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Surpoids et santé

A en croire études et rapports sur les liens entre surpoids et morbidités, on en vient à se demander s’il ne faudrait pas remplacer pharmaciens et médecins généralistes par des diététiciens et des médecins de santé publique.

Par Maël Lemoine

MaelLemoine


Le dernier rapport de l’OCDE sur le surpoids dans le monde confirme la tendance lourde de ces dernières années : malgré la mise en place de politiques publiques plus vigoureuses, le surpoids, incluant pré-obésité et obésité, ne cesse de gagner du terrain dans les pays développés. La France en particulier occupe un rang moyen : il est temps de tordre le cou à l’idée dangereuse que nous serions plus vertueux que la moyenne, japonais exceptés. 70 % de la population américaine est en surpoids. Dans les pays de l’OCDE, la moyenne est de 60 % - et 25 % de la population est obèse. Le surpoids serait responsable de 70 % des coûts de traitement du diabète, un quart des coûts du traitement des maladies cardiovasculaire, et presque 10 % pour le cancer.

Imaginons une seconde un monde dans lequel le surpoids serait quasiment inexistant. Ce monde où l’on ne mange en moyenne que la ration dont on a besoin, il existe à peu de choses près : c’est le Japon. Les dépenses de santé y sont presque moitié moins élevées qu’en France. Trop manger n’explique pas toutes les maladies. Mais c’est la cause évitable n°1 de la plus grosse portion d’entre elles. Imaginez votre quotidien de médecin sans tous ces patients qui ont, leur vie durant, trop mangé – et ajoutez à cela ceux qui ne bougent pas assez.

Inégalités bien connues

Certaines caractéristiques de la distribution du surpoids dans la population sont bien connues – notamment, le gradient du niveau d’éducation et de revenus. On sait aussi les disparités culturelles d’un pays, voire d’une région à l’autre, et ces facteurs, combinés, expliquent la majeure partie des inégalités devant le surpoids. On sait aussi que les explications psychologiques par la « force de la volonté » demeurent d’un intérêt limité.

Il faut avoir accès à l’information nutritionnelle, il faut avoir les ressources cognitives pour la comprendre correctement, il faut avoir le niveau d’éducation pour distinguer information et désinformation. Mais il faut aussi, tout simplement, avoir un accès facile à des aliments sains, et il faut qu’ils soient d’un prix accessible. Il faut être enfin relativement préservé de constantes tentations – de la publicité à la télévision jusqu’à la diffusion délibérée d’odeurs de pâtisserie dans la rue par des systèmes de soufflerie. Tous ceux dont le poids est sous contrôle ne sont pas des ascètes qui portent la haire ou des Gandhi qui jeûnent régulièrement.

Inégalités moins connues

Il est moins connu, cependant, qu’il existe de nettes différences en moyenne entre hommes et femmes. Dans les pays de l’OCDE, l’obésité connaît à peu près la même prévalence chez les deux sexes, mais le surpoids est plus important chez les hommes – 41 % contre 30 %. Dans le groupe plus restreint des pays du G20, la prévalence de l’obésité chez les femmes est plus importante que chez les hommes (24 % contre 19 %), et la prévalence du surpoids, plus importante chez les hommes (35 %) que chez les femmes (27 %).

En revanche, l’image se complique quand on regarde les niveaux d’activités physiques. En moyenne, les hommes sont plus sédentaires que les femmes, mais leur niveau d’activité physique est beaucoup plus proche des recommandations que celui des femmes.

Enfin, le rapport suggère que le surpoids n’est pas seulement associé à des inégalités de performance scolaire, mais qu’il joue un rôle causal dans ces inégalités, notamment, par les comportements discriminatoires qu’il entraîne dans les écoles. Typiquement, on peut cependant se demander si des messages de lutte contre ces formes d’inégalités ne sont pas plus appropriés d’un simple point de vue moral.

Impact économique du surpoids

Le calcul de fractions des coûts et du manque à gagner imputable au surpoids constitue un challenge autrement plus important pour les statisticiens et les épidémiologiques, que le recueil, même critique, de données descriptives. Le rapport de l’OCDE parle de 8,4 % des dépenses de santé en moyenne attribuables au surpoids – avec des disparités importantes, de 5 % en France à 15 % aux Etats-Unis. Il annonce qu’une réduction de 20 % de la ration calorique moyenne conduirait à une augmentation du PIB de 0,5 %. On est en droit d’être plus sceptiques face à ces extrapolations, tant l’alimentation est imbriquée dans nos économies par toutes sortes de relations causales.

L’avenir de l’humanité

Il ne fait aucun doute que tout, hormis les profits de l’industrie agro-alimentaire, pousse à réduire notre consommation alimentaire à des niveaux raisonnables. Les raisons de santé ne sont que certaines raisons parmi d’autres. La consommation effrénée nous isole les uns des autres, menace l’avenir de l’humanité sur la planète, raccourcit nos vies et engendre une foule de maux évitables à mesure que nous vieillissons.

Même si l’on demande légitimement au médecin généraliste de faire de la prévention, l’organisation des soins en France ne permet de le faire que de manière marginale. Parler de ce qu’il mange à son patient, c’est la dernière chose que l’on fait après tout ce qu’on devrait lui expliquer. On doit pouvoir compter sur les médecins pour cela. Mais pas que sur eux.

par Maël Lemoine