L'école des soignantes, un amour de médecine 

Par Pascal Pistacio 

PascalPistacio

Les patients et les soignants à l’écoute les uns des autres.

La sensibilité féminine devenue une « obligation » dans le système de santé.

L’École des soignantes
dernier roman de
Martin Winckler
nous invite à nous projeter dans un futur proche : 
2039

Martin Winckler provoque parfois pour faire bouger les lignes.
Son amour de la médecine irrigue chaque page de ce passionnant ouvrage.

lecole des soignantes

Dans L’École des soignantes, Martin Winckler imagine un système de soins utopique

Trente ans après son premier roman La Vacation, Martin Winckler propose un voyage dans le service de psychiatrie d’un hôpital utopique doté d’une école professionnelle de santé où bienveillance, égalité et sororité ne sont pas de vains mots. Dans L’École des soignantes, le médecin généraliste et écrivain Martin Winckler décrit un hôpital utopique en 2039 mis en place par une communauté urbaine en France. Les femmes y sont majoritaires et les patients acteurs de leurs soins. 

L’hôpital de Tourmens : hôpital pilote 

L’École des soignantes raconte comment l’hôpital de Tourmens est devenu un hôpital pilote appelé, non sans humour, le CHTT, Centre hospitalier holistique de Tourmens, la médecine holistique étant une pratique visant à traiter la personne de façon globale – le corps et l’esprit – et non pas seulement la partie affectée par les symptômes), principalement consacré à la santé des femmes.

Un hôpital féministe 

« Être une femme, c’est une guerre de tranchées de tous les instants, une guerre ininterrompue ! Une guerre avec son propre corps, avec les corps qu’elle touche et ceux qu’elle ne veut pas laisser la toucher, avec le corps dévorant et épuisant des enfants, avec le corps envieux des autres femmes, avec le corps invalide des parents et, par-dessus le marché, avec le corps social. » (p.171)


Un hôpital féministe dans lequel on valorise la physiologie, c’est-à-dire la vie naturelle du corps et non la maladie ; où l’on soigne la maladie comme un accident et non comme ce qui est principal dans la vie des gens. Un hôpital dans lequel les femmes avortent librement, dans lequel une personne qui a décidé de mettre fin à ses jours peut le faire en toute quiétude sans pression d’aucune sorte. Un hôpital dans lequel tout le monde a la parole. Pas de hiérarchie : tous les soignants sont au même niveau, que ce soit les panseuses (les infirmières) ou les officiantes (les médecins). Un hôpital utopique donc qui permet à l’auteur d’étudier le système de santé et proposer de nouveaux moyens pour soigner les malades.

Djinn Atwood, héroïne récurrente dans l’œuvre de Winckler, est la directrice bienveillante des lieux 

Depuis , on savait l’écrivain médecin Martin Winckler à l’écoute des patientes. Dix ans après, l’amateur de séries et feuilletons qu’il est renoue ici avec quelques héroïnes de cette étonnante saga médicale. On retrouve Jean (que toutes prononcent Djinn) Atwood, dans L’École des soignantes, titre qui tire son nom d’une unité de soins féministe et indépendante, dont elle a la responsabilité dans un futur pas si lointain. Nous voilà donc en 2039, au cœur de cette exemplaire école des soignantes que dirige désormais Atwood, dans le centre très oublié d’une France qui a connu les pires accidents climatiques.

« À cause du réchauffement atmosphérique et de la surconsommation effrénée, la plus grande partie de la planète était en proie aux famines, aux canicules, aux inondations, aux tornades, aux glissements de terrain, aux incendies gigantesques et à leur nuée de fumée, à la fonte des glaciers et à la montée des eaux, […] aux villes tentaculaires. Dans les pays qui étaient encore à peu près épargnés par les catastrophes naturelles, les personnes malades étaient avant tout occupées à se soigner » (p.232)

Les soignés et leur environnement

Les méthodes prônées dans ce sanctuaire du soin révolutionnent en effet la médecine hospitalière. Ici la maladie est considérée comme le résultat d’interactions entre les humains et leur environnement ; et soigner est simplement mettre les malades dans une situation différente de l’ordinaire. « Malades » ? Plutôt « soignés » : Martin Winckler se veut positif. Et leur rôle dans la guérison est aussi important que celui des soignants. Ou plutôt des « soignantes », car l’engagement essentiel des femmes en la matière est là-bas enfin reconnu et valorisé dans toutes ses dimensions.

