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POINT

Décoration du corps humain et santé

L’engouement pour les tatouages, piercing, faux ongles et autres décorations ne doit pas masquer les risques associés à ces pratiques, sur lesquels l’Académie nationale de pharmacie a fait le point.

Aux frontières de la cosmétique, certaines techniques de décoration du corps – tatouage, piercing, éclaircissement des dents et de la peau, faux ongles… relèvent de pratiques non encadrées et/ou utilisent des produits peu contrôlés susceptibles d’interagir dangereusement avec la peau, le corps, la santé. En abordant ce sujet d’étude inhabituel, l’Académie nationale de Pharmacie lève le voile sur les risques de complications engendrées par un phénomène devenu banal, comme en atteste un marché est florissant : 60 millions de personnes seraient porteuses de piercings en Europe, selon Hervé Ficheux, toxicologue. 14 % des Français seraient tatoués. Bien que se banalisant de plus en plus, ces pratiques, plus ou moins invasives, sont loin d’être anodines. D’ailleurs le Dr Nicolas Kluger, dermatologue, et lui-même tatoué, vient d’ouvrir une consultation à l’hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris) dédiée aux complications dont sont victimes les personnes tatouées.

Du simple désagrément aux complications graves

Du matériel stérile, des prestataires formés à l’hygiène et la salubrité, des clients dûment informés des effets secondaires potentiellement indésirables et, dans tous les domaines, un respect de la réglementation (quand elle existe) sont bien sûr des préalables indiscutables, mais ne garantissent pas pour autant l’absence d’évènements plus ou moins graves. Comme partout, la dose fait le poison : ainsi, les effets secondaires du blanchiment des dents (altération de l'émail, irritation des muqueuses, des voies respiratoires, etc.) sont corrélés à la concentration de peroxyde d’hydrogène 2; les risques d’irritation et d’allergie des piercings dépendent de leur composition en métaux ; quant aux faux ongles qui utilisent des polymères, de la résine acrylique et des UV, ils sont potentiellement responsables d’irritation, d’infections, de photo-allergie, voire de cancers du dos des mains. La dépose de vernis semi-permanents (ou vernis gels) nécessite un enveloppement de 15 mn dans l’acétone qui fragilise l’ongle.

Limites et incertitudes

« Il n’y a pas de bonnes études de toxicologie sans bonne connaissance des produits à étudier ni de leur devenir une fois administré », explique Hervé Ficheux pour qui le tatouage illustre parfaitement la difficulté d’évaluer la toxicologie de produits administrés par injection intradermique : les données sont rares sur les types d’impureté (métaux, hydrocarbures) les colorants avec pigments solubles ou non, les conservateurs, les liants, etc. : les encres sont un cocktail mal connu d’ingrédients potentiellement irritants, allergènes, génotoxique in vitro3, libérateur de formaldéhyde, cytotoxique, etc. De plus, selon la taille des particules, « un comportement différent est à attendre en fonction des différentes couleurs ».

Entrent également en jeu la surface (quantité de pigments) et la zone tatouée (exposée au soleil ou pas ?). En l’absence d’études suffisantes, Hervé Ficheux considère que « la photo-décomposition est un réel problème ». Les risques à court terme vont de l’irritation à l’allergie aigüe et, à long terme, se pose la question des pathologies auto-immunes et des tumeurs.

Impliquer tous les acteurs de santé

Etant donné la grande variété de produits utilisés, les sources d’approvisionnement, peu contrôlées (Internet) et les législations différentes ou absentes selon les pays l’Académie insiste sur la nécessité d’une mise à jour réglementaire (par exemple, rendre obligatoire la déclaration d’effets indésirables et le certificat de qualification professionnelle pour exercer la profession de « styliste ongulaire ») et d’une information fiable et rigoureuse sur le choix des praticiens. Les pharmaciens, médecins (généralistes, médecins scolaires, spécialistes), chirurgiens-dentistes, professionnels de l’esthétique, etc. devraient être à même d’assurer information et prévention quant aux risques sanitaires liés à ces pratiques. Ce qui implique une formation adéquate des acteurs de santé (les médecins ne savent pas forcément retirer un piercing, ce qui est problématique en cas d’urgence). A long terme, la protection des usagers et la sécurisation des pratiques passent aussi par un développement de la recherche sur les aspects toxicologiques, les processus d’altération cutanée, les pathologies locales ou générales, somatiques ou neurologiques, ainsi que par le suivi épidémiologique.

Le détatouage

« L’engouement actuel pour les tatouages entraine une demande grandissante de détatouage » témoigne Isabelle Catoni dermatologue à Neuilly-sur-Seine qui affirme que 30 % des gens regrettent leur tatouage. « Outre les déceptions d’ordre esthétique, nous rencontrons actuellement une recrudescence d’infections à mycobactéries atypiques survenant lors du tatouage, des allergies aux encres (en particulier rouges) qui peuvent prendre l’aspect d’un simple eczéma ou de granulomes devant faire rechercher une sarcoïdose ». Alors que le tatouage et le maquillage permanent utilisent des dermographes à visée esthétique et ne sont pas des dispositifs médicaux, le détatouage est un acte médical. Les lasers utilisés sont différents selon la qualité et la densité des encres, mais le résultat n’est pas garanti. Alors qu’un dessin superficiel, noir ou bleu, disparait en une à trois séances sans laisser de traces, certaines couleurs ne s’effacent pas, comme le turquoise ou l’orangé. «Si le tatouage est noir, monochrome, mais très profond ou trop dense, nous préférons refuser le traitement car il nécessite un trop grand nombre de séances, au résultat incertain».

NOTES

1. Sondage Ifop janvier 2017
2.Limitée depuis 2012 à 0,1 % dans les bars à sourire, alors qu’elle peut aller jusqu’à 6 % en cabinet dentaire
3. La France et la Norvège ont interdit tout test sur animaux ayant pour finalité l’évaluation du risque toxicologique du tatouage (rapport du Joint Research Center)
par Evelyne Simonnet