#08 Séjour prématuré en maison de retraite
Pendant mon externat, je trouvai un petit boulot en maison de retraite les weekends. Ma tâche consistait à préparer les piluliers, faire le service du midi et à aller voir ce qui se passait au bout de la téléalarme lorsqu'un pensionnaire l’activait.
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Une fois les piluliers prêts et le service du repas terminé, je rejoignais la pharmacie, qui faisait aussi office de chambre de garde. Au milieu des boites de médicaments, j’étudiais mes cours de médecine : le ton était donné.

Avec Mme Lacier, la téléalarme sonnait souvent. À force de prendre des comprimés de Corane et de fumer comme un pompier, elle était devenue toute grise. Bien qu’à bout de souffle, elle avait gardé son sens de l’humour, sa bonne humeur et sa bienveillance, ce qui était assez rare à cette étape de vie. Le seul hic était qu’elle confondait souvent sa téléalarme avec une télécommande et que j’étais corvéable à merci. Il faut dire que ses enfants venaient rarement la voir et que la solitude lui pesait, alors je lui pardonnais.

Au milieu de la nuit, je me levais pour changer les couches de certains pensionnaires, en rassurer d’autres, appeler l’ambulance lorsque l’un se sentait mal ou venait de chuter.
Souvent, je discutais avec Pierrick Merveilleux, le gardien de la semaine. Il habitait la résidence à l’année et étudiait la médecine chinoise les weekends. Il aimait se promener avec ses aiguilles d’acupuncture et proposait ses services à qui y consentirait. Les soirs, il m’apportait des smoothies maison, laissant ses mini fléchettes de côté, et nous échangions sur la musique tzigane et les médecines alternatives, ce qui adoucissait mes fins de semaines.
Un jour, je convainquis mon amie Ambre du caractère exotique de la vie en maison de retraite et elle accepta de réaliser un reportage photo. À son arrivée, je lui expliquai la théorie des « 3 B » « Bouffe Baise Bagarre » avec la possible résurgence du cerveau primitif sur le néocortex en avançant dans l’âge. J’avais préféré l’avertir pour lui permettre de contrecarrer les mains baladeuses de certains résidents, de riposter en cas de propos vulgaires et ne pas s’offusquer des combats de bouffe.

Je lui dressai un portrait également Mme Lafourbe qui montait la garde devant la pharmacie en tricotant inlassablement des chaussettes. Assise sur sa chaise en osier, elle épiait les faits et les gestes de chacun et tenait des propos souvent scabreux. Elle guettait en particulier l’arrivée de nouvelles proies et Ambre n’y coupa pas.
C’est comme ça que je gagnais trois francs six sous et composais avec mon quotidien, les collègues de boulot, les longues nuits blanches, et les fins de semaine en compagnie de ces résidents attachants et terrifiants...

Sommaire
Billet #00 – La genèse
Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa
Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie
Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre
Billet #04 - Les mentors
Billet #05 - Mon premier patient
Billet #06 - La déformation professionnelle
Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier
Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite
Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne
Billet #10 - La Suède ou une société idéale
Billet #11 - Convalescence sur les flots
Billet #12 - Prendre soin
Billet #13 - Étudier la médecine en Suède
Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal
Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques
Billet #16 - La peur et ses remèdes
Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine
Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine
Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires
Billet #20 - Un peu de recul
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