
#19 Mon quotidien à Buenos Aires : la découverte
Mon quotidien argentin était tourbillonesque.
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En journée, j’assistais Ricardo lors d’interventions neurochirurgicales en tant qu’aide opératoire. Ou bien je suivais en consultation des soignants dont j’aimais la démarche : je rencontrai Paolo, psychiatre et concertiste émérite, qui conduisait ses consultations au piano, et Gabriella, pédiatre, qui apprivoisait les enfants avec de la musique le temps des soins. Un jour, à la fin de la consultation, elle prit une maman dans ses bras et lui donna discrètement de l’argent. Elle et sont mari avaient traversé le pays pour la voir :
- Tu te rends compte, Honorine ? Ce couple a fait 800 km uniquement pour venir me parler de la mort de leur enfant ! Ils n’ont pas d’argent. Ils ont sacrifié toutes leurs économies pour faire ce voyage... C’est dire si l’écoute est importante, dans notre métier. Ils sont venus chercher une oreille attentive et compatissante pour y déposer leur souffrance et pouvoir enfin commencer leur travail de deuil.
Auprès d’eux, je découvrais pour la première fois ce que « empathie » et « soigner » signifiaient. Ici, les soignants utilisaient toutes les facettes de leur personnalité au service d’une pratique plus humaine. Moi qui avait appris en France à louvoyer, à me camoufler, à cacher mes centres d’intérêt pour ne pas être accusée d’inconstance ou d’errance.
Lorsque je n’étais pas à l’hôpital, je restais chez moi : j’étudiais l’espagnol avec un manuel d’auto-apprentissage ou je dessinais pour mon projet de BD et médecine.
En fin d’après midi, il m’arrivait parfois d’aller vendre des gâteaux aux pommes dans la rue et les commerces de mon quartier. Ma mère m’envoyait régulièrement de la levure chimique par la poste pour faire la pâte et je suivais scrupuleusement sa recette. Un jour, le boucher du coin m’acheta le gâteau entier et le disposa à côté de côtelettes de bœuf dans sa vitrine.
Très souvent, nous allions apprendre à enseigner le tango argentin avec Martina à l’Estudio Dinzel, l’école par excellence des futurs professeurs de Tango.
Le soir, je chevauchais mon vélo et sillonnais la ville en évitant les trous dans l’asphalte, les rues cabossées et les « colectivos » agressifs. Ou bien je suivais Martina et ses amis musiciens dans leurs pérégrinations nocturnes : virées en ville, barbecues à la belle étoile avec un verre de vin ou petits concerts improvisés. Parfois, il m’arrivait de troquer un dessin contre un repas dans un restaurant ou mon entrée dans une milonga pour y danser le tango.
Après quoi, sur le chemin retour, je m’achetais une glace dans un des kiosques de la ville avant de regagner mon lit.
Au petit matin, réveillée par les premières lueurs du jour, je sautais de mon lit, prête à vivre de nouvelles aventures. C’est comme ça que mon futur métier de médecin prit peu à peu tout son sens, en se mélangeant à mes passions et à mes centres d’intérêt. Il commençait à prendre corps, il était temps.
Sommaire
Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa
Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie
Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre
Billet #05 - Mon premier patient
Billet #06 - La déformation professionnelle
Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier
Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite
Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne
Billet #10 - La Suède ou une société idéale
Billet #11 - Convalescence sur les flots
Billet #13 - Étudier la médecine en Suède
Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal
Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques
Billet #16 - La peur et ses remèdes
Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine
Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine
- par Dr Honorine Cosa