#12 Prendre soin

#12 Prendre soin

Ma présence à bord du bateau n’est pas passée inaperçue. La nouvelle a fait le tour de la résidence universitaire et du port en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Ainsi, j’ai vu défiler bon nombre de curieux à travers les hublots. Un après-midi, j’ai reçu la visite d’un voisin mystérieux…

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- Bonjour, je suis le propriétaire du bateau d’à côté. May, l’Australienne n’est pas là ?
- Non, elle est en Australie pour quelques temps.
- Je vois. Vous êtes de la famille ?
- Non, je suis une amie.
- Alors il faut que je vous dise : ce bateau ne lui appartient pas ! Elle a profité de l’absence du propriétaire pour le retaper, il y a quelques mois. Et depuis, elle l’occupe…

EP 12 01

- Ah ?
- Au moins, vous êtes au courant. Bonne journée.
- Heu… Merci pour l’information, au revoir.
À moi-même :
- Cela expliquerait pourquoi elle m’a confiée son bateau ? Pour le surveiller à mon insu ? À supposer que ce soit vrai, j’espère que le vrai propriétaire ne va pas débarquer avec un fusil dans la nuit…
Malgré tout, j’ai décidé de rester à bord du navire en restant sur le qui-vive. J’ai invité des amis à déjeuner, à dîner. J’en ai hébergé d’autres, ce qui m’a rendue populaire. Un jour, j’ai eu la visite de proches de May, de jolis jeunes artistes en vadrouille.

EP 12 02

Peut-être les avait-elle mandatés pour venir me surveiller ? Je me suis demandé pourquoi elles ne leur avait pas confié le bateau. Etait-ce une mission trop risquée pour des amis ? Et si oui, quel était le risque, au juste ?
Quoiqu’il en soit, mon séjour s’est passé sans encombre et je suis retournée à la résidence universitaire en trainant la patte.
Les mois qui ont suivi, je suis restée en contact avec May et je lui ai rendu visite régulièrement, en restant à l’affût d’indices. Parfois, j’allais boire un thé à bord en évoquant des projets de traversée de la Manche. Parfois, j’allais piquer la rouille de la coque du bateau, une fois celui-ci en cale sèche, accompagnée de quelques amis.

C’était ma façon à moi de prendre soin du bateau sans préjuger de son histoire, de ses origines. J’occultais les doutes semés par le voisin d’en face et j’acceptais d’en prendre soin en fermant les yeux sur son passé, comme je l’aurais fait pour mes patients…

EP 12 03

 

Sommaire

Billet #00 – La genèse

Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa

Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie

Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre

Billet #04 - Les mentors                    

Billet #05 - Mon premier patient

Billet #06 - La déformation professionnelle

Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier

Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite

Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne

Billet #10 - La Suède ou une société idéale

Billet #11 - Convalescence sur les flots

Billet #12 - Prendre soin

Billet #13 - Étudier la médecine en Suède

Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal

Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques

Billet #16 - La peur et ses remèdes

Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine

Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine

Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires

Billet #20 - Un peu de recul

Billet #21 - La bascule

Billet #22 - Crise nationale, fin de la parenthèse

 

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#14 À la recherche du système d’enseignement idéal

#14 À la recherche du système d’enseignement idéal

Mon retour en France a été marqué par une phase de désapprentissage. Je suis retournée suivre des modules d’enseignement n’ayant aucun lien avec mes stages hospitaliers. Je me suis remise à brancarder de temps à autres et j’ai fini par perdre mon autonomie fraîchement acquise dans les dédales de l’hôpital...

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En stage à l’hôpital. À mon co-externe:

- Ça n’est pas possible ! Ce que les étudiants suédois apprennent en 4 ans et demi, on l’apprend en 6 ans ici. J’ai l’impression de régresser, depuis que je suis rentrée de Suède...

EP 14 1
- T’exagères pas un peu ?

- Là-bas, au bout de 4 ans et demi, tu es interne et tu as le droit de prescription.

- Ah oui, ça change la donne ! Mais il y a peut-être une raison à ça ?

- J’imagine que le fait d’avoir des cours intégrés au stage doit favoriser l’apprentissage et l’autonomie des étudiants. Et à y réfléchir, ici, quel intérêt aurait l’hôpital à réduire la durée de notre externat ? On brancarde, on range les dossiers, on est de la main d’œuvre pas cher au fond...

- Je ne sais pas. C'est vrai que j’ai rarement eu la sensation d’apprendre mon métier en stage. On est surtout livrés à nous-mêmes. Pourquoi t’es pas restée là bas ?

