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La maladie obésité : une épidémie à enrayer, des regards à changer

La maladie obésité est une maladie chronique hétérogène aux multiples déterminants et comorbidités. Si l’obésité est considérée par l’Organisation mondiale de la santé comme une maladie (OMS), elle ne l’est malheureusement pas en France or « l’obésité est une maladie car elle peut remettre en cause le bien-être somatique, psychique et social de l’individu ». Aujourd’hui, plus d’un tiers de la population mondiale est considérée en surpoids ou souffrant d’obésité. Une épidémie à enrayer selon le message porté par la  Société française de nutrition (SFN), en partenariat avec l’Association française d'étude et de recherche sur l'obésité (Aféro) au cours de sa deuxième école.

par Cécile Menu.

Cecilemenu

Comme le rappelait la Pr Martine Laville, « Il n’y a pas une obésité mais des obésités… Pour savoir traiter l’obésité, il faut savoir la définir ». La définition de l’obésité est caractérisée par un excès de poids et est fonction de l’individu. Le risque d’obésité est lié au risque de surmortalité en fonction de la masse corporelle (1). Toutefois, l’indice de masse corporelle (IMC) seul ne suffit plus à définir le risque d’obésité…. Il peut y avoir une variation du risque en fonction des ethnies, de l’âge (enfant, personne âgée). D’autre part, plusieurs publications ont montré que l’utilisation de l’IMC pris isolément comme indicateur de santé conduit souvent à une sous-estimation de la présence de facteurs de risque cardio-métaboliques associés.

L’environnement alimentaire, l’activité physique individuelle et l’environnement qui la favorise ou non, les facteurs biologiques, l’influence sociétale et environnementale sont les déterminants de l’obésité. (Foresight Obesity System Map)

La défintion de l'OMS

« Le surpoids et l’obésité se définissent comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui représente un risque pour la santé. L’indice de masse corporelle (IMC) est un moyen simple de mesurer l’obésité dans la population : il correspond au poids de la personne (en kilogrammes) divisé par le carré de sa taille (en mètres). Une personne ayant un IMC de 30 ou plus est généralement considérée comme obèse. Une personne dont l’IMC est égal ou supérieur à 25 est considérée comme étant en surpoids. »

La définition de l’obésité par l’IMC a permis de suivre l’incidence de l’obésité dans le monde. Aujourd’hui, plus d’un tiers de la population mondiale est considérée en surpoids ou obèse (2). En France, l’étude ObEpi (20 000 volontaires) portant sur l’incidence de l’obésité au cours du temps, montrait une tendance à une augmentation du surpoids et de l’obésité (3), même si cette progression semblait ralentir. L’estimation du nombre de personnes souffrant d’obésité aurait doublé entre 1997 et 2012, avec une augmentation de la prévalence de l’obésité chez la femme, également observée à l'échelle mondiale.

En 2030, 25% des hommes et 29% des femmes souffriraient d’obésité en Europe.


En 2012, la prévalence de l’obésité se situait en France entre 15 et 16 %. Ces résultats montrent également que l’IMC moyen augmente régulièrement avec l’âge. D’autre part, plus les générations sont récentes et plus le taux d’obésité de 10 % est atteint précocement. Cette étude met également en évidence le lien entre l’augmentation de la prévalence de l’obésité, du tour de taille et les difficultés financières déclarées. La Cohorte Constances en 2016 a confirmé ces résultats (4). Selon les projections à 2030, 25% des hommes et 29% des femmes souffriraient d’obésité en Europe.

Obésité et niveau socio-économique 

Une étude DREES DGESCO a observé l’évolution de la prévalence de l’obésité chez des adolescents scolarisés en classe de troisième (5). Il en ressort une différence selon la classe socioprofessionnelle des parents : l’obésité était 3 fois plus fréquente chez les enfants d’ouvriers (6,5 %) que chez les enfants de cadres (2,3 %). Le pourcentage des élèves obèses scolarisés en éducation prioritaire était de 6,4 % contre 3,6 % pour ceux éduqués en zone non prioritaire. De la même façon, l’étude ObEpi a montré que la prévalence de l’obésité était de 7 % pour les plus hauts revenus contre 15 % pour les plus bas. La cohorte Constances analysait la prévalence de l’obésité en fonction du revenu en euros, par sexe et observait qu’elle était à 30,7 % pour les femmes aux revenus inférieurs à 450 € et de 7% chez les femmes aux revenus supérieurs à 4200 €. D’autre part, une étude internationale révélait que le fait de ne pas avoir de mutuelle augmentait par quatre le risque d’obésité. Enfin, les ghettos socio-économiques où il n’est pas possible de faire de l’activité physique se superposent avec les ghettos de prévalence de l’obésité. L’obésité et le développement économique d’un pays sont ainsi positivement corrélés (6). « L’éducation pourrait mitiger cet effet » précisait Sébastien Czernichow (7).

