
#05 Mon premier patient
C’est en révisant mes cours d’endocrinologie à la bibliothèque municipale que je rencontrai Pierre, mon premier patient. J’étais alors en troisième année de médecine…
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Ce jour là, il était en face de moi et étudiait son droit. Il y avait quelque chose d’intemporel dans son visage. Pourtant jeune, il était marqué comme s’il avait déjà vécu : les sillons naso-géniens étaient profonds, son front bombé, ses arcades sourcilières prononcées et sa mâchoire inférieure, proéminente.
À moi-même:
- Tiens, tiens, quelle étrange coïncidence. Il ressemble précisément aux patients décrits dans mon cours sur l’acromégalie !
À la suite de quoi mes yeux papillonnèrent entre mon bureau et le jeune homme.
“Voyons voir ses mains. Hum, elles paraissent larges. Et ses pieds ?”
Je laissai tomber un stylo sur le sol pour les examiner de plus près : “Sapristi, ils paraissent larges aussi. C’est invraisemblable. Si ce garçon est bel et bien malade, puis-je faire comme si de rien n’était? Par contre, si je lui parle et qu’il n’a rien, je vais l’inquiéter pour rien…”
Après une heure de pourparlers avec moi-même, je décidai de lui parler :
- Salut, est-ce qu’on peut discuter un instant tranquillement dans le hall ? J’aimerais te poser quelques questions.
- Heu… Oui, bien sûr…
- Voilà, voilà. As-tu l’impression que tes mains et tes pieds ont grossi, ces derniers mois ? Ton visage n’aurait-il pas changé par hasard, si tu compares à des photos plus anciennes ? Transpires-tu davantage ?
- Heu… Je ne sais pas. Pourquoi toutes ces questions ?
- Parce que si c’était le cas, tu pourrais être porteur d’une maladie qui s’appelle l’acromégalie. J’en suis désolée. J’ai hésité à t’en parler mais il me paraissait important de te le dire. Si tu veux, je peux t’aider à avoir un rdv au CHU…
- Ola ola, je ne vois pas du tout de quoi tu parles, je ne me sens pas concerné!
- Bon bon, très bien, tant mieux. Alors parlons d’autre chose. Tu fais quoi comme études?
- J’étudie le droit…
Après une heure de discussion, je parvins à obtenir son numéro et à lui laisser le mien. Quelques semaines plus tard, il était opéré et suivi à l’hôpital en endocrinologie. Du chef de service, je recevais régulièrement des courriers: “Chère Dr Honorine Cosa, voici quelques nouvelles de votre patient…”. Et de Pierre, un collier d’hématite que je porte encore aujourd’hui à chacune de mes gardes, comme talisman protecteur des patients.
Sommaire
Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa
Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie
Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre
Billet #05 - Mon premier patient
Billet #06 - La déformation professionnelle
Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier
Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite
Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne
Billet #10 - La Suède ou une société idéale
Billet #11 - Convalescence sur les flots
Billet #13 - Étudier la médecine en Suède
Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal
Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques
Billet #16 - La peur et ses remèdes
Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine
Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine
Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires
Billet #22 - Crise nationale, fin de la parenthèse
- par Honorine Cosa