(c) Phanie

Paroles de soignants en instituts médico-éducatifs [INTERVIEW]

En période d’épidémie, on parle beaucoup des hôpitaux et des Ehpad mais moins des structures d’hébergement pour adultes handicapés. Pourtant, leurs personnels doivent gérer des situations complexes en termes de logistique et d’accompagnement humain. Rencontre avec Sophie T.* une aide médico-psychologique (AMP) dans un institut médico éducatif de l’Oise (IME) et Margaux S.*, infimière dans un IME géré par l’Association pour adultes et jeunes handicapés 87 (APAJH), en Haute-Vienne, qui accueille des adultes et de jeunes handicapés.

* pour préserver les souhaits d'anonymat,les prénoms sont des prénoms de remplacement.

Par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

Sophie, quelles sont vos fonctions ?

S-T : Je travaille dans une association qui œuvre auprès de personnes en difficulté sociale, en situation de handicap évolutive ou autistes. Je suis aide médico-psychologique dans un institut médico-éducatif  (IME) et une maison d’accueil spécialisée (MAS) pour adultes et jeunes handicapés. Je les accompagne dans les actes de leur vie quotidienne.

Margaux, quel est votre rôle à l’APAJH 87 ?

M-S : Je suis l’infirmière d’un IME de Haute-Vienne qui comprend près de 80 jeunes entre 12 et 20 ans. Déficients intellectuels légers ou moyens, ils sont orientés par la Maison départementale des personnnes handicapées (MDPH). Ils peuvent être internes, ou vivre dans leurs familles ou en famille d’accueil. Mon rôle consiste à surveiller les pathologies somatiques et les blessures en atelier. J’assure un suivi dans des familles parfois en difficulté sociale ou éducative. Je prends le relais en incluant toujours la famille au maximum et j’accompagne certaines d’entre elles chez les spécialistes pour les aider à comprendre diagnostics et traitements.

Quelles mesures sanitaires ont été mises en place depuis le Covid-19 ?

S-T : Dans l’Oise, nous attendions les consignes de l’agence régionale de santé (ARS). Au début du mois de mars, nous n’avions ni suspicion, ni protections particulières. À partir du 9 mars, nous avons réduit puis interdit les visites des parents. Au cours de la deuxième semaine un protocole a été mis en place car nous avons craint un cas de covid-19 chez un collègue. Dès le 19 mars, le parcours de désinfection était en place : lavage des mains dans un sas, contrôle de la température et port du masque avant d’aller travailler dans les unités. Pour l’instant, nous sommes épargnés, il n’y a pas de cas internes.

En famille ou à l’IME, beaucoup ne comprennent ni le confinement, ni les gestes barrières. Certains parents n’en peuvent plus. Un résident de l’IME nous en veut de ne plus avoir un petit bisou tous les matins. Samedi un autre a voulu mordre ses voisins.
Sophie T. (IME Oise)

Comment gérez-vous la crise actuelle en Haute-Vienne ?

M-S : L’ARS du Limousin a décidé notre fermeture. Nous sommes restés ouverts le lundi du confinement mais il n’y avait plus que sept jeunes à l’IME au lieu de 80. Certains étaient fiévreux. Nous inventons de nouvelles manières de travailler et de maintenir le lien. Les éducateurs appellent les jeunes trois fois par semaine ; les éducateurs transmettent les cours et deviennent coursiers quand il n’y a pas d’informatique dans les familles. Pour ma part, je travaille à domicile et prépare des kits pour les éducateurs : thermomètres, gants, masques et gel hydroalcoolique. L’infirmière que j’ai remplacé avait eu la prudence de faire un stock. Nous avons joué la solidarité et, même si ça devient un peu compliqué pour les gants, ça tient pour le moment.

S-T : Ici aussi, deux à trois fois par semaine, nous appelons les familles des enfants absents et des externes pour prendre des nouvelles et suivre leur comportement. En famille ou à l’IME, beaucoup ne comprennent ni le confinement, ni les gestes barrières. Certains parents n’en peuvent plus. Un résident de l’IME nous en veut de ne plus avoir un petit bisou tous les matins. Samedi un autre a voulu mordre ses voisins.

Comment se passe le confinement ?

M-S : Les 15 premiers jours ont été très compliqués en Limousin car certains jeunes ne comprenaient pas pourquoi ils devaient rester confinés. Les éducateurs ont organisé des sorties et nous avons préparé des attestations dérogatoires de déplacement « faciles à lire » avec des pictogrammes. Nous sommes très vigilants aux problèmes de violence dans les familles. Autant les violences des familles sur les jeunes, que celle des jeunes sur leur famille. Les éducateurs essayent de gérer cette violence en amont en proposant des visites mais le moral est bon et on s’adapte. Jeunes et éducateurs découvrent la visioconférence ! 

Les éducateurs essayent de gérer cette violence (ndlr : intrafamiliale) en amont en proposant des visites mais le moral est bon et on s’adapte. Jeunes et éducateurs découvrent la visioconférence !
Margaux S. IME -APAJH 87

S-T : Beaucoup de jeunes sont restés dans leurs familles. Aucun résident externe n’est confiné à l’IME et nous n’avons plus que 8 internes sur les 28 résidents habituels. Une vingtaine de résidents est confinée à la MAS. Ils peuvent téléphoner à leurs familles tous les jours et ont accès à WhatsApp sur des tablettes dédiées.

Concernant le personnel, les cadres répertorient les salariés disponibles et nous sommes devenus polyvalents. Par exemple, les ergothérapeutes font de l’éducatif. En fonction des besoins, notre activité bascule de l’IME vers la MAS et nous mutualisons les fonctions de ménage, de lingerie. Les femmes de ménage n’en reviennent pas ! Nous allons garder ce système jusqu’à la fin du confinement. Pour l’instant l’ambiance et la mobilisation sont bonnes.

par Laurent Joyeux