Pourquoi devient-on obèse ? Mangeons-nous trop ou ne dépensons-nous pas assez ?

L'obésité est un déséquilibre de la balance énergétique influencé par le comportement alimentaire et le mécanisme de régulation de l’appétit. Notre dépense énergétique au repos est étroitement liée à notre masse maigre. Or, en surpoids ou en obésité, la prise de masse grasse et aussi de masse maigre contribuera à élever le niveau du métabolisme de repos, puisqu’il se détermine en kg de masse maigre, et donc à augmenter notre dépense énergétique. A contrario, en diminuant nos apports, la perte de poids et donc la réduction de masse maigre engendrera une perte de dépense énergétique.

Plusieurs causes sont à l’origine de ce déséquilibre. Dans l’obésité, il est important de mettre en évidence chez les patients la composante qui tient à la régulation du comportement alimentaire. Pour exemple, l’hyperphagie boulimie est une situation très fréquente associée à un risque majeur de prise de poids chez 30 à 50 % des patients consultant pour le poids ou pour une chirurgie bariatrique (8). De nombreuses études montrent le lien entre la prévalence de l’obésité et des marqueurs d’inactivité physique et de sédentarité comme le nombre d’heures passées devant la télévision, le nombre de voitures par foyer... Les modifications de notre mode de vie (alimentation extrêmement variée, à haute densité énergétique, le snacking, la perte des séquences prandiales) ont un impact délétère.

Comment caractériser l’obésité ?

L’obésité est au début une maladie du tissu adipeux qui dépend de la qualité, de la quantité, de la fonctionnalité et de la répartition de celui-ci. C’est pourquoi, individuellement, on observe une importante hétérogénéité pour un même IMC. Le tissu adipeux peut présenter des problèmes d’inflammation et de fibroses. La capacité de la lipolyse de base et de la lipolyse stimulée est un prédicteur de la prise de poids ultérieure et de l’évolution vers des anomalies métaboliques du glucose (10). Une expérience de surnutrition a permis de montrer que la quantité de graisse viscérale dépendait de l’évolution de l’expression des gènes de stockage de lipides dans le tissu adipeux sous-cutané. La variation dans la capacité du tissu adipeux sous-cutané à stimuler l’expression de ces gènes avait des conséquences sur le développement de graisses viscérales (11).

Environnement, génétique, épigénétique, microbiote…

La sous et la surnutrition précoce, les expositions environnementales physiques et chimiques et l’exposition à certaines médications, une inflammation produite par certaines infections, l’acquisition de certains comportements… de la période fœtale jusqu’à l’âge de 2 ans peuvent entraîner des modifications prédisposant à certaines maladies chroniques à l’âge adulte, tels le diabète de type 2, l’obésité, l’asthme, les maladies auto-immunes…. Cet environnement agit au niveau de la structure et la fonction des organes et des tissus, par effet direct ou via des modifications épigénétiques (méthylation ARN, microARN), et sur le microbiote. Une étude de J. Gordon a démontré par transfert du microbiote fécal de souris obèses à des souris minces qu’il était possible de faire grossir ces dernières. La flore des souris obèses serait potentiellement capable de transformer le phénotype mince en phénotype obèse. Au cours de l’obésité, d’importantes modifications du microbiote sont observées (9). Il s’avère que le microbiote est plus pauvre chez un patient obèse que chez un patient non-obèse. L’apport en fibres peut moduler le profil de ce microbiote ; des études menées par l’équipe Belge de Patrice Cani ont ainsi démontré l’effet métabolique bénéfique de la bactérie Akkermansia muciniphila chez la souris, des travaux sont déjà en cours chez l’homme.

L’obésité : une évolution vers des complications et de la chronicité

« La maladie obésité est associée aux quatre situations de santé considérées par l’OMS comme les plus importantes dans le monde (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer et maladies respiratoires) » rappelait le Professeur JM Oppert. En effet, les principales complications chez ces patients souffrant d’obésités sont les complications métaboliques et cardiovasculaires qui peuvent s’associer à des complications respiratoires impactant réellement le quotidien du patient et des complications rhumatologiques limitant la mobilité. L’obésité est également associée à un certain nombre de cancers. Toutefois certains patients feront bien moins de complications.