Hannah, l’homme aux deux mères

On fait la connaissance du mystérieux Hannah, un homme venu apprendre à soigner par l’écoute et la bienveillance envers les patientes en premier lieu. Doté d'un genre de sixième sens, qui lui permet de savoir en touchant les gens, s'ils sont malades ou non.  

« je sens de quoi souffre la personne dont je touche le corps, je sais quel mal la ronge et je peux pressentir son avenir immédiat. Je sais faire la différence entre la maladie qui n’est qu’un accident sans lendemain et celle qui mine inexorablement. » (p.110)

À mesure que le récit avance, on nous raconte son histoire à l'aide de flash-back émouvants, on apprend qu’elle a été son éducation (Hannah a été élevé par deux mères) et qu’elles sont les raisons qui l'ont poussé du codage informatique aux soins. 

Pour ne pas risquer de brouiller un cheminement tout féministe, le narrateur, Hannah, est un homme asexuel à qui l’on a donné un prénom féminin… Il s’offre avec dévotion à cette École des soignantes, dont il intègre le pôle Psycho où il assiste Djinn. Certains dons exceptionnels s’y révéleront. Comme faire parler des aïeules sur plusieurs générations… Les histoires intimes, fracassantes, tragiques, magiques se passent ici mystérieusement de fille à fille dans certaines lignées.

Nous avons besoin d’histoires pour vivre

« Pour soigner, il faut partager. Et écrire, c’est partager. L’un ne va pas sans l’autre. Quand tu mets ton expérience au service d’une soignée, c’est bon pour elle. Quand tu la transmets aux autres soignantes, c’est bon pour toutes les soignées dont elles s’occupent. » (p.429)

Dans un complet basculement des codes (ici, le féminin l’emporte grammaticalement sur le masculin), Martin Winckler nous donne une nouvelle fois à lire un roman qui déconcerte puis emporte, avec des personnages rapidement inoubliables et une réflexion salvatrice sur nous-même et nos pratiques. Un des attraits de cet ensorcelant ouvrage au climat déroutant, nourri tout à la fois de modernité comme d’éternel archaïsme, est de constamment évoquer combien nous avons besoin d’histoires pour vivre. Vraies ou fausses. Nous en sommes construits, nourris. Elles nous forgent. Nous hantent. Nous apprennent à rêver comme à résister. Hommage aux femmes ou à la littérature alors, que cette École des soignantes

En conclusion

Le romancier et essayiste tisse depuis trente ans une œuvre nourrie de son expérience de médecin, où il réfléchit aux conditions d'une société meilleure, plus fraternelle et plus douce. Avec Les Brutes en blanc, il jetait un pavé dans la mare des maltraitances médicales. Mais c'est aussi et surtout à travers une œuvre romanesque dont les ramifications s'étendent au long cours qu'il questionne notre relation au soin. Y compris du côté du médecin et de ses affres, comme il le prouvait avec délicatesse dans La Maladie de Sachs (1989), adaptée brillamment au cinéma par le réalisateur Michel Deville et l’inoubliable interprétation d’Albert Dupontel. Avec L'École des soignantes (suite du Chœur des femmes paru en 2009), il livre sa vision d'un hôpital idéal. Dans ce roman-fleuve, Martin Winckler brasse les genres avec dextérité. Et une humanité profonde.


L’École des soignantes
Martin Winckler
(Éditions P.O.L 21,50 / 508 pages)

 

par Pascal Pistacio