Marie Bienaimé / BSIP

Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins / 1er bilan post obligation vaccinale

Depuis qu’on a eu l’idée d’inoculer la vaccine d’une jolie vache à une personne en bonne santé pour l’immuniser, les vaccins déchaînent les passions. Dans son livre Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins, Lise Barnéoud (1) - journaliste scientifique, mère et citoyenne - dresse le panorama du vaccin en France et présente chaque duo vaccin/maladie sous ses aspects médicaux, sociétaux et économiques. Un livre précieux depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2018, de l'obligation vaccinale de 11 vaccins pédiatriques suivi du témoignage d'un pédiatre hospitalier et d'un médecin généraliste sur  cette nouvelle exigence vaccinale.

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Craintes légitimes ou rumeurs ?

«Y a-t-il un rapport entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme ? Le vaccin contre l’hépatite B est-il une cause de sclérose en plaques ? Les sels d’aluminium sont-ils dangereux ? Et la combinaison des 11 vaccins entre eux est-elle sans risque ? Combien d’injections faudra-t-il ? Quels sont les effets indésirables ?» Que d'interrogations dans les familles ! Les risques existent mais sont bénins dans l’immense majorité des cas. Les cas extrêmes sont tellement rares qu'il est difficile de distinguer si ils relèvent de la coïncidence malheureuse ou du vaccin lui-même. Pour Lise Barnéoud, il faut considérer le rapport bénéfice/risque vaccin par vaccin car « chacun présente des avantages et des inconvénients distincts». Pourtant les risques liés à la baisse du taux de couverture vaccinale sont réels : « Il y a eu 20 décès provoqués par la rougeole depuis 2008 ! », estimait Daniel Lévy-Bruhl de l’agence Santé Publique France en décembre dernier.

Un choix de société

La vaccination attise l’éternel conflit entre intérêt individuel et collectif. « Est-ce éthique de vacciner un nourrisson contre la grippe pour protéger la personne âgée qu’il pourrait contaminer dans son entourage, se demande Lise Barnéoud. C’est un choix de société qui demande un arbitrage politique ». Avec l’obligation vaccinale de 11 vaccins pédiatriques, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, remet ce choix en perspective « La vaccination ce n’est pas seulement l’intérêt qu’on y trouve soi-même, c’est un enjeu de solidarité, une façon de protéger l’ensemble de la société ».

Protéger la population contre quoi ? 

Depuis l’épopée de Pasteur contre les maladies infectieuses, il devient de plus en plus rare d’expérimenter par soi-même les bénéfices d’une vaccination car beaucoup de maladies - la polio par exemple - sont devenues invisibles en France. En abaissant le nombre de malades et la visibilité du danger, la vaccination porte en elle les germes de sa désaffection chez 41% des Français(2), champions européens du scepticisme anti-vaccin. D’autant plus que ces dernières années, des campagnes désastreuses contre l’hépatite B ou le virus H1N1 et une communication maladroite de l’Agence européenne du médicament ont miné le terrain. Pour beaucoup, ces campagnes profitent surtout aux 4 multinationales qui se partagent 65 % d’un secteur très lucratif. Difficile de se faire une opinion sur les réseaux sociaux, volontiers polémiques, « on trouve aujourd’hui sur Internet plus  d’informations sur les effets indésirables des vaccins que sur ceux des maladies ! »

Qu’est ce qui a changé depuis le 1er janvier ?

Recommandée par la quasi-totalité des sociétés savantes, l'obligation vaccinale a été accueillie froidement par les parents, les associations de patients et un petit nombre de professionnels de santé. L’obligation, quand la persuasion a échoué, est toujours un échec mais il semble que la personnalité et le discours scientifique de la ministre aient ramené le calme. Les sanctions pénales resteront théoriques pour les parents et se traduiront surtout par une exclusion de l’enfant des activités collectives. « Le directeur de crèche est censé rappeler aux parents que le vaccin est obligatoire et leur laissera un délai pour le réaliser », précise Lise Barnéoud. Concernant les faux certificats, Agnès Buzyn est beaucoup plus sévère « Faire un faux certificat, c’est pénalement et déontologiquement répréhensible, et j’attends du Conseil de l’ordre qu’il radie les médecins qui en feront ».

Et demain ?