Une perte de poids de 5-10% participe à la prévention du diabète et à l’amélioration d’autres paramètres importants dans le syndrome métabolique. Une baisse de poids de 2,5% montre déjà des bénéfices non négligeables en particulier au niveau métabolique avec une amélioration de la glycémie et baisse des triglycérides. Pour d’autres comorbidités comme l’apnée du sommeil, les complications mécaniques, le NASH, il faut perdre 10-15% de poids pour les améliorer (12).

Une prise en charge complexe et multidisciplinaire

Les recommandations de la Haute autorité de santé 2011 mettent en avant la notion de prise en charge graduée pour chaque étape et la nécessité d’une réponse adaptée (13). Depuis le Plan obésité 2013 et la création de 37 centres spécialisés de l’obésité a permis de faire progresser le niveau de prise en charge multidisciplinaire. Comme le rappelle le Pr Jean-Michel Oppert : « On doit mieux comprendre les phénotypes d’obésité, et recenser les moyens disponibles pour la prise en charge, élaborer un parcours personnalisé de soin (PPS). L’hétérogénéité des phénotypes doit être prise en compte dans le chemin clinique ». Pour une prise en charge personnalisée, il faut faire une médecine de trajectoire. « Il faut savoir où l’individu en est dans son histoire de la maladie et adapter le traitement sachant qu’il y a de stades où on est dans le handicap » précisait Martine Laville. Ainsi, la médecine de l’obésité fait-elle appel à des capacités et des compétences différentes. Il s’agit d’évaluer la situation médicale précise, générale du malade au niveau psychosocial, son mode de vie et les facteurs associés à la prise de poids, de tenir compte de la demande du patient et de mieux comprendre les déterminants de l’obésité et leur conséquence pour adapter les traitements. C’est davantage une observation des changements qu’une observation statique.

Les phénotypes d'obésité

Obésité de l’enfance

Obésité de l’adulte

Familiale                                 

Isolée

Génétique                               

Environnementale

Androïde                                 

Gynoïde

Viscérale                                 

Sous-cutané

Métaboliquement sain mais mécaniquement très malade     

Métabolisme altéré

Quels objectifs ?

Pour un patient donné, l’objectif à atteindre ne sera pas le même. « Le poids n’est pas obligatoirement le premier objectif médical » mais la prévention et le traitement des maladies associées dont principalement le diabète. Si le poids est l’objectif, il doit être réaliste en fonction des situations : maintenir son poids ou perdre du poids de façon modérée en cas d’une amélioration de l’état de santé. Mais comment ? « Si on veut réguler le poids en régulant les apports alimentaires, on doit d’abord réguler le comportement alimentaire, en avoir une certaine maîtrise » indique le Pr Oppert « Il n’existe pas de recettes miracles ». La perte de poids dépend de la réduction d’apport énergétique, l’objectif étant la perte de 5 à 10%. La composition en macronutriments sera fonction des préférences, des habitudes, du contexte et de la situation médicale. Le régime méditerranéen aura un intérêt pour le syndrome métabolique et la prévention des maladies cardiovasculaires mais pas obligatoirement en termes de régulation de poids. « L’activité physique a un rôle modeste sur la perte de poids en tant que telle, en revanche elle aura un effet important pour la préservation de la masse maigre, un effet très important pour la prévention des comorbidités et un effet majeur pour le maintien du poids perdu » (14). Des études majeures ont montré que l’association régime alimentaire et activité physique peut prévenir le diabète chez le sujet à risque (15-16).

Quelle prévention ? Quels traitements ?

Le Pr Guillaume Pourcher, chirurgien de l’obésité et responsable du centre de prise en charge de la maladie obésité à l’institut Montsouris, expose les techniques et les conditions de la chirurgie bariatrique.

En France, dans le programme du 2e Comité interministériel pour la santé « J’agis pour ma santé en 2019 », priorité est donnée à l’alimentation, la nutrition et à l’activité physique avec pour objectif de diminuer de 15 % l’obésité et de stabiliser le surpoids chez les adultes et de diminuer de 20 % le surpoids et l’obésité chez les enfants et les adolescents. D’ici 2022, des expérimentations innovantes seront déployées en direction de publics ciblés : les enfants de 3 à 8 ans à risque d’obésité (« Mission Retrouve ton cap »), les enfants et adolescents atteints d’obésité sévère (« OBEPEDIA »)... Récemment l’OMS quant à elle reconnaissait les importantes interactions entre activité physique, comportement sédentaire et sommeil, et leurs effets sur la santé et le bien-être tant physique que mental pour mettre fin à l’obésité de l’enfant. L’OMS préconise des orientations claires sur l’activité physique, le comportement sédentaire et le sommeil du jeune enfant. Le message de l’OMS au jeune enfant : pour grandir en bonne santé, ne pas trop rester assis et jouer davantage.