- En Suède ? Impossible ! C’est un pays trop organisé, trop matérialiste pour moi. Je pensais y trouver l’égalité d’accès aux soins, la solidarité. En réalité, il faut payer cash si tu veux être hospitalisé en urgence, partager les frais d’essence avec l’automobiliste qui te prend en stop, mettre un euro dans la cagnotte si tu veux manger un petit morceau de pain dans le service qui t’accueille. Qu’importe que tu sois un étudiant désargenté. En fait, cette «pseudo égalité», ces règles identiques pour tous nient la réalité des inégalités sociales.

EP 14 2

Et poursuivant:

- Les gens ont beau être souriants, je ne me suis jamais sentie aussi seule. Tu ne peux pas dire ce que tu penses sans risquer que cela soit mal pris et que l’on t’ignore ensuite en représailles. Mais pourquoi pas l’Argentine, comme prochaine destination ?

- Quoi, déjà ? Mais tu viens à peine de rentrer... 

- Je sais, je sais. Mais les gens ont l’air chaleureux, là bas. J’ai côtoyé pas mal d’Argentins à travers le tango. Et l’Argentine est connue pour son recours à l’art dans les hôpitaux. J’irais bien voir comment cela ce passe.

- De toutes façons, tu ne peux pas repartir avec Erasmus. On a le droit qu’à un séjour à l’étranger.

- Je vais me renseigner. Si ça n’est pas possible, alors je demanderai une dispo.

- Bof, si tu fais ça, tu ne rependras jamais tes études.

EP 14 3

- On verra !

C’est comme ça que j’ai donc fait ma demande de mise en disponibilité auprès de la fac de médecine et en parallèle, constitué un dossier "Défi Jeunes" avec comme objectif : partir en Argentine découvrir leur médecine et restituer l’expérience sous forme... de BD !

 

Sommaire

Billet #00 – La genèse

Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa

Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie

Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre

Billet #04 - Les mentors                    

Billet #05 - Mon premier patient

Billet #06 - La déformation professionnelle

Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier

Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite

Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne

Billet #10 - La Suède ou une société idéale

Billet #11 - Convalescence sur les flots

Billet #12 - Prendre soin

Billet #13 - Étudier la médecine en Suède

Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal

Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques

Billet #16 - La peur et ses remèdes

Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine

Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine

Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires

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#15 La pharmacienne et les mots magiques

#15 La pharmacienne et les mots magiques

Quelques semaines après avoir déposé un dossier de candidature à la "Bourse Défi jeunes", j’étais convoquée pour défendre mon projet de bande dessinée sur le milieu médical argentin. En pleine période d’examens, assommée par les révisions et les stages hospitaliers, je me rendis à la convocation d’un pas mal assuré.

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En chemin, je m’arrêtai à la pharmacie pour acheter quelques remèdes, au lieu de quoi la pharmacienne me fit un renforcement positif très efficace : « Imaginez que vous êtes comédienne, que vous jouez un rôle et répétez après moi : je suis étudiante en médecine… je vais jusqu’au bout de ce que j’entreprends… je n’ai peur de rien… je dessine depuis longtemps… mon projet de BD est essentiel pour améliorer la qualité des soins… mes pairs cautionnent ce projet ».

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Je repartis rassérénée, prête à conquérir le monde et chantant à tue-tête mon texte.

Dans la salle, nous étions une trentaine de candidats. Tous avaient monté des projets collectifs et moi, j’étais seule. J’avais bien proposé à quelques amis de participer à l’aventure mais tous avaient quitté le navire avant même qu’il ne soit à flot. Alors entre « ne rien faire à plusieurs » ou « partir en solo », il avait fallu trancher.
Comme je ne parlais pas un mot d’espagnol, j’avais appris par cœur un poème de Pablo Neruda. J’avais bien conscience que je ne ferais pas illusion longtemps, si la question devait être abordée mais là où j’en étais, il fallait tenter le tout pour le tout.

Lorsque vint mon tour de passer devant le jury, j’étais encore tout imprégnée de l’énergie débordante de la pharmacienne. « oui, j’irai seule en Argentine…oui, j’avais créé le personnage qui serait le héros principal de la BD… Oui, mes pairs me faisaient confiance ».