Un peu chahutée pour son livre par les ultras des pro et anti/vaccin, Lise Barnéoud touche du doigt la virulence du sujet et regrette « la difficulté d’un débat serein, d’un travail objectif d’analyse». Elle pointe « le manque d’enquêtes indépendantes, la toxicité de certains conflits d’intérêts et le paternalisme des sociétés savantes qui aggrave la faille avec des parents inquiets ». Plus que jamais, la pédagogie sera de mise dans les années qui viennent car les virus évoluent vite et plus de 200 vaccins sont aujourd’hui en cours de développement. Combien cibleront les nourrissons ?

Note

1. Lise Barnéoud a consacré plusieurs années de recherches à la question des vaccins. Elle collabore notamment à Science et Vie et Le Monde. Propos rapportés de la Conférence 20/40 Nature et Découvertes. Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins, Éditions Premier Parallèle, août 2017


Un pédiatre hospitalier et un généraliste :
1er bilan post vaccination obligatoire

Dr Patrice Serge Ganga-Zandzou
Pédiatre, médecin des Hôpitaux et Praticien hospitalier au Centre hospitalier de Roubaix.
Hors consultations, les urgences pédiatriques voient passer 25000 enfants chaque année,
5000 sont hospitalisés. Dix pédiatres pratiquent un taux important de vaccination.

Dr Ganga, comment avez-vous reçu l’information sur l’obligation vaccinale ?
Nous avons été informés du nouveau calendrier vaccinal par des notes internes du ministère et par le bulletin épidémiologique hebdomadaire.

Avez-vous senti une réticence des parents ?
Nous sommes très sensibilisés à ce problème dans notre service car une thèse de doctorat sur le sujet y a été préparée. En partant du postulat que la couverture vaccinale était inférieure à la moyenne nationale dans notre région pour certains vaccins, le docteur Anne Sophie Bastien a étudié « L’opinion des parents sur la vaccination des enfants »1. Des questionnaires ont été remis aux parents dans les cabinets médicaux, il est ressorti que 90 % des parents étaient favorables à la vaccination. Les réticences se cristallisant sur trois vaccins : hépatite B, grippe et papillomavirus.

Comment réagissent les parents hostiles à la vaccination ?
La plupart du temps ils demandent à réfléchir et vont consulter leur médecin traitant. Dans 50 % des cas nos arguments convainquent les vaccinosceptiques, notamment pour les dangers de l’aluminium pour lesquels on n’a toujours aucune preuve scientifique. Nous n’avons pas encore beaucoup de recul depuis l’application de la loi mais la pression est retombée. Un discours ferme du ministère et la raison scientifique ont calmé le jeu.

Vous avez été Chef de Service de Pédiatrie et Néonatologie de la Polyclinique El-Rapha de Libreville. Comment sont perçus les vaccins au Gabon ?
Dans la plupart des pays d’Afrique l’opinion générale est plutôt favorable. Le gouvernement gabonais a établi le Programme élargi de vaccination imposée aux enfants avant d’entrer à l’école. Elle a permis de lutter efficacement contre les ravages de la thyphoïde par exemple.

Et au sein de votre équipe, y a-t-il des réserves sur certains des 11 vaccins obligatoires ?
Les médecins du service sont tous favorables à cette vaccination. Les pédiatres de la région sont confrontés à des cas de rougeole et on voit des cas de tuberculose parmi les migrants. Pour illustrer l'efficacité des vaccins, on a assisté à une diminution très nette des cas de méningite à Haemophilus depuis l'avènement de la vaccination anti haemophilus, et avant que celle-ci n'ait été rendue obligatoire. Le terme « recommandé » générait beaucoup de confusion. Certains patients pensent qu’un vaccin recommandé concerne soit une maladie sans gravité, soit un vaccin inutile, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Note

1. Thèse publiée dans les Archives de pédiatrie du mois de novembre.

Dr M. S.
Médecin généraliste dans le centre de Limoges, Région Nouvelle –Aquitaine.

Quelles sont vos sources d'information ?
Pas d'info officielle. Je n’ai pas le souvenir d'un mail ou d'un courrier de l’ARS, mais nos journées sont une telle course contre la montre. L'information se fait par le biais de la presse grand public ou des parents.

Les questions des parents ?
Depuis que la loi est passée, j’ai reçu peu de parents mais la polémique est retombée sur la question des vaccins et la patientèle ne montre pas d'inquiétude particulière.