Pour ce qui concerne les traitements, rares en France, les études montrent qu’ils amènent à une réduction limitée à 5-10 % du poids par rapport au placebo. Dans certaines indications, outre l’importante réduction de poids, la chirurgie bariatrique apporte des bénéfices majeurs : réduction de la mortalité, diminution majeure de l’incidence de l’apparition de nouveaux cas de diabète, d’accidents coronaires aigus, des AVC et la diminution des cancers chez la femme (17).

Bibliographie

(1). Waaler H Th. Height. Weight and Mortality The Norwegian Experience. Acta medica Scandinavica January/December 1984 https://doi.org/10.1111/j.0954-6820.1984.tb12901.x(2) Yu Chung Chooi. The epidemiology of obesity. Metab Clin Exp 2019. https://doi.org/10.1016/j.metabol.2018.09.005(3) Etude Obépi 1997-2002 Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité – ObEpi 1997-2012 http://www.roche.fr/content/dam/roche_france/fr_FR/doc/obepi_2012.pdf(4) Matta et al BEH 2016 http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/35-36/pdf/2016_35-36_5.pdf(5) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er865.pdf. Février 2014 La santé des adolescents scolarisés en classe de troisième
(6) Kinge JM, Strand BH, Vollset SE, et al. Educational inequalities in obesity and gross domestic product: evidence from 70 countries. J Epidemiol Community Health 2015;69:1141-1146
(7) Hoffmann K. et al. Trends in educational inequalities in obesity in 15 European countries between 1990 and 2010. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity 2017 14:63 https://doi.org/10.1186/s12966-017-0517-8(8) McCuen‐Wurst C. et al. Disordered eating and obesity: associations between binge-eating disorder, night-eating syndrome, and weight-related comorbidities. Ann N Y Acad Sci. 2018 Jan;1411(1):96-105. doi: 10.1111/nyas.13467.
(9) (https://www.college-de-france.fr/site/philippe-sansonetti/seminar-2018-01-24-17h30.htm : le poids du microbiote dans l’obésité – K. Clément)
(10) Peter Arner et al. Weight Gain and Impaired Glucose Metabolism in Women Are Predicted by Inefficient Subcutaneous Fat Cell Lipolysis. Cell Metab. 2018 Jul 3;28(1):45-54.e3. doi: 10.1016/j.cmet.2018.05.004.
(11) Alligier M. Visceral Fat Accumulation During Lipid Overfeeding Is Related to Subcutaneous Adipose Tissue Characteristics in Healthy Men. J Clin Endocrinol Metab, February 2013, 98(2):802– 810
(12) Ryan et al. Weight Loss and Improvement in Comorbidity: Differences at 5%, 10%, 15%, and Over. Curr Obes Rep. 2017 Jun; 6(2): 187–194. doi: 10.1007/s13679-017-0262-y.
(13) https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_964938/fr/surpoids-et-obesite-de-l-adulte-prise-en-charge-medicale-de-premier-recours
(14) Jakicic JM et al. Role of Physical Activity and Exercise in Treating Patients with Overweight and Obesity. Clin Chem. 2018 Jan;64(1):99-107. doi: 10.1373/clinchem.2017.272443.
(15) Jensen MD. 2013 AHA/ACC/TOS Guideline for the Management of Overweight and Obesity in Adults. Circulation. 2014 Jun 24;129(25 Suppl 2):S102-38. doi: 10.1161/01.cir.0000437739.71477.ee.
(16) Garvey WT. American association of clinical endocrinologists and American college of endocrinology comprehensive clinical practice guidelines for medical care of patients with obesity. Endocr Pract. 2016 Jul;22 Suppl 3:1-203. doi: 10.4158/EP161365.GL.
(17) Sjöström L. Effects of Bariatric Surgery on Mortality in Swedish Obese Subjects. N Engl J Med 2007; 357:741-752. DOI: 10.1056/NEJMoa066254 – Sjöström L. et al. Effects of bariatric surgery on cancer incidence in obese patients in Sweden (Swedish Obese Subjects Study): a prospective, controlled intervention trial. Lancet Oncol. 2009 Jul;10(7):653-62. doi: 10.1016/S1470-2045(09)70159-7. - Sjöström L. et al. Bariatric surgery and long-term cardiovascular events. JAMA. 2012 Jan 4;307(1):56-65. doi: 10.1001/jama.2011.1914.

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