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Et emportée par ce merveilleux rôle décroché à la pharmacie, je répondais aux questions avec entrain en oubliant les quelques « non » hors du script et qui auraient pu compromettre mon projet : « Parlez-vous espagnol ? »

EP15 3

Contre toute attente, je reçus le prix coup de cœur pour mon projet. Grâce à la pharmacienne qui avait pipé les dés, je partirais dans quelques mois pour découvrir l’univers hospitalier argentin et restituer l’expérience sous forme de BD.

* C'est le matin plein de tempête
au cœur de l'été.
Mouchoirs blancs de l'adieu, les nuages voltigent,
et le vent les secoue de ses mains voyageuses.

Pablo Neruda

 

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Billet #00 – La genèse

Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa

Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie

Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre

Billet #04 - Les mentors                    

Billet #05 - Mon premier patient

Billet #06 - La déformation professionnelle

Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier

Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite

Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne

Billet #10 - La Suède ou une société idéale

Billet #11 - Convalescence sur les flots

Billet #12 - Prendre soin

Billet #13 - Étudier la médecine en Suède

Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal

Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques

Billet #16 - La peur et ses remèdes

Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine

Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine

Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires

Billet #20 - Un peu de recul

Billet #21 - La bascule

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#16 La peur et ses remèdes

#16 La peur et ses remèdes

Les jours qui suivirent l’obtention de la bourse Défi Jeunes, je flottais sur un petit nuage de contentement. Hors des murs de l’hôpital et de sa réalité implacable, tout me semblait possible.

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Cette bourse m’avait aidée à braver la peur d’un nouveau départ, en m’engageant auprès de partenaires. Il ne s’agissait plus seulement de moi et de mon courage à aller jusqu’au bout de l’entreprise. Désormais, j’avais des comptes à rendre. Dans quelques mois, il me faudrait coûte que coûte partir en Argentine et revenir avec une BD finalisée.

Pour me préparer à réaliser mon projet, je cherchai des soutiens, des conseils de toutes parts. Je fus rapidement mise en contact avec un certain Bruno, qui dirigeait une revue culturelle locale. Charismatique, il était ceinture noir de karaté et de philosophie. Je le retrouvais souvent au Moustigre. Il aimait parler de la peur en s’enfilant des shooters de cucaracha à la paille. La peur de l’inconnu, la peur du changement, la peur de l’étranger, la peur de la mort… Toutes y passaient au rythme de nos goulots. Car selon lui, elles paralysaient l’humanité et expliquaient bien des maladies. Ses yeux brillaient comme les flammes à la surface des shooters.

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Il me demanda de lui prêter de l’argent, en échange de quoi il s’engageait à être parrain de mon projet. J’acceptai, hypnotisée.

Un jour, il vint au Moustigre accompagné d’Oliv’, un de ses amis dessinateurs formé à Angoulême. Il me donna des conseils BD et m’emmena faire des ballades à moto.

Et puis quand l’échéance du remboursement approcha, Bruno ne répondit plus à mes messages. Je l’aperçus une dernière fois à travers la vitrine d’un restaurant japonais avec sa copine, dégustant l’argent des autres. Après quoi disparut de la circulation, laissant derrière lui quelques naïfs plumés.

Une semaine avant mon départ, au retour d’une virée à moto avec Oliv’, une voiture nous percuta. Mon looping avant me conduisit aux urgences sans passer par la case départ. Je tombai de surcroît sur le médecin réputé pour manquer tous les diagnostics. Si bien que je sortis du service avec une patte folle. À ce jeu de Monopoly, j’obtins finalement quelques dommages et intérêts du même montant que celui de l’argent subtilisé par Bruno. La partie était nulle et l’opération, blanche.

EP16 2

À l’aube de mon départ, je retombai sur mes pattes financièrement et psychologiquement. Je reprenais confiance.

Je terminai les derniers préparatifs de mon voyage, me délestant de ma blouse blanche et de mon stéthoscope pour quelques mois. L’esprit cicatrisé, l’estomac dénoué, je montais en boitillant dans l’avion qui m’emportait vers une nouvelle aventure que j’espérais hospitalière.

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Billet #00 – La genèse

Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa

Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie

Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre

Billet #04 - Les mentors                    

Billet #05 - Mon premier patient

Billet #06 - La déformation professionnelle

Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier

Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite

Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne

Billet #10 - La Suède ou une société idéale

Billet #11 - Convalescence sur les flots

Billet #12 - Prendre soin

Billet #13 - Étudier la médecine en Suède

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Billet #16 - La peur et ses remèdes

Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine

Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine

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Billet #20 - Un peu de recul

Billet #21 - La

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