Comment vivez-vous cette loi?
Personnellement je n'ai pas de réticence sur la question. Actuellement notre région affronte la fin de l’épidémie de grippe et une épidémie de rougeole (voir encadré).  La résurgence rapide de la maladie montre l'importance et la nécessité d'une couverture vaccinale élevée. Nous sommes à un stade où il est important de vérifier les vaccins des enfants. Un travail à mener conjointement avec les familles et les médecins scolaires.

 

Grippe et rougeole en Nouvelle-Aquitaine

Même si elle n'est pas encore terminée, l'épidémie de grippe s'annonce plus modérée que prévu cette année. Santé publique France et le réseau de surveillance Sentinelles des médecins libéraux, ont revu leurs pronostics à la baisse et évoquent "la plus petite épidémie depuis 1984". Dans la région Limousin, 40 personnes sont passées cette année dans les services de réanimation, elles n'étaient que 15 l'an dernier. En revanche l'épidémie de rougeole a déjà fait hospitaliser 57 personnes en Nouvelle-Aquitaine. Elle se répand rapidement et l'ARS invite les parents à faire vacciner les enfants. Le rectorat relaye cette information dans les carnets scolaires et les espaces numériques en décrivant symptômes, période d'incubation et contagiosité car "une personne peut en contaminer 5". Toute personne née après 1980 devrait avoir reçu 2 doses du vaccin trivalent ROR qui fait désormais parti des 11 vaccins pédiatriques obligatoires, on en est loin et l'objectif visé d'une couverture vaccinale de 80 % des enfants de moins de deux ans avec les 2 injections, n'est tenu qu'à 63,7 %


 « Un plan de prévention insuffisant » pour les médecins

Lundi 26 mars dernier, Édouard Philippe et Agnès Buzyn présentaient le plan « priorité prévention », axe majeur de la «stratégie de transformation du système de santé » du gouvernement actuel. Une investigation opérée auprès  de quelques syndicats de médecins indique un fort sentiment de déception sur certains grands axes de ce plan.

Médecine scolaire et médecine du travail : les grandes oubliées du plan

Pour un plan phare, son budget de 400 millions d’euros manque d’éclat, à comparer avec l’ensemble des dépenses des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale s’élevant à 477,5 milliards d’euros en 2018.

"[...] ces deux branches font figure de parents pauvres de la médecine, étant les professions les moins bien cotées, elles attirent très peu les jeunes diplômés."

A la lecture des vingt-cinq mesures du plan de prévention, Jean-Paul Hamon, président du syndicat de la Fédération des Médecins de France, ne peut cacher sa déception. « On ne va pas sauter de joie. Les deux mesures incontournables pour améliorer la prévention en France sont la médecine scolaire et la médecine du travail. Or rien n’existe dans le plan concernant ces deux secteurs essentiels. » Et pour cause, ces deux branches font figure de parents pauvres de la médecine, étant les professions les moins bien cotées, elles attirent très peu les jeunes diplômés. « Les mesures annoncées ne sont pas à la hauteur des enjeux que représente la prévention en France. D’une part, il aurait fallu revaloriser les salaires de la médecine scolaire. D’autre part, sachant qu’il y a de moins en moins de médecins du travail (75% ont plus de 50 ans aujourd’hui), au lieu d’envoyer les salariés dans des dispensaires pour leur visite d’embauche et leurs visites de contrôle, le gouvernement aurait pu demander au médecin traitant de prendre en charge ces visites, au prix de 80 à 90 euros, ce qui aurait donné du sens à l‘exercice du médecin traitant, tout en assurant un réel suivi des salariés. », conclut le président de la FMF.

Un pas pour le suivi de la santé des jeunes

A noter, cependant, l’étalement de 0 à 18 ans des vingt examens de santé  remboursés à 100% par la sécurité sociale, au lieu de 0 à 6 ans jusqu’ici. Cette mesure devrait permettre un suivi à plus long terme de la santé des jeunes, en étant présent à chaque âge clé de leur vie et à leurs problématiques associées. « Nous ne savons pas encore comment nous comptabiliserons ces consultations de suivi, précise Philippe Marchal, vice-président de MG France. La convention médicale,  signée en août 2016, prévoyait déjà plusieurs consultations aux tarifs particuliers, l’une de lutte contre le surpoids et l’obésité de l’enfant, l’autre sur l’accès à la contraception. Le plan intervient donc en plus de la convention médicale. Il faudra faire en sorte que ces consultations complexes soient elles-aussi valorisées  et inscrites dans la convention médicale. Donc bien que limitée, cette mesure s’inscrit dans notre optique de renforcement de la prévention. »

