Management en santé : « Les leaders doivent stimuler le collaboratif »
Dans son livre « Réinventons le secteur de la santé », Lydwine Vaillant s’interroge sur l’innovation managériale collaborative. Longtemps aux abonnés absents en France, ce type de management commence à s’imposer dans les territoires. Comment pérenniser une telle approche de l’offre de soins ? Le point avec l’auteure.
Propos recueillis par Laure Martin.
Pourquoi ce livre ?
J’ai travaillé pendant une trentaine d’années dans l’industrie pharmaceutique, que j’ai finie par quitter. Au cours de ces années, j’ai vu le métier de manager perdre de sa substance, de son intérêt. Les premières années, lorsque je manageais les équipes, je pouvais passer trois à quatre jours sur le terrain. Progressivement, j’ai été de plus en plus accaparée par des reporting, des indicateurs, des suivis de tableau de bord, ce qui ne me convenait pas.
J’ai donc repris des études à Sciences Po pour suivre une Master en Gestion et politique de santé et je me suis questionnée sur des alternatives à ce type de management, convaincue qu’il était possible de l’envisager autrement. C’est le livre de Frédéric Laloux, Reinventing Organizations qui a constitué un déclic et m’a donné envie de rencontrer ceux qui redonnent autonomie et responsabilités aux acteurs de terrain, dans le secteur de la santé, en France. J’ai débuté par les acteurs des services et soins à domicile (déclinaison de l’organisation Buurtzorg, fondée par Jos de Blok aux Pays-Bas) avant d’élargir aux établissements de santé.
Qu’avez-vous découvert sur le terrain ?
J’ai rencontré beaucoup d’acteurs, j’ai découvert de nombreuses pépites, de gens parfois isolés dans leur organisation et dans leur fonctionnement mais qui partagent une valeur commune : redonner de l’autonomie et de la responsabilité aux acteurs de terrain. J’ai aussi été frappée par cette population de professionnels de santé, qui ont choisi un métier par vocation, mais qui souffrent dans leur exercice.
On sait qu’un professionnel de santé sur quatre a déjà eu des idées suicidaires au cours de sa carrière en raison de son travail, un sur deux est touché par le burn-out ou l'a déjà été, plus d'un sur dix (14%) a développé des conduites addictives et un sur deux considère que sa détresse psychologique peut avoir un impact sur la qualité des soins prodigués aux patients. C’est donc bien qu’il y a un problème organisationnel. Pendant la crise sanitaire, l’ensemble des corps de métiers se sont unis et tournés vers les soins aux patients. Il y a eu une belle énergie de collaboration, de solidarité entre professionnels soignants avec une autonomie et une responsabilité retrouvées mais qui s’est vite éteinte une fois que la phase aigue de la crise est passée.
Les soignants aujourd’hui ne veulent pas revenir au monde d’avant mais cette question de la souffrance revient sur le devant de la scène. Il faut la traiter. Certes, il y a le problème de moyens humains mis à disposition des professionnels de santé pour soigner les patients de manière qualitative. Mais ce n’est pas qu’un problème financier. On aura beau mettre des personnels de santé en nombre, il y aura toujours un problème d’organisation.
J’ai rencontré beaucoup d’acteurs, j’ai découvert de nombreuses pépites, de gens parfois isolés dans leur organisation et dans leur fonctionnement mais qui partagent une valeur commune : redonner de l’autonomie et de la responsabilité aux acteurs de terrain.
Comment changer la donne ?
Les leaders doivent se transformer en profondeur. C’est un travail personnel et collectif d’accepter de prendre le temps de s’interroger sur ce qui nous rassemble. Le système doit évoluer vers plus de confiance, de délégation, de co-construction, vers un management plus participatif, moins top-down, moins tourné sur la rentabilité et le taux d’occupation des lits. Il faut partir des besoins du patient.
Dans les innovations organisationnelles, je suis impressionnée par ceux qui mettent en place le modèle des équipes autonomes de Buurtzorg, qui fait primer la qualité des soins aux patients. La prise en charge est holistique et ce qui compte, c’est de tout faire pour permettre aux patients de regagner en autonomie. La tarification au temps passé est expérimentée dans le cadre de l’article 51 (projet Equilibres). Cette innovation organisationnelle autour d’une prise en charge de qualité et d’un travail en équipe est très porteuse.
A l’hôpital, la démarche participative de l’Association francophone des soins oncologiques de support (AFSOS) et du Pr Philippe Colombat en service de soins palliatifs du CHU de Tours est également très bénéfique pour les soignants. Il organise des staffs avec l’ensemble des professionnels de santé qui prennent en charge les patients, avec des tours de table qui débutent toujours par les paramédicaux avant de laisser la parole aux médecins. Le climat d’écoute et de respect permet une prise de décision collégiale sur la prise en charge du patient. Des études sur cette méthode ont démontré qu’elle permettait de réduire la souffrance des soignants et d’améliorer la qualité des soins.
Ces innovations (ndlr : collaboratives) émergent avec la présence d’un leader qui a envie de transformer son organisation et redonner la main aux acteurs de terrain. Mais si la hiérarchie n’endosse pas cette volonté, assez vite on peut être confronté à ses propres limites, donc à des injonctions contradictoires.
L'innovation managériale collaborative peut-elle être mise en place au sein de tout type de structure?
Ce n’est pas une question de statut juridique mais de volonté du leader de manager différemment pour mettre un terme à la souffrance de son équipe. Cette démarche participative du CHU de Tours par exemple est désormais obligatoire, depuis 2004, dans tous les services soins palliatifs en France à la suite d’une circulaire de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Mais elle pourrait très bien se mettre en place pour la prise en charge des patients chroniques.
Les Agences régionales de santé (ARS) ont-elles leur mot à dire dans cette démarche?
Tous les échelons doivent être exemplaires, les ARS aussi. Elles doivent endosser un rôle qui est moins dans le contrôle et se placer dans une posture d’accompagnement de cette transformation organisationnelle. D’ailleurs, dans le cadre des appels à projets ″article 51″, on a demandé aux ARS d’être dans cette posture plutôt que d’être dans le suivi/contrôle. C’est toute la difficulté… Ces innovations émergent avec la présence d’un leader qui a envie de transformer son organisation et redonner la main aux acteurs de terrain. Mais si la hiérarchie n’endosse pas cette volonté, assez vite on peut être confronté à ses propres limites, donc à des injonctions contradictoires.
L’idée est de libérer les innovations et l’esprit d’initiative qui est en chacun des professionnels. La « recette » n’est pas duplicable si les leaders n’y croient pas. Mais la formation initiale et continue peut contribuer si à l’avenir, elle s’organise davantage vers plus de transversalité, d’interdisciplinarité entre les soignants, les cadres et les administratifs afin que ces populations qui se connaissent peu, apprennent les uns des autres pour co-construire plutôt que de travailler en silo.
- par Laure Martin