multiplier les recommandations au-delà de toute lisibilité, pour des facteurs jouant un rôle de moins en moins important dans la survenue de formes graves de Covid-19.
  • Ensuite, il faut compter avec les effets sur le public d’un éventuel rétropédalage si la vitamine D s’avérait inefficace.
  • De plus, on ne tranche pas dans une revue d’audience plus limitée une question qui reste ouverte dans les grandes revues de référence (voir par exemple la discussion dans le "Lancet").
  • Enfin, il est probable que la recommandation, justifiée ou non, donnera lieu à des comportements inadaptés : individus qui croiront pouvoir se dispenser de vaccination ou de masques en prenant de la vitamine D, surdosage en vitamine D, etc. Prescrire en l’absence de preuves, c’est courir ce risque prématurément, et donc peut-être, inutilement. 

Il n’existe pas encore d’étude randomisée contrôlée montrant l’intérêt préventif ou thérapeutique de la vitamine D. Le principal auteur de l’étude de consensus, le Pr Cédric Annweiler, gériatre à Angers, pilote justement une telle étude dont les résultats devraient être connus dans quelques mois. Recommander avant d’avoir ces résultats est incompréhensible et incohérent. Non seulement cela jette le doute sur l’impartialité de l’étude en cours, mais cela relativise, dans l’esprit du grand public, la nécessité de recourir à des preuves pour recommander. 

Ne faut-il pas le faire pour sauver des vies ? C’est aussi ce que disaient aussi les défenseurs de l’hydroxychloroquine. Leur destin a été le naufrage de leur réputation scientifique dans les réseaux sociaux alternatifs qui soutenaient Trump ou Bolsonaro. Les auteurs de cette tribune de "La revue du praticien" ne méritent pas le même destin. Mais en croyant sauver des vies, ils prennent la responsabilité d’en menacer d’autres, évidemment, à leur corps défendant, et par des processus plus pernicieux et plus indirects dont ils ne seront pas les responsables, mais les complices involontaires. Tous les médecins savent que la vie humaine ne se joue pas à pile ou face. Tous ne savent pas que par des recommandations prématurées, c’est exactement ce qu’ils font. 

COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, enseignant en philosophie des sciences médicales à la faculté de médecine de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en  délivrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

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