Vaccinations : c’est la confiance qui manque, pas les acteurs

La FMF ainsi que MG France partagent le même avis : la multiplication des acteurs de la vaccination ne règlera en rien le problème de la confiance des Français dans le bien fondé de la vaccination. « En rendant les 11 vaccins obligatoires, Agnès Buzyn a déjà sans le vouloir redonné la paroles aux anti-vaccins et à un débat médiatique injustifié, s’étonne Jean-Paul Hamon. On l’avait déjà constaté lors de la campagne de vaccination contre l‘hépatite B en 94, et contre celle de la grippe en 2009 : dès que les médecins ne sont plus les acteurs centraux de la vaccination, et lorsqu’en plus il existe des doutes de collusion avec l’industrie, les campagnes de vaccinations sont désastreuses. » « Et puis, renchérit  Philippe Maréchal de MG France, on veut nous inciter à faire plus de prévention, or nous profitons toujours de ces consultations de vaccination pour en faire. En tant que médecins généralistes, nous connaissons les antécédents de nos patients, cette consultation est bien plus qu’une simple injection ! ». La généralisation dès 2019 de la vaccination antigrippale par les pharmaciens annoncée par la ministre de la santé ne va pas régler le problème de la défiance, ni celui d’un meilleur suivi de prévention des patients.

Addictions : un plan très insuffisant

Alors que le travail de prévention dans le champ des addictions est le nerf de la guerre, peu de choses sont proposées dans ce plan. Pour lutter contre l’addiction au tabac, Agnès Buzyn a annoncé un remboursement à 100% des substituts au tabac prochainement. Pour rappel, ils n’étaient jusqu’à présent remboursés qu’à hauteur d’un forfait  de 150 euros par an. « Ce n’est pas une bonne mesure » confie Jean-Paul Hamon. « En effet, rembourser des substitut nicotiniques n’est pas très efficace  pour arrêter de fumer. De plus, cette mesure aura un coût non négligeable ». Philippe Maréchal dénonce quant à lui une mesure davantage curative que préventive. « Le tabac n’est pas qu’un problème de dépendance physique. Le côté psychologique et environnemental n’est absolument pas pris en compte. L’aide au sevrage doit être accompagnée pour fonctionner. Il faut multiplier les consultations dédiées  à cet accompagnement. »

Rien non plus pour lutter contre l’addiction au cannabis, si ce n’est le remplacement d’une peine d’emprisonnement par une amende forfaitaire systématique… Les recettes ainsi obtenues serviront à financer des « consultations jeunes consommateurs de moins de 25 ans » aux conduites addictives. Aucune précision, aucun chiffre n’a cependant été avancé. Il est donc difficile de pouvoir évaluer l’impact de cette mesure.

Encore plus inquiétant est le manque de dispositions concernant la prévention à la consommation d’alcool, pourtant deuxième cause de mortalité évitable en France.  Rien n’est dit contre le renforcement de l’interdiction de la vente aux mineurs, ou pour des formules identiques à celles existant sur les paquets de cigarettes (ex : « l’alcool nuit gravement à la santé » au lieu de « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé »).

Une avancée notable : le programme national de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus.

L’ensemble des syndicats médicaux salue cette mesure de santé publique qu’ils revendiquaient depuis plusieurs années. La moitié des femmes ne se fait pas faire de frottis en France. Il est donc important d’inviter celles qui n’en ont pas fait lors des trois dernières années, en insistant sur son remboursement désormais intégral par la sécurité sociale. « C’est la seule mesure qui sort du lot et qui va effectivement jouer un rôle préventif sur la santé des femmes », se réjouit Jean-Paul Hamon. Même son de cloche du côté de MG France d’autant plus que les médecins généralistes accomplissent une partie importante des frottis en France.

"« C’est la seule mesure qui sort du lot et qui va effectivement jouer un rôle préventif sur la santé des femmes », se réjouit Jean-Paul Hamon"

Enfin, de nombreux médecins, dont certains  du SML, souhaiteraient que la prévention soit inscrite dans la formation initiale et continue des médecins. D’ailleurs, la mise en place d’un service sanitaire pendant trois mois chaque année pour l’ensemble des étudiants en santé peut être une mesure positive s’ils sont eux-mêmes bien préparés à ce type d’intervention dans les collèges, lycées et universités, et qu’ils ont les bons outils pour le faire.

par Laurent Joyeux ; Carole Ivaldi